Déjà, la date en elle-même polarise. Est-il légitime, voire moral, de commémorer un an de conflit en choisissant le 7 octobre comme point de référence? Cette journée marque, après tout, les attaques meurtrières perpétrées par le Hamas. Un massacre qui toutefois a déclenché les foudres d’Israël sur Gaza et sa population prise au piège. Un sombre épisode qui ouvrait la porte à une année marquée par l’horreur.
« Et une date pour les dizaines de milliers de morts à Gaza, ça existe? », lance froidement un manifestant propalestinien, soulignant la fracture dans les récits.
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Lundi après-midi. Ce n’est pas tant la tension qui règne, mais plutôt une fracture silencieuse, bruyante dans son mutisme. Deux petits groupes se font face devant les portes de McGill, là où les drapeaux s’affrontent encore, comme tant de fois cette année. D’un côté, des étudiants, des parents, des rabbins, encadrés par des policiers en civil et des agents de sécurité privés. De l’autre, la musique arabe résonne, les keffiehs flottent. Deux mondes en rupture. Deux victimes de l’Histoire, chacune légitimant ses cicatrices, façonnées et revendiquées à sa manière.
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Entre les deux camps, un barrage de policiers du SPVM et de la SQ. Ils sont partout : à vélo, à moto, à cheval. Face à l’escalade des tensions, des renforts ont été déployés, non seulement pour sécuriser les campus, mais aussi pour protéger les lieux de culte dans les quartiers à risque. L’objectif est clair : rassurer autant les communautés juive qu’arabo-musulmane, dans un climat d’insécurité.
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L’université McGill, pour sa part, a choisi de fermer son campus pour la journée, à la suite de l’occupation prolongée d’un campement propalestinien qui avait fait polémique tout l’été.
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« Qu’est-ce qui est controversé ? C’est le début d’une révolution. Octobre 2023 a marqué le moment où le vrai visage d’Israël a enfin été révélé. Ce qu’ils faisaient endurer aux Palestiniens a éclat é ce jour-là, et dès le lendemain, l’humiliation a repris. Nous sommes ici pour ne pas oublier. », me dit Jamil, un étudiant enveloppé d’un drapeau libanais devant les portes de McGill.
Le mouvement propalestinien puise également sa force sur le campus de l’Université Concordia, devenu un bastion du militantisme, récemment ébranlé par des actes de vandalisme.
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Sur la rue De Maisonneuve, une foule d’étudiants concernés se rassemble, encagoulés, soignant chaque détail de leur apparence. Après un an de manifestations, le style s’est affiné au fil des saisons, devenant presque une signature.
Au micro, les slogans fusent. L’écho de la foule, mécanique, répond avec précision, bien rôdé. L’appel est désormais familier.
Les médias sont présents en nombre. Tarek, avec son commerce ambulant, ne manque jamais une occasion.
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Parmi la foule, Justine, étudiante à l’Université de Montréal, est là « pour ne pas être complice d’un crime de guerre que l’Histoire finira par juger à sa juste valeur ». Andrea, de Concordia, martèle que sa présence est « un refus de s’agenouiller devant les grandes puissances. Rester humaine face à un génocide qui se déroule sous nos yeux. C’est un geste de solidarité envers les opprimés de toutes les nations. »
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La manifestation s’anime vers Sainte-Catherine alors que le slogan « Police, fasciste, c’est vous les terroristes » résonne, marqué d’un accent anglophone distinct.
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L’angle de Maisonneuve et Drummond devient le théâtre d’une brève confrontation verbale avec un petit groupe brandissant des drapeaux israéliens. Des mots doux s’échangent entre les bleus et les rouges.
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Le cortège s’accélère, le pas se transforme en course à mesure qu’il s’approche de McGill. Un petit groupe se détache vers la montagne pour redescendre à vive allure, franchissant les limites du campus et abattant ses premières barricades.
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L’euphorie est brève. Un deuxième barrage, tenu par des agents de sécurité en sous-effectif, se dresse devant eux. Débordés, les agents finissent par céder. De la peinture rouge et verte éclaboussent sur le gris des murs.
Les manifestants entrent dans McGill.
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Mais la marée propalestinienne se retrouve bientôt piégée par des cordons policiers. La tension monte dans la souricière. Les cris fusent jusqu’à ce qu’une porte s’ouvre soudainement. La foule, libérée, explose en cris de victoire.
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Le groupe rejoint le reste de la manifestation devant la bibliothèque face à un cordon de policiers anti-émeutes. Les grenades lacrymogènes éclatent, et dans la fumée rose, les manifestants s’éloignent, scandant : « Libérez la Palestine ! », la voix éreintée par l’usure.
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« Je suis ici pour que tous les sacrifiés de Gaza ne soient pas oubliés. J’ai honte. Qu’est-ce que je peux faire de plus ? », interroge Laura, une jeune étudiante du cégep Vanier.
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Depuis ce 7 octobre, date où la guerre israélo-palestinienne a brutalement repris, le SPVM a recensé 345 manifestations liées au conflit. Aux côtés des centaines de graffitis, des appels au boycott, et sans oublier les balles tirées, la ville se fracture, à la fois dans ses rues et sur ses réseaux sociaux, sans qu’aucune réconciliation ne se dessine à l’horizon.
Jamais le Montréal que je connais n’a été aussi impliqué dans un conflit aussi lointain et sanglant, se déroulant à plus de 8 000 kilomètres de ses quartiers. De part et d’autre, les communautés locales deviennent la cible d’incidents haineux, exacerbant les tensions.
Un an de bombardements, de démagogie et de division. Là-bas comme ici, rien ne semble s’essouffler.