Quand j’entre dans son bureau, Manon Massé déballe le bouquet de fleurs que vient de lui offrir une bibliothécaire. « Tiens, ça va faire de la belle déco », dit-elle en le plaçant dans un verre d’eau.
Depuis que la députée de Sainte-Marie–Saint-Jacques a annoncé qu’elle quittera la politique parlementaire à la fin de son mandat, les hommages ne cessent de pleuvoir. Tous les médias parlent de cette lesbienne à moustache qui a toujours su rester fidèle à elle-même durant ses presque douze ans comme députée de Québec solidaire (QS). Alliés et adversaires politiques ont souligné son grand apport à la société québécoise, évoquant son dévouement pour les communautés marginalisées et son authenticité.
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Celle qui a été la porte-parole féminine du parti de 2017 à 2023 se dit honorée par cette vague d’amour. « C’est gros, c’est énorme, c’est fou. Complètement fou. »
« Je savais que le monde m’aimait, parce qu’ils me le disent chaque jour, poursuit-elle. Mais là, c’est comme une espèce d’unanimité qui est même un peu difficile à comprendre pour moi. »
Elle plaisante en disant qu’elle a accordé plus d’entrevues ces derniers jours que pendant toutes les années précédentes. Elle se demande d’ailleurs – si elle est tant aimée – pourquoi les journalistes viennent seulement la voir après qu’elle ait annoncé son départ de la politique. « Ils passent le micro à tout le monde pour avoir des opinions sur ci, sur ça. Mais comment ça se fait que moi, ils me courent pas après? Parce que j’en ai des choses à dire. Au lieu qu’ils répètent constamment que Québec solidaire est en train de mourir, venez voir là, pas yinque quand […] on s’en va! »
Il est vrai que les chiffres ne regardent pas bien pour QS, qui récolte seulement 6 % des intentions de vote dans le dernier sondage Léger, alors qu’il était le deuxième parti ayant récolté le plus de voix aux élections de 2022. Même si son parti est celui que « toute la droite de ce monde veut voir mort, à genoux », Manon garde espoir.
Elle compte utiliser le temps qu’il lui reste au Parlement pour rappeler à la population que le rêve d’une société égalitaire est encore possible, malgré la division.
« Revirons ça de bord, on est capable. Nos prédécesseurs l’ont fait avec la Révolution tranquille. Ben, nous autres aussi, on est capable. »
LA JEUNESSE, CETTE LUEUR D’ESPOIR
Malgré la montée de la polarisation, ici comme ailleurs, celle qui a été élue pour la première fois en 2014 garde espoir. « Parce que je crois en la jeunesse, vraiment beaucoup. »
Elle se rappelle notamment de ces jeunes du secondaire et du cégep qui ont organisé les marches pour le climat dans les rues du Québec, en 2019. Greta Thunberg s’était même jointe à eux dans une marche ayant rassemblé près de 500 000 personnes, à Montréal.
« Ces jeunes-là, ils n’avaient pas fait la grève de 2012, ils n’avaient pas eu des mois et des mois pour se former politiquement, explique-t-elle. Ils avaient juste un cri du cœur. Puis quand l’humain retourne dans son cri du cœur, ben c’est là qu’il change les choses. »
C’est précisément pour cette raison qu’elle croit que les gens l’ont tant appréciée durant son parcours politique : « Je suis une humaine qui s’est branchée sur son cri du cœur. »
L’ESPOIR D’UN PAYS POUR TOUT LE MONDE
Lorsque Manon songe à l’avenir du Québec, son visage s’illumine.
« On pète le patriarcat. On pète ça, et on se donne un pays à la hauteur des humains qui habitent dessus. C’est ça que je nous souhaite », lance-t-elle.
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Et ce pays, elle veut qu’on le construise ensemble. Elle imagine une constitution qui « ne sera pas écrite par Simon Jolin-Barrette tout seul dans son bureau, mais écrite par les peuples du Québec ».
Et elle veut que ça soit bien clair : « C’est pas le pays du Parti québécois que je veux ni celui de la CAQ. »
Les larmes montent aux yeux de la militante.
« Ces osties-là, ils nous enlèvent les chances de devenir un pays, enchaîne-t-elle. Parce qu’ils arrêtent pas de répéter aux gens qui sont pas nés à l’Île d’Orléans […], qui parlent français que c’est eux autres, le problème. Alors que c’est pas eux autres. C’est le patriarcat, c’est le capitalisme, c’est le colonialisme. C’est ça, le problème. »
Elle le dit sans détour : son parti veut « péter » les systèmes que la droite s’efforce de maintenir en place. « Parce qu’ils [ces systèmes] oppriment. Ils oppriment les femmes, les personnes trans, les Autochtones. »
Puis, un sourire en coin, elle conclut : « Moi, être woke, j’ai pas d’enjeu avec ça. Parce que woke, ça vient de wake. Puis “wake up”, me semble que c’est ce que je dis depuis que j’ai je sais pas quel âge. »
Après son départ de la politique, elle promet qu’elle continuera de s’impliquer socialement. Elle a aussi hâte de retrouver le temps d’avoir le temps. L’amoureuse de la nature compte passer beaucoup de temps dans la forêt et se mettre à la menuiserie.
Mais pas tout de suite. Il lui reste encore beaucoup à accomplir pour sa dernière année à l’Assemblée nationale.
Un an pour changer le monde. Et le reste de sa vie pour continuer de le faire, toujours branchée sur son cri du cœur.

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