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Maison en deuil : la crise du logement sous le prisme de la tristesse 

Le mouvement d'Elisabeth Labelle vise à faire reculer le projet de loi 31.

Par
Laïma A. Gérald
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« La crise du logement du point de vue des locataires est souvent abordée sous l’angle de la colère. Mais moi, je ne peux pas m’empêcher de la ressentir avec une teinte de tristesse », me raconte Elisabeth Labelle, instigatrice du mouvement Maison en deuil qui émerge sur Facebook et Instagram, ces jours-ci.

La goutte qui fait déborder le vase

Au début de la semaine, une enquête menée par le Journal de Montréal révélait que « les ministres du gouvernement Legault possèdent un imposant parc immobilier, qui s’élève à 1,6 M$ en moyenne par élu propriétaire », le tout renforçant « [une] impression de déconnexion envers les ménages locataires québécois qui en arrachent et dont la situation est en train de se détériorer ».

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Ces nouvelles informations, qui surviennent en pleine crise du logement et à l’aube d’un 1er juillet potentiellement tendu (quoi qu’en dise François Legault), font suite à l’annonce du projet de loi 31 déposé par la ministre responsable de l’Habitation, France-Élaine Duranceau. En effet, ce projet de loi permettrait aux propriétaires de refuser une demande de cession de bail « pour un motif autre qu’un motif sérieux ».

Le projet de loi 31, c’est la goutte qui a fait déborder le vase – déjà bien plein – d’Elisabeth Labelle, qui se décrit comme « une locataire engagée ».

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En réponse à la crise du logement, la vingtenaire montréalaise met sur pied Maison en deuil, un mouvement qui milite en faveur de la protection de cession de bail et pour un accès équitable au logement.

« Maison en deuil part d’une démarche très personnelle. Je suis une éternelle locataire et je ne vois pas le jour où je pourrai accéder à la propriété. On est beaucoup de jeunes de ma génération (et de personnes de tous âges, en fait) qui sont dans cette position », raconte Elisabeth qui souligne être très préoccupée par la cause de l’accès aux logements depuis plusieurs années. « Avant la pandémie, j’ai assisté à des situations très troublantes. J’ai été dans la posture de faire la file dehors pour un appartement avec des dizaines d’autres personnes. Des propriétaires m’ont déjà demandé de fournir ma limite de carte de crédit et la marque de ma voiture. […] J’ai vu beaucoup de détresse [chez les locataires] et ça m’a ouvert les yeux. »

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Elisabeth déplore le fait qu’autant de mesures discriminatoires surviennent quand il est question de se loger, ce qu’elle considère comme un droit fondamental et non un privilège réservé à « la crème de la crème. »

La Montréalaise souhaite ainsi fédérer des citoyens et des citoyennes qui, comme elle, veulent protéger l’accès au logement et faire éventuellement reculer le gouvernement quant à l’adoption de la loi 31.

C’est à travers le port d’une petite maison en feutre noir qu’il est désormais possible de montrer son appui à la cause. Ce symbole, qui parle de lui-même, cherche à illustrer « l’écœurantite de l’inaction de gouvernement ainsi que la négation du rapport de force qui existe entre locataires et propriétaires dans le marché locatif », précise Elisabeth, sans pour autant démoniser tous les propriétaires.

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La tristesse par-delà la colère

Au fil de ma conversation téléphonique avec Elisabeth, qui appartient à la même génération que moi et dont les préoccupations sont similaires aux miennes quand il est question de l’accès à la propriété, la politique laisse presque place à la philosophie.

« Tous ces choix politiques en matière de logement et leurs impacts concrets teintent énormément ma vision du futur », me révèle Elisabeth qui accumule les exemples plus parlants les uns que les autres. Le taux directeur qui ne cesse d’augmenter et le prix des maisons, doublés du coût croissant des loyers qui empêchent beaucoup de locataires d’économiser pour une éventuelle mise de fonds : voilà un bien beau cercle vicieux duquel il est difficile de s’extirper sans une aide extérieure.

« Si je voulais fonder une famille, je ne sais pas si je pourrais avoir les moyens d’acheter une maison ou même louer un appartement assez grand et adapté pour accueillir un enfant. Vais-je pouvoir lui offrir sa propre chambre, une cour, un quartier qui offre des services adaptés aux jeunes familles? »

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C’est justement là que la notion de deuil entre en jeu. De nombreux jeunes de notre génération, à Elisabeth et moi, font tout d’abord le deuil de l’accès à la propriété. En outre, certains parents font le deuil d’offrir une chambre adéquate à leur(s) enfant(s) ou de posséder un semblant d’extérieur. D’autres font le deuil d’une maison en ville, d’un quartier bien desservi, de la possibilité d’adopter un animal de compagnie, d’un mode de vie, de commerces de proximité, etc.

« Je pense aussi aux jeunes familles qui se font « rénovicter » ou aux parents qui se séparent et qui peinent à se trouver des appartements à proximité de l’école de leur(s) enfant(s) », soulève Elisabeth en ajoutant que les citadin.e.s contraint.e.s de déménager dans des quartiers plus excentrés risquent d’utiliser davantage leur voiture, ce qui crée inévitablement du trafic et de la pollution.

« On parle beaucoup de crise du logement sous l’angle de la colère. Les gens sont fâchés et indignés, et c’est absolument valide, mais moi, je perçois aussi beaucoup de tristesse. »

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En effet, Elisabeth fait valoir qu’un chez-soi, c’est beaucoup plus qu’un simple « toit sur la tête ». C’est un lieu fondateur, sécuritaire que l’on arrange à notre goût, où l’on crée des souvenirs. C’est un refuge où l’on se dépose, où l’on reçoit des amis, où l’on est vulnérable, que ce soit seul.e, avec des colocataires, avec un être cher ou en famille. C’est un point central où l’on voit les enfants grandir, les couples évoluer, les amitiés se déployer, les projets se concrétiser, les passions s’affiner et les identités se forger.

« Quand on quitte un logement, ça vient souvent avec une certaine nostalgie des bons moments que l’on a vécu en ses murs. C’est à ça aussi que le gouvernement s’attaque, en ce moment », déplore la Montréalaise qui reconnaît son privilège de se sentir en sécurité dans un appartement qu’elle aime, dans un budget qui lui convient et dans un quartier qui lui plait.

Ce qu’Elisabeth illustre, c’est que derrière les statistiques, les chiffres suivis d’un signe de « piasse » et les titres de journaux, il y a des histoires humaines. Il y a des étudiant.e.s, des personnes âgées, des jeunes professionnel.le.s, des familles, des couples, des personnes marginalisées, des nouveaux arrivants qui voient leur vie fragilisée et qui souffrent d’une grande précarité, à la fois financière et émotionnelle.

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Et maintenant, que vais-je faire?

Pour la fondatrice du tout nouveau mouvement Maison en deuil, le plus urgent est de faire reculer le gouvernement quant au projet de loi 31. Pour le futur, elle espère voir la mise en place d’un registre des loyers, la construction de logements abordables, l’abolition de l’interdiction des animaux de compagnie ainsi que l’établissement de réglementations visant à maintenir un accès à un toit plus abordable et équitable.

Elle souhaite aussi que les citoyens et les citoyennes de partout à travers la province s’approprient le mouvement, afin de mettre en lumière les enjeux qui sévissent à l’extérieur des grands centres urbains.

« J’espère que Maison en deuil deviendra plus grand que moi, que le mouvement voyagera. »

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« Je souhaite aussi rassembler des “proprio-alliés” parce que ceci n’a pas à être une guerre entre locataires et propriétaires, rappelle Elisabeth. C’est une vision de la société plus équitable qui est mise de l’avant. »

Vous êtes donc invité.e à découper une petite maison en feutre et à l’épingler sur un vêtement (ou en dessiner une avec un crayon-feutre noir), la prendre en photo et à identifier #MaisonEnDeuil sur les réseaux sociaux. Vous pouvez également accompagner votre photo d’un témoignage, si le cœur vous en dit.

En vous souhaitant le 1er juillet le plus paisible et sécuritaire possible.