« J’ai parlé avec la dame (Marie-Mireille Bence), j’ai parlé avec une mère qui a perdu son fils abattu par la police. J’aurais probablement fait la même chose à sa place. »
Au bout du fil, la mairesse de Repentigny Chantal Deschamps commente à chaud la décision de la famille de Jean René Junior Olivier de déposer deux plaintes -une de racisme systémique et une en déontologie policière-, presque deux mois jour pour jour après la mort tragique de l’homme de 37 ans au cours d’une intervention policière ayant dérapé (un euphémisme).
Si elle ne s’est pas beaucoup exprimé publiquement sur cette tragique histoire afin, dit-elle, d’éviter d’interférer dans l’enquête policière en cours, Chantal Deschamps assure avoir pris le taureau par les cornes, en plus de s’être adressée cette semaine à ses concitoyen.ne.s par le truchement de sa page FB.
Après 24 ans et six mandats à la tête de Repentigny, la doyenne des mairesses au Québec (avec Suzanne Roy de Sainte-Julie qui tire aussi sa révérence après 25 ans) s’efforce de mettre la maison en ordre avant de quitter. « Je souhaite une relève expérimentée et compétente », espère-t-elle, au terme de l’actuelle campagne municipale.
Cette relève devra faire face à la tempête qui secoue Repentigny, une des villes les plus populeuses de la province (13e), située sur la couronne nord.
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Une tempête qui met sur la sellette les écoles du Centre de services scolaire des Affluents et le corps policier municipal, à qui on reproche de s’adonner au profilage racial. Pour s’en convaincre, suffit de penser à ce rapport accablant produit récemment par des chercheurs sur le comportement des agents municipaux, révélant que les « Noirs sont trois fois plus susceptibles d’être interpellés que les Blancs ».
En entrevue à La Presse il y a une dizaine de jours, la directrice du Service de police de la Ville de Repentigny (SPVR) a fait son mea-culpa et s’est engagée à mettre en chantier d’importants changements d’ici cinq ans au sein de son organisation. Helen Dion refuse toutefois de mettre tous les oeufs dans le même panier, réitérant sa confiance envers ses effectifs.
« Ça change le visage d’une communauté »
La mairesse Chantal Deschamps abonde dans le même sens, sans non plus se mettre la tête dans le sable. « On a reconnu de grandes difficultés, des erreurs de jugement par des agents du service qui n’allaient pas dans le sens de la lutte au racisme, au contraire », admet la première magistrate, qui assure avoir pris les choses en main depuis un an. « J’essaye de ne pas m’immiscer dans les opérations policières, mais le service doit répondre aux valeurs de notre administration. Et la psychoéducatrice en moi (elle a enseigné à l’université avant de se lancer en politique) croit que ça va passer par l’éducation. Ça ne se fera pas en claquant des doigts », prévient Mme Deschamps, citant toutefois un plan d’action déposé récemment par la police.
«la psychoéducatrice en moi croit que ça va passer par l’éducation. Ça ne se fera pas en claquant des doigts»
La mairesse évoque aussi la croissance de Repentigny, qui ne ressemble en rien à cette petite municipalité de banlieue un peu fade qu’elle a prise en charge à la fin des années 90. « Nos mandats changent en fonction de l’évolution de notre communauté. Entre 2006 et 2016, la population issue de l’immigration a augmenté de 135 %. Ça change le visage d’une communauté, si bien qu’il a fallu adapter nos services à nos besoins », confie Chantal Deschamps, ajoutant que la ville s’est engagée il y a quelques années dans un processus de formation au sein de ses employé.e.s pour composer avec cette diversité.
Une première génération nombreuse de Repentignois.es provenant du Maghreb et du Moyen-Orient est venue s’installer récemment, constate la mairesse. « Des gens qui ont tout perdu et tout laissé derrière eux. Ça demande du travail, de l’adaptation et il faut les accueillir à bras ouverts », indique Chantal Deschamps, qui a porté le dossier de l’inclusion au sein de la Communauté métropolitaine de Montréal (CMM), où elle siège à l’exécutif. « J’ai fait beaucoup de porte à porte dans ma vie et ce qui me frappe, c’est que les nouveaux arrivants sont tellement mêlés dans les instances politiques (sur les compétences de chaque palier). Ça prendrait de l’éducation populaire », croit la mairesse.
Avec lucidité, elle admet un décalage des instances sur le nouveau visage de Repentigny. « Est-ce qu’on était prêt? Non. Est-ce qu’on prend les moyens de l’être? Oui », tranche-t-elle, optimiste.
Elle dit sentir un désengagement envers la force policière et croit qu’il faut travailler à rétablir ce lien. « Tous nos policiers ne sont pas racistes, quand même! Ça ne ressemble pas à notre communauté », assure Chantal Deschamps, soulignant que la réalité policière a aussi changé au fil des années.
« Plus de 60 % de nos interventions policières concernent des problèmes de santé mentale et les agents n’ont parfois que quelques secondes pour réagir. Je recommande à chaque nouvelle cohorte (d’élu.e.s) de faire au moins un quart de travail avec les policiers pour comprendre leur réalité », mentionne la mairesse, qui préfère maintenant regarder en avant et tendre la main à l’ensemble de la communauté pour combattre la division. « Je suis extrêmement sensible à tous les citoyens, peu importe leur origine. Tout n’est pas parfait, mais il ne faut surtout pas baisser les bras. On a toujours été une terre d’accueil », affirme Chantal Deschamps.
Une terre d’accueil avec des ancêtres fondateurs
« Je suis née à Repentigny. Mon père a été conseiller municipal (bénévole) pendant 42 ans tandis que mon grand-père et arrière-grand-père ont été maires », raconte Mme Deschamps.
«J’ai senti l’urgence d’être la personne qui pouvait contribuer à changer les choses.»
Même si elle est tombée dedans quand elle était petite, la mairesse n’envisageait pas du tout une carrière en politique. « J’enseignais, je faisais un peu de bénévolat, mais comme citoyenne, je trouvais que c’était le chaos au conseil municipal et qu’il y avait un bris de confiance avec la population. J’ai décidé de sauter sans filet », se remémore Mme Deschamps, qui n’a jamais regretté sa décision. « J’ai senti l’urgence d’être la personne qui pouvait contribuer à changer les choses. »
Lorsqu’elle a brigué la mairie en 1997, il y avait six formations politiques en lice, signe indéniable de la division qui régnait à l’époque à l’hôtel de ville. « J’ai proposé ma plateforme “Repentigny en santé”. Je voyageais beaucoup et je trouvais qu’on avait une ville dortoir ennuyante, plate. Je me disais qu’il fallait redonner à la ville un nouveau souffle. Je pensais faire un seul mandat…», souligne Chantal Deschamps, qui assure ne pas avoir vu ni le temps passer, ni les mandats se succéder.
Il faut dire qu’à son arrivée au pouvoir, tout était à faire. C’était l’époque des fusions municipales sous le gouvernement péquiste. « On a fusionné Le Gardeur et Repentigny, et c’est là qu’on s’est mis à réfléchir à un centre-ville. On n’en avait pas encore », se souvient la mairesse, toujours fière aujourd’hui d’avoir revampé la rue Notre-Dame et attiré des promoteurs. « Je crois à l’urbanisme au service du citoyen », indique-t-elle.
«Là, on doit reconstruire la ville dans la ville»
Première mairesse de Repentigny et de la MRC de l’Assomption, elle a aussi contribué à la naissance de la CMM. D’environ 56 000 citoyens en 1997, elle dirige pour quelques semaines encore une ville avec plus de 85 000 âmes. « On est certainement la première ville qui a atteint la maturité sur son territoire. On n’a plus de terrain, plus d’espace pour se développer. Là, on doit reconstruire la ville dans la ville », reconnaît Mme Deschamps, dont le territoire est zoné agricole à presque 50 % (60 % au niveau de la MRC).
Parmi les legs qui la rendent le plus fière (outre le centre-ville), il y a l’apparition de quatre campus universitaires (pour une trentaine de programmes) dans la région. « On perdait nos jeunes, c’était terrible. Nos campus permettent une rétention », observe la mairesse.
Elle bombe aussi le torse au sujet de l’ouverture l’an passé du théâtre Alphonse-Desjardins, une salle de spectacles pouvant accueillir 400 personnes tout près du Centre d’art Diane-Dufresne. « Après huit ministres de la culture, on a enfin réussi à instaurer un espace culturel au cœur de Repentigny », se targue Chantal Deschamps.
Conseils aux jeunes
À 67 ans, Chantal Deschamps n’aime toujours pas le mot « retraite ». « C’est fini la politique active, mais c’est sûr qu’avec cette expérience, j’ai envie de donner au suivant. Mais je ne veux prendre aucune décision avant plusieurs semaines », affirme cette passionnée, qui a besoin d’un peu de repos après une carrière à travailler sans compter ses heures.
«Je n’enlève rien aux élus des autres paliers, mais au municipal, nous avons un rôle de proximité, on a de l’impact!»
« J’ai réalisé l’importance de la santé durant la pandémie. Je suis en bonne santé, mais je veux retomber sur mes pattes avant de parler d’avenir », ajoute la mairesse, qui ne cache pas que le retrait de la vie politique sera ardu. « C’est ma ville, je l’ai chouchouté, je me sens comme Jean Drapeau, c’est pour ça que j’ai pas fini de donner », assure-t-elle.
Aux jeunes qui seraient tenté.e.s de suivre ces traces, la vétérante a quelques conseils. « C’est un privilège et certainement un des plus beaux métiers du monde. Ce n’est pas toujours rose, mais il faut voir ça comme un processus de résolution de problèmes et ne jamais compter son temps! », lance-t-elle.
La mairesse sortante se verrait bien d’ailleurs dans un rôle de conseillère auprès des jeunes politiciens et politiciennes, encore peu nombreux sur la scène municipale. Selon des chiffres obtenus auprès de la Fédération québécoise des municipalités, 9,3 % des postes de conseillers et conseillères et 1,9 % des postes de maires et mairesses ont été remportés par des jeunes de 18 à 25 ans en 2017. « Je n’enlève rien aux élus des autres paliers, mais au municipal, nous avons un rôle de proximité, on a de l’impact! », assure Chantal Deschamps, se disant toujours aussi passionnée.
Une passion qui rend difficile le fait de tirer sa révérence et passer le flambeau, dans une course qui aura duré prés d’un quart de siècle.