.jpg)
Allô. Je m’appelle Véro, j’ai 32 ans, deux p’tits, je tue les plantes, je peux lire des affaires compliquées pis les enseigner, jongler avec des concepts, faire de la sauce hollandaise à se pitcher su un mur pis ben d’autres affaires. Sauf « ouvrir » adéquatement des choses comme la boîte de céréales, le carton de lait, n’importe quelle boîte en carton ou sac de plastique. Tu ne voudrais pas que je fasse ça, chevous. Pour donner une idée de l’ampleur du problème, quand j’étais avec le père des p’tits, il y avait une clause « Véro, t’as pas le droit de rien n’ouvrir », dans notre chenous, mais c’tait une bonne affaire, ça gosse à la longue. Même moi, je m’énarve.
Mais bon, détail. L’important, c’est que je fasse plein d’affaires. Que j’aie l’air de quelqu’un qui se tient, qui sait gérer ça, la vie, le quotidien dans son grand et son petit. Quelqu’un de « normal », on dirait.
Mais. À toué jours. Mon objectif de la journée est le même, depuis presque deux ans : mange, dors, doux. Le doux est arrivé su’l tard.
Parce que fallait que je maîtrise le mange et le dors, avant. Parce que j’avais oublié, je savais pu, ça m’était devenu abstrait, compliqué. Et par « abstrait », il faut vraiment y comprendre un « je ne sais pas quoi faire et je suis désemparée de ne pas savoir quoi faire parce que me semble que je l’ai toujours su wtf is going on avec moi ».
T’sais.
Quand tu te couches pis que « ça » ne dort pas. Tu tournes, t’as la tête à spin ou à vide, tu fermes les yeux, respires, respires même [misère] dans chaque partie de ton corps, visualises, comptes les moutons, lis Kant, écoutes des films, de la musique douce, des bruits de nature, de vagues, d’oiseaux, bain chaud, douche frette, lait chaud, camomille, valériane, rien à fucking faire. T’as même songé à te faire aligner les chakras, à demander à l’Univers. C’pour dire.
Et je ne parle pas de quelque chose qui dure un jour ou deux, d’une insomnie passagère. Non. Pendant des mois, des années. T’en viens à la nonchaler pas pire, la vie. Nécessairement. Y’a ben les somnifères, mais ça te rend les jours flous, le sommeil de plomb duquel tu te réveilles pareil comme si t’avais pas tant dormi. Et sincèrement, tu aimerais ça dormir de toi-même. Que « ça » dorme. Rêver.
Pis quand en plus de ne pas dormir, tu ne manges pas, parce que ça veut pas, ça remonte, ça refoule, que tu ne sais juste pas quoi faire avec de la nourriture… [C’pas que tu sais pas que tu dois la découper, la mettre dans ta bouche, mastiquer, avaler, recommencer. La mécanique, tu t’en rappelles. C’est plus que tu ne sais plus comment ça peut s’adresser à toi.] et que ça aussi, ça te dure un peu trop longtemps, ben, ça ne fait pas en sorte que tu t’agites la joie très fort dans l’existence. Déjà que ces « incapacités » sont souvent la résultante d’un pas pire manque de joie à exister. D’un trou qui s’est creusé dans le fond de toé pis duquel tu sais pas trop, pas tant, comment sortir. Et le fait que tu sois aussi non-compétent dans tes fonctions humaines de base ne te renvoie qu’à cette idée un peu défaite de ta capacité à être de l’humain. Qui vaille la peine. Qui vaut de quoi.
Bref. À un moment donné, un jour de début d’hiver où je me voyais encore moins que les autres, me suis dit que fallait ben que je me pogne par keke part. Pour que ça arrête, pour que ça recommence, surtout. La vraie vie. Avec des pas faux sourires. Fa’que, j’y suis allée par le plus petit. Le plus commun. Me suis gossé un calendrier. Une semaine à la fois. Plus que ça, c’tait trop loin, pensais même pas m’y rendre, t’sais. Pis là, ça a commencé par manger quelques bouchées de toast pis réussir à dormir deux heures consécutives. Je ne me demandais pas plus que ça. La barre au plus bas, mais tellement et tristement haute, en même temps. Mais c’est de même que je me suis poutrée, resloquée. Tuseule. Ça a pris du temps juste me rendre à un repas complet et une nuit de cinq heures. Mais la fierté, toé. Le calme, aussi, qui tranquillement s’est installé. Collant par collant, pour de vrai, sur mon calendrier à la semaine qui est devenu au mois, qui n’a plus besoin d’être. Je les ai tous gardés. Dans une boîte. Fermée ben serrée.
Y’a eu cette étape où j’ai ajouté « le doux », au mange-dors. Le doux, c’est le moment que j’ai fini par le plus aimer. Au début, ça pouvait très bien juste être capable de ressentir le vent sur ma face pis d’éprouver de quoi qui soit plaisant. J’en visais un par jour, de ces instants. J’ai appris à les « cultiver ». J’ai commencé à les prendre en photos. Question d’avoir là, tout près, une mosaïque de l’heureux, une collection à portée de doigts de ces fois où j’avais été capable de sourire, de ma vautrer dans des cocons de cafés, de drinks, de rires, de fun dans la yeule, de gens que j’aime. Mémoire de secours pour quand la mienne fait défaut. J’ai une mémoire de marde, des fois.
Cela fait que. C’est cela. C’est encore cela. Si je réussis à manger mes deux repas, dormir mon sept heures et ressentir ben du doux dans ma journée, en gros, cette dernière « est faite ». Le reste, c’est juste du surplus, du tant mieux, souvent du « et ben ». Victoires sur soi, le malade, l’affliction. J’ai pu besoin de collants. Le brillant, asteure, yé dans mes yeux. Pis j’aime ça de même.
J’existe aussi là : Les p’tits pis moé, pis là.
Identifiez-vous! (c’est gratuit)
Soyez le premier à commenter!