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Au Québec, c’est acquis; il s’agit de l’un des plus gros succès des années 60. La popularité rencontrée par Donald Lautrec avec cette pièce a lancé une vague de musique ska au Québec. C’est bizarre quand on y pense : en 1964, le ska était une musique jamaïcaine qui ne connaissait pas vraiment de succès en dehors de son île d’origine, mis à part au Québec!
La naissance du ska
C’est quoi, le ska? C’est l’ancêtre du reggae, à toutes fins pratiques. C’est du reggae rapide. C’est aussi un rythme : syncopé, upbeat, joyeux. C’était aussi une danse qui, à l’origine, se dansait avec le dos courbé vers l’avant, les bras pendants par en avant, on ouvre les bras, on croise les bras, répétez jusqu’au last call.
À sa naissance, le mouvement skinhead n’avait rien à voir avec le racisme ou la droite. Ce n’est que des années plus tard que certaines franges radicales du mouvement y seront associées. Mais la culture skinhead du “spirit of ‘69”, associée au ska, perdure depuis.
Le ska est exporté vers l’Angleterre au cours des années 60, alors que le pays connaît une vague d’immigration jamaïcaine. Au cours de la seconde moitié des années 60, le ska fait une percée dans certains milieux ouvriers et quartiers défavorisés. Plusieurs jeunes ouvriers, habillés de bottes, jeans et chemises à carreaux, cheveux rasés pour éviter d’avoir à les laver constamment après leur ouvrage salissant, se mêlent aux immigrants jamaïcains qui arrivent dans leurs quartiers et assistent aux mêmes soirées de danse et spectacles de ska. La culture skinhead est née. À sa naissance, le mouvement skinhead n’avait rien à voir avec le racisme ou la droite. Ce n’est que des années plus tard que certaines franges radicales du mouvement y seront associées. Mais la culture skinhead du “spirit of ‘69”, associée au ska, perdure depuis. Malgré l’émergence de cette mode underground, la popularité du ska demeure marginale en Angleterre.
Idem à Toronto où l’immigration jamaïcaine connaît aussi un essor important à la même époque. Des groupes ska sont actifs à Toronto, mais leur rayonnement ne dépasse pas vraiment les limites de la communauté jamaïcaine et des autres nouveaux arrivants.
Ska international
Le premier succès ska de calibre international est My boy lollipop de la chanteuse Millie Small. Originaire de la Jamaïque, elle déménage en Angleterre pour y faire carrière, amenée par le vague d’immigration. Cette chanson avait beau être sur un rythme ska, le public n’en avait pas vraiment conscience puisque les paroles n’y faisaient pas référence.
Les reprises francophones de My boy lollipop vont tout de même permettre au rythme de se tailler une place dans les esprits. Parmi les reprises notoires de My boy lollipop en français, on compte celle de la chanteuse soul américaine Donna Hightower, qui a percé les marchés européens et québécois avec sa version franco, C’est toi mon idole. Puis une jeune Renée Martel, en début de carrière, s’y est aussi attaquée. Donald Lautrec aussi en fera une version plus tard.
Donald vient danser le ska
En 2020, Donald Lautrec a 80 ans. Il habite la Floride. Il déteste les entrevues et l’attention médiatique. Il ne manquait pas de le souligner dans une rare entrevue accordée au Journal de Montréal, en 2013. Peu d’espoir était fondé sur l’idée qu’il revienne sur la naissance du ska au Québec, mais contre toute attente, il a accepté de témoigner. La discussion téléphonique s’est déroulée de manière si expéditive qu’il a été impossible de prendre des notes précises d’un verbatim. Ça a quand même été suffisant pour avoir la vraie histoire du ska québécois.
Comment la musique ska est-elle entrée dans sa vie? L’histoire est toute simple. En 1964, un couple de Québécois part en voyage en Jamaïque. Là-bas, ils découvrent la popularité du ska, apprennent la danse et ramènent des disques. Fans de Donald Lautrec, ils ont l’impression que le style siérait bien à leur idole. Ils entrent en contact avec son gérant, Yvan Dufresne, et lui font part de leur idée.
Le couple, dont les noms se sont perdus avec le temps, est invité à rencontrer Donald Lautrec. Ce dernier se souvient avoir écouté les 45 tours avec eux et de les avoir regardé faire la danse ska devant lui. Lautrec et Dufresne ont été convaincus.
Quelques semaines plus tard, un 45 tours pour la chanson C’est le ska est mis en vente. Donald Lautrec est invité à la télévision pour présenter sa chanson et il y fait les pas de danse. Le succès est au rendez-vous. Le ska arrive dans les chaumières.
Le ska québécois n’a pas le soul du ska jamaïcain. Notre ska est très blanc et carré, faut se l’avouer.
Devant cet intérêt populaire, Lautrec s’adjoint du compositeur Pierre Nolès et travaille avec lui sur la création de la chanson Manon viens danser le ska. Une fois qu’elle paraît sur le marché, c’est la folie furieuse. Au Québec, tout le monde danse le ska. Cependant, le ska québécois n’a pas le soul du ska jamaïcain. Notre ska est très blanc et carré, faut se l’avouer. Alors que le rythme devrait être mis l’avant pour lui donner sa véritable impulsion, c’est plutôt la voix qui domine dans le mix, comme dans tout nom enregistrement pop, subtilisant à la musique ce qu’elle a de plus intéressant.
Au sommet de cette déferlante, Lautrec enregistre une autre pièce ska, beaucoup plus proche du son jamaïcain celle-là : Jamaica Ska.
Ska mania
Bref, suivant le succès de Manon viens danser le ska, une foule d’artistes tente de capitaliser sur le momentum. Sur le succès Ça va je t’aime les choristes de Michèle Richard martèlent « les copains un autre ska! » dès les premiers instants du morceau dont le rythme s’apparente bel et bien à celui du ska. Norman Knight enregistre SVP un autre ska. Luc Saval chante Tout le monde danse le ska. Monique Jetté lance Grand-papa danse le ska (probablement la pire tentative de ska made in Québec!). Danny Aumont commercialise Shou-Bi-Dou le ska. Daniel Giraud, lui, affirme détenir.
Le ska de l’année!
Pascale Faubert s’essaye en enregistrant une version de My boy lollipop/C’est toi mon idole, mais l’équipe d’orchestration oublie l’essentiel : le rythme. Sur la face B de cet étrange 45 tous, on retrouve une chanson intitulée Papa achète-moi un mari à laquelle est accolée la mention “ska”, mais encore une fois, le rythme n’y est pas du tout. On peut en déduire que le ska était un véritable buzzword pour vendre des disques en 1964-65 au Québec!
Dansons le Blue Beat
Mais là où cette aventure devient vraiment intéressante, c’est au moment où la chanteuse Myriam Martin entre dans le portrait avec ses chansons blue beat! Le blue beat était une autre danse jamaïcaine née dans les années 60 fortement apparenté au ska, si fortement apparenté, en fait, qu’on peut pratiquement considérer qu’il s’agissait de deux noms différents pour la même vague musicale. Myriam Martin en a fait son affaire, se faisant littéralement surnommer “Mlle Blue Beat”.
Le blue beat était une autre danse jamaïcaine née dans les années 60 fortement apparenté au ska, si fortement apparenté, en fait, qu’on peut pratiquement considérer qu’il s’agissait de deux noms différents pour la même vague musicale.
Elle enregistre deux 45 tours dans le style. Le premier comprends les chansons Blue Beat en face A et Dansons le Blue Beat en face B. On tente aussi de commercialiser ses chansons en anglais sur un second 45 tours. On y retrouve Dance the Blue Beat et une autre chanson dans le même style intitulée I wanna shout. Il s’agit probablement des meilleures chansons de type ska enregistrées au Québec dans les années 60. Après quelques recherches, il appert que Myriam Martin se soit enlevé la vie en 1975, en sautant du pont Laviolette, à Trois-Rivières.
Expo 67 et l’arrivée du reggae
À partir de l’ouverture de l’Exposition universelle de Montréal, en 1967, la musique entendue au Québec change. Des groupes ska, rocksteady et reggae de Jamaïque et originaires d’autres îles caribéennes amènent ici leurs musiques locales. Ce chapitre nécessiterait un article complet à lui seul.
L’un des exemples les plus probants de l’arrivée du reggae au Québec fin sixties est sans contredit la chanson Monsieur Melon de Francis Gregory, de son vrai nom Maurice Paquin, auparavant chanteur du groupe garage Les Loups.