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Manifeste contre les messages vocaux
Sept milliards. C’est le nombre de messages vocaux envoyés chaque jour sur WhatsApp selon Meta. Mais quelle horreur. Imaginez un peu ce brouhaha insipide.
J’avais déjà dû hausser le ton à cause des maudites chaînes de blagues. Aujourd’hui, un autre virus se répand à vitesse grand V et pourrit nos téléphones. Dans une société de l’image, du paraître et des gros égos, il ne manquait plus qu’eux : les messages vocaux. Les putains de messages vocaux. Pourquoi tant de mal? Qui se cache derrière ces messages sans queue ni tête? Vous, très certainement.
Ça se passe souvent comme ça : je mets mes écouteurs, je vais sur Spotify, je choisis une playlist qui matche bien avec mon humeur (au titre souvent évocateur : Foutez-moi la paix) et je vaque à mes occu… Non, je reçois un ÉNIÈME message vocal qui me force à interrompre tout ce que je suis en train de faire. « Et si c’était important? Ou GRAVE? Faut que j’écoute, merde. » Je suis encore bien trop empathique pour ne pas écouter les vocaux que je reçois.
Oui, parce que c’est ça que ça fait, un message vocal : on a l’impression que c’est plus important qu’un message écrit. Comme si on recevait un petit cadeau à chaque fois, sauf que la plupart du temps, la boîte est vide (mais l’emballage était super beau).
La première fois que j’ai compris que j’étais en colère à cause d’un message vocal, c’est quand j’ai réalisé que j’étais une boomeuse ça aurait pu être un texto, tout comme ces milliers de réunions qui auraient été si mignonnes sous forme de simples courriels à un paragraphe.
Agacée, j’ai voulu me venger en répondant à mon tour en vocal, sauf que la personne au bout du message s’est avérée hyper contente que je lui renvoie l’ascenseur. « Oh, mais ça fait trop plaisir d’entendre ta voix!! » MAIS NOOOOOON.
Comme si la fonction « message vocal » avait annulé la fonction « appel ». Je ne comprends pas.
…
Que dire. Le vrai problème avec les vocaux, c’est qu’on a affaire à l’humain dans toute sa splendeur et dans tout ce qu’il a de plus chiant à nous offrir : il s’écoute parler de la pluie et du beau temps (mais surtout de lui et du vide qui l’entoure); on assiste, presque en live, à la dispersion totale de son esprit (de moins en moins critique), à la dissolution de son pouvoir de concentration (« Oh, une mouche! ») et à la libération de son pouvoir de digression (« Ah, je t’ai pas dit, aucun rapport, mais je suis constipée depuis 5 jours maintenant… Je mange des pruneaux, mais ça fait rien. J’ai essayé de prendre du fer aussi, mais ça me donne la nausée. Je ne sais plus trop quoi faire, j’en ai parlé à mon médecin, mais c’est un abruti. En plus, il faut attendre 6 mois pour avoir un rendez-vous, laisse tomber, j’ai le temps d’imploser… »).
Quel enfer. Il faut être prof de lettres pour aimer ce genre d’élucubrations.
C’est un truc d’extraverti.e.s, les messages vocaux. Un truc pensé pour les gens qui ont besoin de s’étendre sur leurs sentiments pour un oui ou un non, de se sentir vivants à travers leurs bruits de gorge et raclements de glaires. Par pitié, laissez les introverti.e.s loin de tout ce bruit. Ils sont morts à l’intérieur et vivent très bien comme ça.
En fait, les messages vocaux, c’est l’idéal pour les accros aux small talk et autres banalités, pour raconter en long et en large (mais surtout de travers) l’insoutenable légèreté de nos existences dans les moindres détails. BUT WHO CARES!? Ça me rappelle ce correspondant de Ouest-France (paix à son âme) qui, en rédigeant un fait divers (« Ivre, il fait une marche arrière et se noie dans le port ») , n’avait pas pu s’empêcher de fournir des détails improbables sur l’accident, mais aussi sur le cadavre. « Teint blême, paupières boursouflées et slip rouge. » MAIS VOYONS DONC. C’était aussi déplacé qu’hilarant, mais surtout INUTILE. Comme la plupart des vocaux. Je n’en démords pas.
« Oh mais arrête un peu, écoute mes vocaux, stp!!! Ça me prend moins de temps qu’écrire un message… », etc. MAIS ÇA ME FAIT PERDRE DU TEMPS À MOI, TU COMPRENDS, ÇA? Parce qu’en général, c’est pas un petit message vocal de 30 secondes qu’on reçoit : ce sont plusieurs longs messages de plus de 5 minutes chacun qu’on nous fait subir, on est à la limite du podcast (très, très, très bas de gamme, on s’entend). C’est ça, le problème : la démocratisation du bof, de l’incohérence et de l’imperfection. Et tout le monde s’en fout, ou fait semblant de trouver ça cool que tata Jacqueline s’improvise poète sur WhatsApp à 4 h du matin. Non, elle a besoin de vider son sac, et on devrait tous se cotiser pour lui payer un psy.
Je dois l’avouer, au sujet des vocaux, je me sens un peu comme Fabrice Luchini sur la présence des pianos en accès libre dans les gares… Je suis méga réactionnaire. Je ne pense pas que tout le monde devrait y avoir droit (aïe).
Je suis tellement réactionnaire que maintenant, je prends le temps de rappeler directement les gens qui m’envoient des vocaux pour prendre de leurs nouvelles. Quitte à écouter leur monologue/logorrhée, je préfère le faire en live et tendre l’oreille pour capter ce qu’un vocal ne laisse pas entendre : des réponses spontanées, et des bribes d’impro sur des sujets choisis au hasard.
Il y a quelque temps, Messenger a allongé la durée des vocaux de 1 minute à 30 minutes… Ça me laisse sans voix. Ça me donne juste envie d’envoyer un vocal pour crier très fort, comme mon collègue JP : « J’HAÏS ÇA LES MESSAGES VOCAUX, J’HAÏS ÇA EN ENVOYER ET J’HAÏS ÇA EN RECEVOIR! »
En guise de conclusion, j’aimerais finir par une citation aussi banale qu’un message vocal, dédiée à celles et ceux qui postillonnent plus qu’il n’en faut sur leur écran et qui encombrent les oreilles de leurs destinataires : « Si ce que tu dis n’est pas plus beau que le silence, alors tais-toi. » Posez-vous vraiment la question avant de cliquer sur « envoyer » svp : êtes-vous si intéressant.e que ça, finalement? Telle est la question. Je vous laisse cogiter EN SILENCE. Merci.
PS : Je sais qu’il y a pire que les messages vocaux : les messages dictés par Google & co. La mère d’une amie en abuse depuis quelque temps et voilà le travail :
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La suite au prochain épisode.
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Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
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