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Mange, prie, bois: fuir son quotidien dans un vignoble de République Tchèque

Récit d’une sommelière wannabe vigneronne en Europe de l’Est.

Par
Emily Campeau
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Dans le fin fond de la Tchéquie, tu roules, tu roules et tu vois rien à l’horizon pis un moment donné tu descends la côte de Němčičky. C’est un micro-village de 1600 habitants englouti par les vignes, dans une région viticole prolifique, mais méconnue, la Moravie du Sud. En juillet, comme le professent tous les vignerons de la région, les paysages sont magnifiques de coteaux croulants sous les vignobles, ça doit être stupéfiants de beauté. En mars, je dois me contenter de googler des images parce que c’est ordinaire en criss. Le village est un peu gris, et si tu n’es pas concentré, il est possible de le traverser sans même s’en rendre compte. Oubliable, rapide, un peu drabe, pas mal à l’image de mes trois derniers prétendants.

Toujours est-il que je me trouve ici début mars, car c’est une autre de mes idées de génie de venir ici pour apprendre à tailler de la vigne et comprendre mieux la région. Une région sensiblement similaire à notre cher Québec, avec des hivers rudes et des étés chauds. Somme toute des conditions climatiques assez extrêmes, ce qui a motivé mon choix de venir ici. Pour pouvoir un jour planter du Muller Thurgau au Québec, pis en faire de quoi de bon, la route est longue. Comme mon précédent voyage en Californie pour les vendanges 2017, c’est une autre étape dans le long apprentissage du travail de la vigne et du vin. Ces stages me permettent de plonger profondément dans la philosophie des vignerons que je choisis, et aussi d’alimenter allègrement les rumeurs qui veulent que je sois toujours en vacances et jamais au Candide.

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Je suis venue ici principalement pour défaire à coups de sécateurs mon image bucolique du travail aux champs. Pour bien me marteler le cerveau que la vigne, c’est une diva qui ferait pâlir Céline d’envie par toutes les attentions spéciales qu’elle demande. La viticulture ne donne pas de répit, chaque pied de vigne est comme un enfant demandant et imprévisible. Mettons 4 hectares de vignes, plantés avec 6000 vignes par hectare, ça te fait 24,000 enfants braillards qui veulent tous se faire bichonner. Je suis venue ici aussi accessoirement, car j’en avais plein le cul de l’hiver québécois, et aussi pour donner un répit à mes histoires d’amour foireuses, qui ont pris un virage sec dans le département du ridicule dans les semaines précédant mon départ. J’avais besoin d’échanger la paire d’yeux bleus que j’aime un peu trop contre le charme froid et grave des Slaves. Y’a rien comme cruiser des gars à l’humour vacillant dans une langue que tu comprends fuck-all pour te faire oublier quelqu’un.

Je suis absolument obsédée par les vins de Richard Stávek depuis cette soirée, et encore plus depuis que j’ai vaguement effleuré la complexité du personnage en passant 10 jours en sa présence.

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Faut dire que je ne l’ai pas choisi au hasard ce stage, et ce vigneron non plus. J’ai jeté mon dévolu (vineux seulement, calm down) sur Richard Stávek lorsque j’ai bu un de ses vins pour la première fois. Disons-le de même, les gens qui aiment le gars et ses vins lui vouent un culte limite inquiétant et je suis entrée dans cette catégorie après avoir bu une bouteille de son Divy Rysak accoté au bar d’un restaurant branché. Je suis absolument obsédée par ses vins depuis cette soirée, et encore plus depuis que j’ai vaguement effleuré la complexité du personnage en passant 10 jours en sa présence.

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Mon arrivée en Moravie a commencé avec une ride de char awkward entre Prague et Němčičky à 160 km/h sur l’autoroute, ponctuée de conversation saccadée en anglais brisé dans une voiture qui a probablement été achetée lorsque je traversais la dure période de la puberté. Rien de mieux comme situation pour apprendre à se connaître. J’ai vite compris pourquoi les gens me répondaient par un sourire poli et légèrement crispé lorsque je leur disais que je partais en stage chez Richard Stávek. C’est un homme de peu de mots, adulé et craint à la fois, et tout le monde semble marcher les fesses serrées en sa présence, y compris moi. Il parle lorsqu’il a quelque chose à dire, et la verbomotrice en moi doit ravaler les 250 niaiseries que j’ai envie de dire, car je suis crissement moins funnée en tchèque traduit, et celles-ci sont tombées à plat à chacune de mes interventions (re : humour tchèque). On parle de vignes, de vinifications, des tâches de demain, pis je m’en tiens à ça. J’ai choisi un druide grognon, qui quitte jamais sa cave, qui fuit les foires viticoles comme la peste, dont les yeux s’allument lorsqu’il met les pieds dans un de ses 21 micro-vignobles. C’est un paysan, un homme de la terre, qui malgré son tempérament ermite, s’impose depuis plus de 20 ans comme un des pionniers du vin naturel fait dans le respect de la nature en Europe de l’Est. Les vins sont à l’image du bonhomme : profonds, substantiels, caractériels, et mystérieux.

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Lorsque je ne suis pas au champ, je passe le reste du temps dans mon petit appart gracieusement prêté par le domaine. Y’a un poêle à bois dans ma chambre, je répète, dans ma chambre. Où je dors sur un lit de camp, avec peu de couvertures, car il y a un poêle à bois dans ma chambre. Vu l’endroit où ledit poêle à bois est placé, je vous laisse deviner la température du reste de l’appartement. C’est littéralement de passer du Brésil au Pôle Nord si je veux aller pisser la nuit. (J’avais-tu vraiment envie?) Qu’à cela ne tienne, j’apporte mon petit chauffage électrique portatif dans la salle de bain lorsque je veux me laver, et dans la cuisine lorsque je veux me faire à manger.

Vu l’endroit où ledit poêle à bois est placé, je vous laisse deviner la température du reste de l’appartement. C’est littéralement de passer du Brésil au Pôle Nord si je veux aller pisser la nuit.

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Il est devenu un ami précieux, je lui parle parfois, son ronronnement brise le silence de mes soirées. Je vis de l’angoisse quant à mon alimentation, car la qualité de l’épicerie de Němčičky est directement proportionnelle à la taille du village. Okok, je ne jouerais pas sur les mots, y’avait vraiment plus de choix au dépanneur chez Popo au coin de la rue quand j’habitais sur Christophe-Colomb. Je me suis moi-même surprise à avoir du plaisir à manger des pâtes froides assaisonnées de Vache qui Rit au jambon.

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C’est se faire donner de belles petites tapes affectueuses sur l’humilité d’être ici. Je suis loin de me plaindre, j’avais besoin de cette réclusion. Je constate chaque jour ma chance d’être ici. Non je reformule, chaque jour je capote d’être un peu pognée dans le fin fond de la Tchéquie avec rien de bon à bouffer et personne à qui parler, puis un évènement magique se produit et je réalise que je me plains la bouche pleine (de chips au paprika et de vins grandioses). Un tasting dans les barils avec Richard qui explique sa façon de vinifier. Une visite chez un vigneron de la région, qui sue visiblement et abondamment de stress pendant que Richard goûte ses vins devant lui.

Un long monologue compréhensible (alléluia) sur les différentes façons d’entraîner les vignes et influencer la production. Des bribes de phrases sur l’histoire viticole post-soviétique de la République Tchèque. Un après-midi à la météo clémente, où y’a juste le silence froid des arbres, le son des vignes qui craquent quand j’arrache les bois morts, l’air qui est frais et moi qui s’entend penser sur le haut de la montagne Vésely. À quoi je pense? Aux yeux bleus rieurs de la caissière du dépanneur quand elle m’a vu acheter tout ce qu’il fallait pour cuisiner un pouding chômeur pour la famille Stávek demain soir.

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