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Manger le Stade

Par
Eugénie Emond
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Halloween ’87. Ma mère nous affuble encore d’hideux déguisements que nous nous repassons mes sœurs et moi Halloween après Halloween. Trois archétypes : la sorcière, le prof Bof et la femme masquée vêtue du peignoir maternel, tous agrémentés des éternels sourcils en triangles, exécutés avec un crayon gras noir plein d’agrégats de fonds de tiroirs.

La nuit tombe vite, la pluie aussi, et on se retrouve dans la voiture aux panneaux de bois, prêtes pour notre quête, parce que l’Halloween dans notre banlieue cossue de la couronne nord de Montréal, on la passe en voiture. Maman se stationne dans la rue et attend patiemment que nous arpentions les entrées jusqu’aux portes imposantes et revenions avec notre butin. Ça regarde pas à la dépense dans le quartier et le trésor est de taille. (D’ailleurs vous devriez y aller ce soir ya même des bonbons Laura Secord : chemin du Bord de l’eau jusqu’au bout.) Notre arrêt préféré, c’est un des ‘manoirs’ de l’île, une grosse baraque qu’on convoitait fort et qui nous donnait un paquet-cadeau composé d’un sac de chips grosseur Costco, de grosses barres de chocolat format régulier et du caramel.

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Plus tard, quand j’ai pris du cerveau, c’est-à-dire que j’ai été à même de faire des liens, j’ai demandé comment les gens du manoir avaient fait fortune. Dans le béton. Surtout avec la construction du stade olympique. Ils défraient d’ailleurs les manchettes par les temps qui courent : financement du Parti libéral, obtention de contrats sans appel d’offres. La routine habituelle. S’en est suivi une série de questionnements confus sur la construction d’édifices publics et l’enrichissement individuel qui menaient tous au même point : chaque fois que je mange leurs chips, c’est un peu du stade qui épouse les parois de mon estomac.

On m’a souvent dit qu’il y avait deux types de riches : les riches de naissance et les parvenus (ça revenait souvent sur le tapis dans un quartier où l’activité annuelle est un bal viennois tenu au club de curling). Les riches de naissance seraient plus sympathiques, voire simples et se vêtiraient avec des matériaux nobles qui durent longtemps, sans faire étalage de leur richesse. Ils conserveraient leur vieux vélo Peugeot et sauraient discuter avec aisance et sur le même ton, tant au ramoneur qu’à la Gouverneure. C’est qu’ils auraient, pas très loin dans leurs souvenirs et encore perceptibles dans leur ADN, des souvenirs de guillotine, alors ils se tiennent les fesses serrées. Les parvenus s’habilleraient plus cheap et plus voyant (beaucoup de rayonne) et chercheraient la sympathie du public à grands coups de chips au ketchup et de soirée de financement pour des organismes de bienfaisance où l’accès est limité et où les personnes aidées par l’œuvre caritative entrent par la porte de service.

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C’est maintenant au tour des parvenus et malfrats de passer au tribunal. La partie est loin d’être gagnée, la populace encore un peu endormie, notre PM et son cabinet fantôme tentent encore de sauver la mise, mais on a tous très hâte que le spectacle commence. C’est l’Halloween et je propose, tant qu’à réclamer une démocratie participative, que vous vous déguisiez. Allez! Ce sera beaucoup plus divertissant, ça vous mettrait peut-être un sourire, et c’est encore plus drôle quand le 31 octobre est passé. Mais pas de costumes de fantôme, la classe moyenne l’a déjà pris avant vous, avant même le cabinet; vous ne la voyez pas et l’écoutez encore sans l’entendre, mais elle en a ras-le-bol et à votre place, je ferais gare à mes fesses.

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