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Mais quel est ce culte autour des poupées Sonny Angel?

Incursion dans l'univers niché des petits angelots dénudés que le monde entier s'arrache.

Par
Malia Kounkou
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« La dernière fois qu’on les a mis en rayon, on nous en a volé 12, donc on les met sous vitrine, depuis », m’informe la vendeuse de Kumiz Boutique. Niché à l’extrémité ouest de l’avenue Mont-Royal, c’est actuellement le seul magasin montréalais commercialisant cette denrée rare que le monde entier s’arrache juste un peu moins que l’or : les poupées Sonny Angel.

Ces petites figurines ingénues vendues entre 10 et 30 $ dans pas moins de 33 pays sont une création de l’entreprise japonaise Dream fondée par le concepteur de jouet Toru Soeya. Elles représentent toutes la même chose : un petit bébé masculin de 2 ans, pas plus grand que 7,5 cm, et doté de toutes petites ailes – au cas où « Angel » ne vous aurait pas mis la puce à l’oreille.

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Avec plus de 500 modèles différents au total, ce ne sont pas les collections qui manquent, qu’ils s’agissent de Sonny Angels version fruits, légumes, animaux terrestres, animaux marins, sucreries, décorations de Noël, fleurs de cerisier, ambiance tropicale… l’embarras du choix! Et ça, le public en raffole.

« On peut en vendre jusqu’à 30 par jour et les gens nous appellent sans cesse pour savoir si on a encore telle ou telle collection en stock. C’est fou! », s’exclame l’employée de Kumiz boutique.

Ces petits anges ont toutefois une particularité bien unique : ils viennent tous dans une boîte anonyme, le packaging ne trahissant que la collection d’appartenance de la figurine qu’elle renferme.

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Il y a donc un effet de surprise qui fait tout autant partie de l’expérience Sonny Angel, à en croire la viralité des vidéos de déballage de poupées sur TikTok.

« Moi, je suis devenue fan quand un ami a fait un unboxing de Sonny Angel dans sa story Instagram privée », témoigne Camila, une collectionneuse qui en possède désormais presque une dizaine. « Ça m’a tellement donné envie! »

DES ANGELOTS EN TENUE D’ADAM

Oh, et seconde particularité :

La plupart des Sonny Angels sont nus ou semi-nus. Donc fesses à l’air et parties génitales apparentes.

Et c’est ici que vient généralement l’habituelle grimace de malaise. À cause de cela, certains trouveront ces petites figurines creepy et effrayantes – ne peut-on pas au moins leur mettre une petite couche? D’autres les considèreront mignonnes, mais de nature inappropriée. Des couples se déchireront même sur la question, l’un refusant catégoriquement de partager le même air que ces « minuscules bébés nus » collectionnés par sa compagne.

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Et cet inconfort n’épargne pas les fans, non plus. « Honnêtement? J’ignore leur nudité, maintenant, me confie Camila. Mais je préfère quand même les voir couverts. »

Pour acheter la paix, certains fans leur dessineront même des pantalons, comme en témoigne dans le New York Times la copropriétaire de An.me, un QG réputé pour les collectionneurs new-yorkais de Sonny Angels.

Et les lignes se brouillent encore plus en consultant le site de vente officiel Sonny Angel.

En effet, l’entreprise les décrit simultanément comme de « petits garçons angelots » et de « petits boyfriends ». À moins que ce ne soit des « boy-espace-friends »? Dans le sens amical? Et masculin?

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Point d’interrogation; l’espace interprétatif entre la langue japonaise et celle anglaise nous permet de conclure ce débat sans vraiment le conclure.

D’autant plus que les fans, eux, ont déjà tranché en faveur du côté purement platonique et chérubin des Sonny Angels, à mille lieues de toute sexualisation. Et l’histoire de l’art est de leur côté, car si les chérubins étaient déjà peints et sculptés dans leur plus simple apparat pendant la Renaissance italienne, pourquoi n’être choqué par leur nudité qu’en 2024?

Selon la blogueuse Adi, passionnée de miniatures de collection, il n’y a aucune « signification plus profonde » dans ces figurines que ce qui est déjà sous nos yeux. À savoir, de simples symboles « d’innocence et d’émerveillement enfantin ».

Sans compter qu’au sein de la communauté de fans, percevoir les Sonny Angels comme de petits anges gardiens à portée de main est une croyance fortement répandue.

« Je connais des personnes qui pensent que ce sont de vrais êtres célestes qui te choisissent, ce qui renforce le concept de la boîte anonyme », m’explique Camila.

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C’est d’ailleurs ainsi que ces petits anges sont publicisés sur le site officiel, où l’on peut lire qu’ils ont pour but de « veiller sur vous, vous guérir » à la manière d’une présence divine dont la présence serait souhaitable « à l’entrée de chez vous, à côté de votre lit, sur votre bureau et tant d’autres endroits ».

À condition que vous en ayez suffisamment acheté pour orner tous ces endroits. Très malin!

UN PARFAIT SAFE SPACE

Sur ces petits êtres aux postérieurs litigieux s’est donc construit un empire dont la popularité est nichée, mais indéniable. Partout où il y aura des Sonny Angels, il y aura aussi des ruptures de stock continuelles, des queues interminables pour entrer dans les magasins, 622.7 millions de vues sur TikTok et même Bella Hadid qui postera un petit angelot en story.

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Sans surprise, TikTok est principalement à remercier pour leur gain de popularité exponentiel depuis fin 2022, après plusieurs années à n’être aimés que des connaisseurs. En effet, il faut remonter à 2004 pour assister à la naissance des Sonny Angels qui, à l’époque, étaient de grandes poupées de 18 cm de haut.

« Ça ne se vendait pas vraiment, donc ils en ont fait une figurine et , ça a fonctionné », me raconte l’employée de Kumiz Boutique.

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Depuis, la progression du phénomène ne semble connaître aucun frein, dépassant le rôle de simple figurine de collection à admirer sur une étagère pour devenir également un accessoire du quotidien, qu’il s’agisse de petits porte-clés ou de « hippers » adhésifs à coller sur n’importe quel appareil électronique.

« J’en ai sur mon sac, mon téléphone et mon ordinateur », me liste Camila. D’autres encore en ont accroché à leur anse de sac à main, à l’oreille de leur casque audio, à leur trousseau de clés, au rétroviseur intérieur de leur voiture ou bien les ont posé sur le haut de leur gâteau d’anniversaire.

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Si l’objet en lui-même a trait à l’enfance, la démographie de sa clientèle, elle, est majoritairement adulte et féminine. Quoi de plus logique? Les Sonny Angels ont, après tout, été spécifiquement conçus par Toru Soeya afin d’accompagner « les femmes dans la vingtaine qui travaillent et qui font face au stress de l’âge adulte ».

Se situant exactement dans cette tranche d’âge, Camila comprend parfaitement l’échappatoire, mais aussi le pansement que représentent ces petits anges de collection pour de nombreuses personnes.

« Je pense que les Sonny Angels sont populaires parce que nous sommes toutes dans un processus de guérison intérieure. on s’autorise à collectionner et posséder des bibelots en tant qu’adultes. À s’amuser », se réjouit-elle.

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Et comme le bonheur est encore meilleur quand il est partagé, un lien de communauté relie virtuellement les adeptes qui ne se contentent plus de vivre leur passion dans leur coin en traquant des modèles rares sur eBay et Marketplace pendant leurs temps libres.

Désormais, ils sociabilisent aussi dans des groupes Facebook ou sur des serveurs Discord, s’organisent des meetups dans les grandes métropoles pour faire du troc ou de l’achat de nouvelles figurines, se partagent des techniques sur YouTube pour trouver les Sonny Angels qu’ils désirent ou créent avec ces figurines de petites pièces humoristiques sur TikTok.

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LA RANÇON DU SUCCÈS

Mais ce tableau qui, de loin, peut sembler solidaire, montre aussi les failles d’un univers victime de sa propre popularité lorsqu’on s’en rapproche.

Car si ce ne sont pas les prix des Sonny Angels qui flambent face à une demande soudaine et explosive, ce sont les reventes hors de prix qui forcent les collectionneurs à acheter non plus par passion, mais par crainte de l’inévitable rupture de stock, sans oublier l’intimidation et la toxicité qui sont désormais monnaie courante au sein de certaines communautés virtuelles sur Facebook et X.

Sur son compte TikTok, la collectionneuse philippine smgnzn dira par exemple avoir essuyé des insultes sur son physique en raison de son simple intérêt pour ces petits anges.

« Ce sont juste de petites poupées… Je ne comprends toujours pas pourquoi des gens se font intimider pour ça », DÉPLORE-T-ELLE.

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Quant aux anciens collectionneurs de Sonny Angels, ils n’attendent plus qu’une seule chose : que l’engouement s’apaise enfin pour retrouver non seulement l’ambiance, mais surtout le marché d’antan.

« C’est vraiment décourageant de voir les gens faire autant gonfler les prix […]. J’avais l’habitude d’en acheter quelques-uns chaque année en guise de cadeau spécial pour moi-même, lorsque je les voyais dehors, mais maintenant, j’ai l’impression que c’est impossible », regrette Latter-Virus9830 sur Reddit, qui en collectionne depuis maintenant 10 ans.

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Ce qui l’aide à patienter? La certitude que lorsque toute cette frénésie s’arrêtera, l’âge d’or des invendus débutera.

« Quand le battage médiatique des Sonny Angels s’éteindra inévitablement, je sais qu’il y aura tellement d’anges à acheter, étant donné qu’ils accélèrent leur fabrication en essayant de répondre à la demande actuelle. C’est donc ça qui me fait tenir. »

Mais dans tout ce tourbillon d’offres et de demandes, se pourrait-il que la mission première de bonheur, d’accompagnement et de guérison de ces petits chérubins légèrement vêtus soit un peu trop rapidement oubliée?

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Camila, elle, la garde bien en tête et refuse catégoriquement de tomber dans toute la controverse entourant ces poupées de 7,5 cm.

« Je pense que c’est mignon et que ça adoucit le quotidien », résume celle qui n’y voit pas plus que de simples distractions. « Je sais que certaines personnes ne blaguent vraiment, vraiment pas avec ces poupées… mais pas moi! »