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Manifestation pro-palestinienne à Montréal : récit d’un après-midi

Une mer de drapeaux sous un ciel obscur.

Par
Jean Bourbeau
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Les « Salam aleykoum » résonnent dans l’écho du Square Dorchester, au centre-ville de Montréal, lors de cet après-midi de rassemblement pour une communauté à fleur de peau. On y compte autant d’étreintes que de cigarettes allumées l’une après l’autre. Des conversations animées au téléphone se mêlent aux cris de solidarité. À mesure que la foule grandit, une tension à peine voilée s’installe. Les jeunes se couvrent le visage, prêts à courir, n’ayant que faire de ce qu’en penseront les autorités.

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Vous avez vu les nouvelles, la reprise du conflit israélo-palestinien a déjà fait plus d’un millier de victimes en seulement trois jours. Les images d’horreur d’un côté comme de l’autre se succèdent en boucle : bâtiments qui s’effondrent, marchés bombardés, otages traînés dans les rues, ciel illuminé par les tirs de roquettes ainsi que ce festival de musique électronique qui tourne au massacre. L’attaque du Hamas est la plus meurtrière de l’histoire d’Israël. La riposte a déjà commencé. C’est la guerre. L’onde de choc est mondiale.

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Les grands médias sont là, équipés de leurs calepins et de leurs questions, mais on les sent prudents. Les réponses, elles aussi, évitent de se concentrer sur la violence inhumaine des attaques en revenant constamment aux chagrins de Gaza, que Marie-Ève, une étudiante de l’Université Concordia, me décrit comme un territoire humilié au quotidien par la puissance israélienne. « Je ne suis pas là pour défendre l’indéfendable, mais pour montrer mon support inconditionnel envers tous les innocents qui n’ont rien connu d’autre que l’Occupation. »

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Sous les couleurs de l’automne, un ado imberbe brandit une pancarte proclamant « Intifada jusqu’à la victoire ». En dehors de la communauté arabo-musulmane, on remarque quelques révolutionnaires du Vieux-Montréal, des punks, des universitaires, des hipsters arborant des t-shirts vintage « Free Palestine ». Une diversité de militants mettant en évidence que le soutien à la Palestine est solidement ancré dans l’imaginaire de la gauche.

Car pour plusieurs, le combat palestinien est le « David contre Goliath » de notre époque. Un peuple au destin écrasé depuis la création de l’État hébreu en 1948. La Palestine est dorénavant confinée en deux petites enclaves, à savoir la bande de Gaza et la Cisjordanie, toutes deux surpeuplées et plongées dans la pauvreté.

Cependant, devant la brutalité de l’offensive orchestrée par le mouvement islamiste Hamas, prendre position devient plus délicat. Justifier 260 ravers mitraillés, dont l’un est Montréalais, est absurde.

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Derrière, un jeune homme arbore une affiche représentant la célèbre Mosquée Al-Aqsa de Jérusalem, un hommage déguisé au « Déluge Al-Aqsa », le nom de l’attaque surprise initiée le 7 octobre dernier.

Jusqu’à maintenant, nul signe de contre-manifestation. Un vendeur ambulant en profite pour proposer keffiehs, drapeaux, et même des maillots de foot, tout ce qu’il faut pour afficher son soutien à la Palestine. À 20 dollars l’unité, les affaires sont bonnes.

La marche s’inscrit dans un mouvement plus vaste, coordonné à travers les réseaux sociaux et déployé dans de grandes villes de l’Occident, dont New York, Washington, Toronto, Paris, Londres, où les diasporas descendent dans les rues.

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« Six cents et ça continue ! » crie Mike, faisant référence au nombre croissant de victimes israéliennes depuis le début des hostilités. De l’autre côté de la rue, une femme que l’on devine être de confession juive lui répond : « We will fuck you over! » Les deux se retournent mutuellement des doigts d’honneur. Rien d’inhabituel pour les deux solitudes du Moyen-Orient. Les policiers, indifférents au centre de la rue, n’osent pas décroiser leurs bras.

Mike, un Montréalais d’origine palestinienne, ne cache pas son enthousiasme pour l’opération militaire du Hamas : « C’est une libération. Là-bas, si t’es un Arabe, t’es bon que pour les ruelles. Jamais, de toute son histoire, la Palestine n’est passée à l’attaque. Hier, on leur a donné un petit goût de ce qu’ils nous font chaque jour. J’espère qu’ils vont continuer, incha Allah. Vive la Palestine, frère. »

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Sur René-Lévesque, la foule s’époumone avec force : « Israël terroriste, Canada complice » tandis que Ryad, 29 ans, ajuste son keffieh pour cagouler son visage. « Ici, tout le monde est solidaire avec les Autochtones et l’Ukraine, mais ce que les Russes font, c’est pareil à Israël. C’est eux, les vrais terroristes. Une attaque surprise? Qui est surpris? C’est une poudrière depuis 75 ans. Quand tu traites un peuple comme des chiens, la fin justifie les moyens.»

Un avis plus nuancé chez Naila, 35 ans, dont le frère travaille comme enseignant à Gaza City. « Je suis terrifiée. Ils n’ont plus d’électricité, plus d’eau, plus de gaz, plus rien, tout est fermé. J’espère juste qu’il quittera le pays. » Elle répond à un appel, me laissant les yeux gorgés d’eau et un signe de paix au bout de la main.

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Les centaines de manifestants avancent d’un pas déterminé, scandant sans relâche des slogans en trois langues en direction du consulat d’Israël à Westmount. Et ce, en faisant fi des nombreux badauds exprimant leur désapprobation depuis le trottoir.

Un homme brandit un Coran au bout de ses bras, tandis que la foule entonne en chœur « Allahu akbar », suscitant la curiosité des usagers du métro Guy-Concordia. Des pas carburés à la hargne, mais aussi à l’inquiétude. « La riposte m’inquiète beaucoup. Sans objectif clair, la suite des événements sera préoccupante. Chaque fois, c’est la Palestine qui paie le plus cher », me confie une femme qui préfère taire son identité.

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Hassine, 22 ans, venu assister à la démonstration avec ses trois frères, affiche un optimisme plus solide. « Hier, je n’ai pas été capable de dormir. Quand j’ai vu les images pour la première fois, j’étais fier. Pas fier des morts, mais de ma Palestine qui montre qu’elle a encore un peu d’orgueil, malgré tout ce qu’on lui a fait. Cette attaque, c’est une manière de récupérer un honneur, un honneur volé, wesh. »

« La justice, c’est tout ce que l’on demande. La guerre va durer longtemps. Fuck Nétanyahou », rétorque Karim, l’aîné de la fratrie, alors qu’un ami vient de recevoir une vidéo de combat qui rassemble les garçons autour du téléphone portable.

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Cette marche, axée sur l’expression de soutien envers la résistance, met en lumière la conviction partagée selon laquelle le statu quo ne pouvait plus durer. Une étincelle a été allumée dans la poudrière. Les conséquences humaines s’annoncent catastrophiques.

Il n’y aura que des perdants.