« Je n’ai jamais su quitter les situations de façon naturelle. J’ai toujours eu beaucoup de difficultés à dire au revoir, à la prochaine, à demain. La mort ne m’effraie pas. C’est la disparition des gens dans ma vie qui me tétanise. »
Je dépose Montréal-Nord (Québec Amérique), premier roman signé par l’humoriste, peintre, comédienne et chroniqueuse Marina Mazza avec une seule idée en tête : la rencontrer.
Ok, je ne suis pas le seul. La caste médiatique locale au grand complet l’a reçue en entrevue avant moi : La Presse, Le Journal de Montréal, Le Devoir, les magazines sérieux, à potins, la télé, la radio. J’avais vécu une sensation similaire quand j’avais rencontré Edith Blais en retard sur tout le monde au terme d’un marathon promotionnel intensif pour parler de son livre Le Sablier, dans lequel elle racontait ses quinze mois d’otage entre les mains de djihadistes dans le Sahara.
« T’en fais pas, Hugo, je gardais le meilleur pour la fin! T’as maigri, toi, by the way, tu ressembles vaguement à Daniel Craig dans James Bond! », m’a vite rassuré/complimenté Mariana Mazza en débarquant au café La Pistache, où elle a ses habitudes près de chez elle à Saint-Lambert, sur la Rive-Sud de Montréal.
Bon, elle ne m’a pas exactement dit ça, mais qu’importe.
Le rendez-vous dans le café est par contre bien réel. L’autrice de l’heure s’installe devant un croissant et un café dans l’établissement achalandé. Elle porte des vêtements décontractés, jusqu’aux pantoufles « don’t worry be happy » dans chaque pied.
On parle d’emblée du rôle de chroniqueuse littéraire qu’elle peaufine depuis quelques années, d’abord à l’émission Bonsoir bonsoir! et tout récemment au micro d’Il restera toujours la culture, également à Radio-Canada.
Un rôle qu’elle s’est patenté elle-même au départ. « C’était pendant la pandémie et j’avais “déviergé” le premier segment du concept “Qu’est-ce qu’on fait avant de se coucher”. J’avais recommandé un livre et un invité trouvait que je le vendais bien. J’ai alors proposé mes services comme critique littéraire. Le réalisateur pensait que je niaisais, mais j’étais sérieuse », débite avec son franc-parler habituel cette verbomotrice.
Bref, c’est ainsi qu’est née Mariana Mazza, la critique littéraire.
Celle-ci a pris du galon, si bien qu’elle est désormais à l’origine d’un « effet Mazza » dans certaines librairies dévalisées après la médiatisation de ses coups de cœur littéraires. « Je voulais faire rire au début, je me mettais de l’avant et pas les livres. Là, avec l’expérience, je me suis graduellement effacée derrière eux », analyse celle qui croule désormais sous les livres à la maison tellement elle en reçoit. Elle en lit plusieurs en même temps d’ailleurs, dont un avant de se coucher (le dernier Sophie Bienvenu présentement), un moment sacré dans sa routine.
«Je me suis dit que si j’étais capable de faire vendre des livres, j’étais peut-être capable d’en écrire un.»
C’est à ce moment qu’un déclic s’est produit. « Je me suis dit que si j’étais capable de faire vendre des livres, j’étais peut-être capable d’en écrire un », souligne celle qui a elle-même approché l’éditeur Stéphane Dompierre, qu’elle affectionne particulièrement.
Si elle nie avoir un syndrome de l’imposteur (elle lit compulsivement depuis l’enfance et verse dans l’écriture depuis toujours avec son métier), elle ne cache pas certains complexes. « Est-ce que ça sera à la hauteur d’un “vrai” romancier? Je ne voulais pas être juste une artiste connue qui sort un livre », confesse-t-elle, citant Kevin Lambert, Caroline Dawson ou Alain Farah, des auteurs dont le style l’impressionne.
Mais encouragée par son éditeur, Mariana a finalement décidé de faire du Mariana. « Je voulais écrire pour ceux qui ne lisent pas beaucoup. Je suis une fille de Montréal-Nord, pas de Brébeuf. J’ai trouvé mon langage avec lui [Stéphane Dompierre]. Il m’a dit vouloir avoir l’impression d’être avec moi dans le récit », souligne l’humoriste, qui réussit son pari grâce à un ton intimiste et accessible.
Débarrassée de ses complexes, elle s’est jetée tête baissée dans un processus d’écriture, mue par la même pulsion qui l’anime lorsqu’elle peint. « Je me disais que j’avais une vie assez fucked up pour l’écrire », résume à sa manière Mariana Mazza.
Refusant de faire les choses à moitié, elle n’a pas proposé un seul récit autobiographique, mais plutôt une trilogie.
Si Montréal-Nord raconte une enfance heureuse mais précaire avec une mère superhéroïne qui cumulait plusieurs emplois pour subvenir aux besoins de sa famille, le deuxième parlera de son adolescence rebelle à Rivière-des-Prairies et le dernier de sa découverte du monde à travers ses voyages (elle a vécu en Inde et même rencontré le dalaï-lama).
« Le squelette du deuxième est fait. Il sera plus l’fun à écrire parce que j’ai déjà les outils. Stéphane a joué un gros rôle dans mon style », louange-t-elle.
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Une enfance couchée dans des manteaux
Dans Montréal-Nord, Mariana Mazza raconte sans filtre une enfance modeste passée couchée dans les manteaux du club argentin où sa mère allait danser, dans les allées du marché aux puces Métropolitain où elle flânait sans rien acheter et dans les fauteuils du cinéma Langelier.
On s’attache à cette jeune Mariana bavarde mais allumée, qui nous entraîne dans le Montréal-Nord de son enfance. Elle nous présente les profs qui l’ont marquée, la famille du voisin Tito – plus pauvre que la sienne – qui mériterait un roman à elle seule, mais surtout Sonia, cette mère forte et fière d’origine libanaise, à qui elle rend un vibrant hommage. « J’étais “la fille de Sonia”. Mon identité s’arrêtait là où la présence de ma mère commençait », écrit-elle à propos de cette mère qui a soulevé des montagnes pour donner une vie normale à ses enfants (Mariana et son frère Juan) dans un contexte défavorisé.
Préconisant une écriture sans flafla, parfois sous forme de dialogues intercalés avec sa mère, Mariana Mazza ne se défile pas devant les thèmes plus sombres, à des années-lumière des contes de fées.
L’absence de son père alcoolique d’origine uruguayenne, par exemple, qui a rencontré sa mère au Venezuela, se fait sentir tout au long du récit. « J’aimais ton père avant 10 h le matin, après je ne le reconnaissais plus », disait de lui sa mère.
Son père, aujourd’hui décédé, a quitté sa famille lorsque Mariana avait deux ans pour ne jamais revenir. Un abandon qui a laissé un grand vide, que l’humoriste tente toujours de combler. « Je détestais les princesses, mais j’aurais aimé en être une pour une seule personne qui n’a jamais vraiment existé », se désole-t-elle.
J’ai personnellement trouvé une certaine parenté entre le style Mazza et celui de l’autrice Gabrielle Boulianne-Tremblay dans La fille d’elle-même ou encore celui des Paul de Rabagliati, où l’on aborde la vie ordinaire à travers des thèmes parfois troublants.
Mariana mentionne au passage le timing de son livre, à l’heure où les fusillades défraient les manchettes à Montréal-Nord et où une déclaration imbécile du ministre Jean Boulet, selon qui « 80 % des immigrants ne travaillent pas », l’a fait sortir de ses gonds.
«Je n’ai jamais rien fait pour l’argent dans la vie.»
« Ma mère travaille depuis son arrivée au Québec il y a 32 ans, plusieurs jobs en même temps. À 62 ans, elle conduit encore plusieurs matins par semaine un autobus adapté pour des enfants autistes », fulmine l’humoriste.
« Son travail a fait en sorte que je pourrais attendre que le téléphone sonne. Je ne suis pas obligé de me faire chier à encadrer des toiles ou à écrire pendant un an un livre qui va se vendre à 3000 exemplaires pour 3 $ chaque. Je n’ai jamais rien fait pour l’argent dans la vie », assure-t-elle, jurant être d’abord au service de l’art.
Elle connaît néanmoins la valeur de l’argent et ne fait pas semblant de ne pas aimer l’embourgeoisement. Elle assume son statut de privilégiée. « J’aime l’argent, j’ai une belle maison à Saint-Lambert, je roule en Audi. J’ai jamais compris le complexe de l’argent », souligne celle qui en a manqué dans sa jeunesse sans en souffrir.
Et puis certaines choses valent tout l’or du monde, au-delà de l’argent. Le dernier exemple remonte à la veille de notre rencontre, sous la forme d’un appel spontané du comédien Michel Côté, qui s’est récemment retiré de la vie publique pour des raisons de santé. « Je me réveillais d’une sieste alors ça m’a pris quelques secondes pour computer. Il m’a dit : “Je pensais que je t’aimais et là je t’aime encore plus. Continue à écrire.” J’ai raccroché et j’ai pleuré à chaudes larmes », confie Mariana, qui a toujours perçu en Michel Côté – avec qui elle a notamment tourné dans De père en flic 2 – une sorte de figure paternelle. « C’est pour ça que je fais tout ça. Un appel de Michel Côté suffit pour me crinquer à écrire les deuxième et troisième livres », souligne-t-elle, encore émue.
«À l’époque, le bonheur se résumait à deux steamés, une patate graisseuse et une liqueur en fontaine. C’était si simple. Et abordable.»
Si elle s’est souvent mis les pieds dans les plats à cause de sa grande gueule, Mariana Mazza place le respect au panthéon des valeurs. Elle voue une grande admiration aux géant.e.s qui nous précèdent (elle cite Guy Lafleur, Michel Côté et Denise Bombardier) et déplore le manque d’égard envers nos aîné.e.s. « Les gens qui se prennent en photo avec Yvon Deschamps sur un plateau ou lors d’une activité de bienfaisance ont-ils déjà regardé un de ses numéros? », demande-t-elle, convaincue de la réponse.
De son propre aveu, elle n’est pas née à la bonne époque, s’ennuie de ses lointains souvenirs, ceux d’avant le téléphone cellulaire. « J’aurais dû vivre dans les années 70. Je suis au moins reconnaissante d’avoir vécu l’époque où il n’y avait rien à faire entre les deux cloches à l’école », se console Mariana Mazza. « Aujourd’hui, tout ce qu’on fait peut-être source de représailles et retourné contre nous, mis hors contexte. C’est le mal de vivre de notre époque », ajoute-t-elle.
En attendant, elle rêve en silence d’un monde où on va manger au restaurant sans ressentir le besoin d’immortaliser son assiette.
« À l’époque, le bonheur se résumait à deux steamés, une patate graisseuse et une liqueur en fontaine. C’était si simple. Et abordable », résume-t-elle dans son livre.
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« Je gagne ma vie en ouvrant ma gueule »
Comme Mariana a été au cœur de deux histoires sur des sites de potins dans la dernière semaine, j’ai voulu lui parler un peu de son rapport aux commérages, qu’elle génère parfois malgré elle à cause de ce qu’on pourrait poliment qualifier de « léger manque de fini ».
Elle a d’abord déversé son fiel sur les candidats intimidateurs d’OD sur le plateau de Julie Snyder (avant leur expulsion) et a dû réagir publiquement sur sa vie amoureuse, ce qu’elle ne fait jamais. « J’ai l’impression qu’on m’instrumentalise. Mais si on peut en tirer de bons débats, tant mieux », explique-t-elle.
Sur sa rupture, elle ajoute que les sites à potins ont voulu avoir le dernier mot sur la petite bataille qu’elle mène depuis sept ans pour préserver son jardin secret conjugal. « Ça fait partie de la game et je fais ce métier en étant consciente des conséquences de ça. C’est par contre à moi de ne pas embarquer là-dedans », avoue celle qui ne cache pas aimer attirer l’attention et susciter des débats. Elle est d’ailleurs fière de celui au sujet de l’intimidation à OD, qui traduisait visiblement un malaise assez généralisé.
« Moi, je gagne ma vie en ouvrant ma yeule, d’autres la gagnent en partageant ce que je dis. Être journaliste, je serais pire », admet-elle.
De retour à son livre, elle ne cache pas que certaines scènes ont été plus difficiles que d’autres à coucher sur papier.
Par exemple, cette rencontre à fendre l’âme avec sa grand-mère maternelle d’une froideur abyssale. « Cette femme, j’aimerais la voir avant sa mort, mais je ne sais pas ce que je lui dirais », dit-elle au sujet de cette grand-maman qui a toujours regardé sa fille et ses petits-enfants avec un profond dédain.
Le passage de la déportation de la famille de Tito est également très crève-cœur dans le récit.
Elle aimerait d’ailleurs visiter la famille de son ancien voisin, avec qui elle a repris contact dans son processus d’écriture. « [La famille de Tito] habite un des quartiers les plus pauvres d’Uruguay, le plancher est en terre battue. Leur départ, c’était vraiment violent… »
Si j’avais un seul reproche à faire au livre, c’est de ne pas avoir suffisamment décrit Montréal-Nord. Mariana accepte la critique, évoque un choix éditorial. « Pas besoin de nommer le centre d’achats Forest, les gens du coin vont le reconnaître. Je devais aussi penser à la personne qui vit à Alma et s’en calisse », justifie-t-elle.
«La violence a toujours été là, mais là le volcan endormi est présentement en éruption.»
Quant à Montréal-Nord, elle rappelle que les malheurs qui collent à la peau du quartier ne datent pas des fusillades d’hier. « Ça n’a jamais été super bien. La violence a toujours été là, mais là le volcan endormi est présentement en éruption », illustre-t-elle, citant la prolifération d’ armes artisanales et l’absence de hiérarchie dans les gangs pour expliquer le chaos actuel.
Pour l’heure, Mariana Mazza a mille projets, en plus de l’écriture des suites de sa trilogie. Elle a par exemple découvert l’an dernier l’existence d’une demi-sœur (fille de son père) designer de chapeau qui habite à Barcelone et projette de la retrouver. Elle me tend son cell où elle me montre le message qu’elle lui a envoyé, sans réponse : « Hello Luciana, je suis ta sœur. »
« Elle détestait aussi mon père apparemment », note-t-elle.
De la matière pour de futurs ouvrages, sans doute. D’ici là, on ne s’ennuie pas de découvrir une plume transparente et authentique, une rareté dans un monde aseptisé, souvent dissimulé derrière le vernis des relations publiques.