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La saison des mangues débute à peine. Plage, grillades et recette pour un bon vodka-tòtòt. La définition du bonheur.
Il y a une plage que je connais depuis près de 10 ans dans la région de Jacmel. Un petit bijou de tranquillité.
Découverte par une petite communauté d’étrangers et d’intellectuels haïtiens, elle accueillait généralement des initiés. Bien que des millionnaires y côtoient des pêcheurs, presque chaque maison sur la plage est en chaux ou en bois, recouverte de feuilles de latanier. Le dépaysement parfait pour un voyageur en vacances.
Certains résidants y habitent encore depuis plusieurs générations, surtout derrière la route, même si la plage demeure accessible à tous pour une petite partie de soccer ou de la pêche. Et un habitant peut être « malheureux », comme on dit ici des plus pauvres, la richesse ne l’impressionne pas. C’est un peu le Mile-End des plages de Jacmel, une mixité sociale de toutes les classes. J’y ai même croisé les membres d’Arcade Fire l’année dernière, c’est pour dire. Mais comme le célèbre quartier montréalais, l’attrait communautaire ou culturel laisse souvent place graduellement aux gros bidous.
Depuis l’afflux d’ONG en Haïti suite au séisme, cette plage est devenu le point de rendez-vous de plusieurs étrangers venus se payer une délicieuse grillade de poisson ou de fruits de mer entre deux saucettes.
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La manne (et les crédits d’impôt de 50% pour les institutions touristiques) a été flairée par des gros bonnets des grands centres, et un premier hôtel tout en béton est sur le point d’y être inauguré, avec d’affreuses colonnes romaines.
À se demander si l’architecte est venu voir le terrain avant d’en faire les plans. Un autre devrait suivre dans les prochains mois. Bien sûr, tout ça est entouré de murs de béton, alors que toutes les maisons du quartier sont clôturées par du bois. L’insécurité galopante de certains quartiers de la capitale ne vient pourtant pas jusqu’ici où tout le monde se connait.
En Haïti, surtout chez les parvenus, le béton est roi. C’est comme ça qu’on attire les touristes, pensent-ils. Il semble que le tremblement de terre ne leur a rien appris. Le bois et les techniques traditionnelles, qui font que certaines maisons sont centenaires malgré les multiples ouragans et séismes, ça ne fait pas assez américain, le plus Miami que possible. On dirait que personne ne leur a dit que Miami est la risée architecturale des États-Unis.
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Une autre plage, aux pieds de la ville de Jacmel, avait une largeur de près de dix mètres de sable fin sur presqu’un kilomètre. Des dizaines de restos et kiosques couverts de latanier y ont d’ailleurs été aménagés par la mairie il y a quelques années.
L’ambition touristique (et pécuniaire?) de certains dirigeants en a décidé autrement. Depuis la fin de l’année dernière, une immense route de béton est en construction sur la plage, ne laissant que deux mètres de sable après quelques marches, où finissent par se ramasser toutes les ordures. Tout ça au nom des futurs touristes.
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Une firme dominicaine est chargée des travaux, ce qui fait beaucoup parler à Jacmel. Durant les élections présidentielles de 2010, un riche homme d’affaire dominicain de la construction, leader de l’opposition, aurait financé une partie de la campagne du président haïtien Michel Martelly. Cet homme est aujourd’hui président de la République dominicaine voisine. Certains demandent donc si ce n’est pas un retour d’ascenseur.
En attendant de savoir, il reste les vodka-tòtòt.
Faire une tòtòt est l’art de manier la mangue pour en faire du jus sans l’éplucher. Une fois bien liquide, on fait un petit trou sur la peau du fruit et on applique une légère pression pour laisser sortir le jus. Mélangé avec de la vodka, ça fait des superbes dimanches après-midis à la plage.
Un vrai bonheur.
Twitter: etiennecp