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Magnotta n’est pas le seul cannibale dans la salle

Par
Edouard H.Bond
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— « Have you seen the so-called murder video » ? a demandé froidement Me Leclair, l’avocat du monstre.

L’homme, la jeune trentaine, pas habitué aux interrogatoires mais habillé propre pour l’occasion, a hésité quelques secondes. Excités comme les mouches qui tournoyaient autour de la valise découverte derrière le 5309 place Lucy le 29 mai 2012, les journalistes ont sorti leurs calepins et leurs stylos. Pourtant, il n’y avait pas de quoi s’énerver le poil des jambes, la réponse de l’homme était prévisible comme un calendrier.

– Oui. Euh, yes.

C’était il y a deux semaines, dans la spacieuse salle 3.11, lors du processus de sélection du jury.

***

Hier matin commençait le procès de Luka Rocco Magnotta, accusé, entre autres, du meurtre prémédité de Lin Jun.

Les yeux encore collés par les crottes, armé d’un café trop chaud du McDo et d’un calepin Moleskine flambant neuf, je suis arrivé au Palais de justice de Montréal autour de sept heures. Déjà, les médias faisaient le pied de grue à l’extérieur comme à l’intérieur du 1 rue Notre-Dame Est. Et ce, depuis les aurores.

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J’ai alors appris que le procès allait se dérouler dans la salle 5.01, là où j’avais « rencontré » Magnotta pour la première fois. C’est une petite salle qui accueille peu de spectateurs, que quelques sièges y sont disponibles. Mais elle dispose des moyens techniques adéquats pour ce procès. Une poignée de journalistes privilégiés allait y avoir alors accès, ainsi que des proches de Lin Jun.

La plupart d’entre nous a donc été redirigée vers une salle de débordement au deuxième étage, où nous allions pouvoir suivre le spectacle sur écran géant. J’ai entendu quelques pisse-copie se plaindre de la situation, que ç’avait don’ pas d’bon sens en 2014 de ne pas avoir accès à une salle plus grande pour que la majorité puisse assister à la vraie affaire. Faque quand j’ai vu la vidéo de Radio-Canada sur le couple de curieux de Québec, j’ai pas vu deux crime buffs — gang dont je me réclame, by the way — faire des fous d’eux-même comme ce que les médias sociaux ont voulu nous faire croire; j’y ai vu les journalistes expliquer pourquoi ils voulaient un place dans la crisse de 5.01.

***

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J’ai rarement senti autant de monde me dévisager ainsi — à part peut-être la première fois que Catherine Cormier-Larose m’a invité à faire une lecture lors d’une soirée de poésie.

Les journalistes judiciaires protègent leurs terrains de chasse ; ils n’ont pas envie, et c’est compréhensible, que n’importe quel bozo, bloc-note et stylo en main, vienne fourrer son nez dans leur grand projet « d’informer le monde » sur les crimes qui nous entourent. Le festin qu’offre le palais de justice, c’est à eux et à eux seuls.

Vous auriez dû les voir hier, les yeux injectés de sang, l’écume aux lèvres — de vraies bêtes! En meute de trois, quatre ou cinq du même média! Quand une équipe de reporters chinois est arrivée, ils se sont affolés, ils ont douté de l’angle avec laquelle ils envisageaient la chose. J’ai vu des pleurs, j’ai entendu l’écho de cris de panique dans les couloirs. Certains ne se sont même pas présentés en après-midi pour voir la première série de photos où on nous exposait le tronc démembré de Lin Jun et le cadavre du petit chien noir de Magnotta qui avait participé, bien malgré lui, à la tristement célèbre « so called murder video » 1lunatic1icepick.

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Le procès va durer sept, huit ou neuf semaines, et je sais que je vais être seul tout ce temps. Je ne me nourris pas de la même viande qu’eux, les journalistes. J’ai déjà planté mes crocs dans les meilleurs morceaux, qu’ils continuent à bouffer les cartilages. Ils ne sont que hyènes, je suis le lion.

***

– Voulez-vous faire partie de ce jury ? a demandé glacialement Me Leclair.

– Oui.

– Pourquoi ?

L’homme, suintant la peur, a bafouillé une « mauvaise » réponse. Il a été exempté.

En sortant de la salle d’audience, il a fixé le sol ; il n’avait pas été choisi pour faire partie de la troupe de cet incroyable cirque. Chanceux dans sa malchance, comme qu’on dit.