« En contexte de confinement, vous êtes votre partenaire sexuel le plus sécuritaire. La masturbation, les rencontres téléphoniques et virtuelles ne répandront pas la COVID-19. »
Non, ces mots grivois n’ont pas été prononcés par une coach de vie, mais bien par l’Institut national de santé publique du Québec.
C’est assez rare que l’État se mêle de nos vies sexuelles. Et généralement, quand il le fait, c’est pour nous dire de faire attention aux ITSS ou aux grossesses non planifiées, pas pour nous recommander de nous masturber!
«C’est assez rare que l’État se mêle de nos vies sexuelles.»
Ceci n’est manifestement pas tombé dans l’oreille d’un.e sourde parce que depuis le début de la pandémie, la consommation de pornographie et les ventes de jouets sexuels sont en hausse partout dans le monde. La preuve que le plaisir en solo nous attire de plus en plus, et que la crise y est pour quelque chose.
J’ai eu envie de discuter de masturbation, de sexualité en période de confinement et de plaisir solitaire avec Sara Mathieu-C, membre du CA du Club Sexu, chercheuse en santé sexuelle et créatrice de l’application web Club Solo.
Cartographier les plaisirs solitaires
« Club Solo, c’est une application web conçue par le Club Sexu [un média spécialisé dans la promotion d’image plus positive, ludique et inclusive de la sexualité], qui permet de cartographier spatio-temporellement les séances de masturbation sur une carte interactive, explique Sara Mathieu-C. C’est vraiment un coup de tête en réponse aux recommandations du gouvernement. J’ai moi-même travaillé pendant 7 ans pour la santé publique et j’ai été surprise que la masturbation occupe une si grande place dans les discours officiels. C’est du jamais vu. Et pour une fois, on nous parle de bien-être sexuel et pas juste de prévention. »
«Quand on se connecte sur [Club Solo], on peut voir en temps réel les personnes qui sont en train de se masturber en même temps que nous.»
Si les consignes onaniques du gouvernement en ont refroidi plus d’un.e, Sara Mathieu-C. et le Club Sexu y ont vu une occasion en or d’aborder la masturbation sous toutes ses coutures: pourquoi on se masturbe, particulièrement en temps de confinement, les mythes qui persistent, les moments les plus propices pour se glisser une main dans les bobettes, les techniques, la place qu’on accorde à la masturbation dans notre façon de parler de sexualité, etc. le tout de façon ludique et décomplexée, à l’image des projets du Club Sexu.
« Quand on se connecte sur l’application, on peut voir en temps réel les personnes qui sont en train de se masturber en même temps que nous. On peut aussi reculer dans le temps. Bien sûr, la localisation est approximative, pour préserver l’anonymat des utilisateur.trice.s, affirme Sara. Le but, c’est vraiment de jouer sur la norme sociale, démystifier une pratique encore tabou et de lui redonner ses lettres de noblesse en axant sur le bien-être et le plaisir. »
À ce jour, plus de 2000 personnes ont check in sur Club Solo et ont partagé leurs informations coquines.
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Quand on se connecte sur l’application, on nous demande quelques informations, comme notre identité de genre et si on fait ou non usage d’un jouet ou de porno lors de notre petite séance de fun. Ensuite, la plateforme génère un pseudonyme de type VaselineSuave69 ou DoigtéGénéreux911, et c’est parti (wink wink). Une fois que vous avez «terminé», vous pouvez même évaluer le niveau de plaisir éprouvé. Wanna cum?
Sexe et confinement
« Les études démontrent que la masturbation a plusieurs fonctions, qu’on soit en pandémie ou non, explique Sara, qui s’intéresse à la question depuis plusieurs années. Ça peut être pour relâcher des tensions, nous aider à dormir, nous faire plaisir (plus longtemps qu’un quicky!), explorer des sensations, aider à savoir ce que l’on aime et mieux connaître son corps. » ajoute Sara, en précisant que la masturbation n’a pas à être réduite au rôle de compensation ou de remplacement, en attendant mieux. Pour elle, c’est une activité sexuelle et érotique à part entière, dans le répertoire des possibles. « C’est un mythe de croire que les personnes en couple se masturbent forcément parce qu’ils vivent une insatisfaction avec leur partenaire, par exemple, précise Sara. Ça peut jouer un rôle complémentaire. Et pour les personnes célibataires qui réduisent actuellement leurs contacts, c’est un bel espace de liberté et d’exploration. ».
«Quand le gouvernement annonce un nouveau confinement ou un couvre-feu, les stats des sites pornos montent en flèche.»
Selon la chercheuse en santé sexuelle, depuis le début de la pandémie, les habitudes masturbatoires et sexuelles de la population ont changé, ce qui démontre à quel point le contexte joue sur le désir et les envies. « On remarque que sur les sites pornographiques, il y a un pic de consommation juste après les annonces plus restrictives. Genre, le gouvernement annonce un nouveau confinement ou un couvre-feu, les stats des sites pornos montent en flèche. On observe aussi qu’en ce moment, il y a plus de consommation de porno le matin et le midi, qu’avant la COVID. Le télétravail joue sur ce changement de pratiques, explique Sara.
Du côté des jouets sexuels, les ventes ont bondi au Canada et ailleurs dans le monde. « Je trouve ça intéressant de constater que pour un quart des ventes, ce sont des premiers achats. Ça veut dire qu’une personne sur quatre a franchi le pas et a décidé d’explorer sa sexualité avec des jouets, affirme Sara, qui note que le sujet des sex toys est de moins en moins tabou, sur les réseaux sociaux, notamment. « C’est quasiment rendu que sur Instagram, on partage une recette de pain et une review de sex toy juste après. » remarque Sara, qui voit beaucoup de positif dans la démocratisation du discours entourant la masturbation et la sexualité.
Plus largement, depuis le début de la pandémie, bon nombre de personnes, célibataires ou en couple, notent une baisse de libido. « Il y a des gens qui disent que depuis mars dernier, ils et elles n’ont plus du tout envie de faire l’amour ou même de se masturber, et c’est correct. Ça montre que le stress ambiant, le manque de contact humain, l’anxiété, l’instabilité sociale ont un grand impact sur l’état d’esprit et la libido. » explique la créatrice de Club Solo, en ajoutant que pour les couples qui vivent ensemble, ce n’est pas toujours facile de trouver un moment pour «se rouler la bille».
Make masturbation great again
Si le lancement de Club Solo est d’abord une réponse aux recommandations du gouvernement afin de freiner la propagation du virus, l’approche de la Saint-Valentin constitue un excellent timing. « Ce n’était pas prévu à la base, mais finalement, le moment est parfait, admet Sara. La Saint-Valentin est aussi un moment pour réfléchir aux normes et aux pressions sociales entourant le couple, le célibat, l’amour, le plaisir, etc.».
«La Saint-Valentin est aussi un moment pour réfléchir aux normes et aux pressions sociales.»
Selon Sara et l’équipe du Club Sexu, la question de la masturbation est un excellent moyen d’aborder différents enjeux. « L’application, qu’on considère comme un stunt qui donnera lieu à d’autres contenus plus approfondis, nous permet de parler de plaisir, de sexualité confinée, de la place de la masturbation dans un couple, de la sexualité des personnes célibataires, de l’orgasme, d’exploration, de sexualité en solo, etc » croit Sara, qui mentionne que la Saint-Valentin, à l’instar des autres fêtes de la dernière année, aura des allures quelque peu différentes.
« La Saint-Valentin 2021 ne sera pas évidente pour certaines personnes célibataires, reconnaît Sara. C’est là que le fait de véhiculer un discours ludique, décomplexé, ouvert sur les plaisirs solos devient intéressant, pertinent et rassembleur. » croit Sara, qui invite tout le monde à essayer l’application.
Bonne Saint-Valentin, VaselineSuave69.