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Noël 94 en fut un de transition. Et de grands constats, aussi. De grands constats qui résident parfois dans de bien petites choses.
Que mes soutiens-gorges de débutante me feraient sans doute jusqu’au trépas.
Qu’Alex Guindon, inaccessible surfeur des pauvres qui avait défloré Geneviève Bégin sur une table de mississipi, ne consentirait jamais à me ravir la cerise, à moi. Une cerisette qui tardait tant à se hisser au sommet d’un sundae.
N’IMPORTE QUEL SUNDAE.
Qu’importe la brise, on me portait peu d’intérêt; je roulais pourtant ma jupe d’uniforme à mi-jarret et scorais sans merci aux concours de mots croisés du Collège. Alex Guindon devait le savoir; on avait nommé mon nom à l’intercom de l’école, suivi d’un très complice « Passe récupérer ton prix, un Larousse couleur, au bureau de sœur Laurentia ».
Hélas, une fille qui rafle des dictionnaires chez les religieuses n’était apparemment le Choix du Président de personne. Surtout une fille qui, impétueuse, avait décidé, tout juste avant les Fêtes, de quitter sans préavis les rangs de sa gang de jeunes sottes parce que, d’une part, elles me narguaient chaque jour de leur buste prodigieux, mais surtout parce qu’elles vivaient mal la récente découverte de mes origines montagnaises maîtrisées 2/10, une découverte que j’avais décidé de célébrer par l’acquisition d’un imposant bracelet en os de cervidé déniché dans une boutique souvenir du Vieux-Montréal, là où les capteurs de rêve et les sculptures en pierre à savon mettant en scène un Innu après faire une brassée de blanc résument avec justesse et hommage l’héritage des Premières Nations.
C’est donc la Shehaweh bien haute et le carnet de téléphones raturé que j’abordais les vacances de Noël de mes 13 ans, esseulée. Et que je me liai d’amitié avec Paula.
Paula Poupart. Un nom décoré chez Mariette Clermont.
Et une tête triangulaire qu’on aurait sans hésiter pu graver sur un trente sous tant son profil était gracile et son geste, délicat. De la graine de monnaie royale et de timbre poste. Je n’avais jusque-là jamais croisé le regard de Paula Poupart parce que son nom m’indisposait; mais comme je faisais cavalière seule depuis deux jours et que mon inexpérience en équitation commençait à me donner de sévères douleurs pelviennes, un simple échange de sourires niais avait suffi pour couronner, en faisant fi de son nametag, le crâne de Paula Poupart du titre de meilleure-amie-bestie-best-DES FÊTES. Quelque chose de promis au succès.
Après quelques après-midis au Mail Champlain, dans le stationnement du Mail Champlain et sur le trottoir en face du Mail Champlain, Paula Poupart m’avait ENFIN invitée à venir coucher chez elle. Pas coucher chez elle « ton écureuil contre le mien ». Coucher chez elle « Bon Jovi jusqu’à l’acouphène », à écouter des tapes à cassette et à commander des petits snacks d’enfant unique à Murielle.
Murielle, c’était la mère de Paula.
Et comme Murielle n’avait donné la vie qu’à une seule créature (et pris une drôle de décision au baptême), Paula était la toute prunelle de ses yeux.
Ainsi, à chacune des demandes saugrenues de sa fille-tsar, Murielle accédait en courant avec un début d’emphysème dans le toupette et une débarbouillette d’eau froide (en cas).
La neige neigeait pas dans le bon sens?
Murielle élaborait un astucieux système de draps tirés par des poulies pour que la brise change de bord.
Une fringale dans le spa?
Pas de souci. Murielle nous envoyait des petits fours variés dans de minuscules bateaux-repas qu’elle façonnait avec du papier d’aluminium et qu’elle swignait sur l’eau bouillonnante, d’un geste nerveux, jusqu’à nos petites épaules pleines de bubble bath.
Une enthousiaste carpette.
J’ignore ce que Murielle aurait fait si je lui avais confié mes menues réserves sur Piment fort; probablement mis le feu à Normand Brathwaite et ses mains jazz dans un petit bateau en aluminium qu’elle aurait déposé avec grâce sur le fleuve, emporté par les puissantes rafales nées de son astucieux système de draps, avant de me proposer une entrée d’escargots en regardant Normand roussir.
Toujours est-il qu’après avoir exigé que Murielle nous couse des jupes cerceaux, nous commande de la poule, danse le Mia et nous sacre patience, Paula avait décrété qu’on regarderait pas Ciné-Cadeau et qu’il était temps d’aller se coucher.
C’est à ce moment précis que je réalisai que j’avais oublié mes ‘jamas.
Mais Paula était due pour une petite brassée, à court de jaquettes de spare. Et au lieu de simplement me tendre un grand tisheurte des Natchous ou ses boxers cousus en économie familiale, elle aspira bruyamment l’air nécessaire à la prononciation du prénom de sa mère, ce son à lui seul suffisant à faire accourir Murielle avec un extincteur, un métier à tisser et Kim Thuy en stand-by au téléphone.
Tout allait; elle me prêterait nuisette d’occasion. Sitôt partie, sitôt revenue: Murielle me tendit un vêtement blanc plié à l’équerre et qui sentait bon la lavande. J’ondulai donc jusqu’à la salle de bain me parer de ma jaquette mature, quand, en la dépliant, je découvris quelque chose d’inhabituel.
Fort joliment brodé, le très long vêtement de nuit comportait des manches bouffantes et des volants qui aurait fait le bonheur de Charlotte Brontë. Mais à mi-longueur, une ouverture circulaire, un mystérieux petit hublot brodé avec fantaisie, me révélait à la fois culotte et garden party. Timide (ET UN PEU INQUIÈTE), je l’enfilai tout de même et regagnai la chambre de Paula à la course, en espérant que le feu prenne pas en cours de nuitée et que je me ramasse sur le trottoir amanchée de même.
Mais à la seconde où j’entrai dans la chambre, Paula me dévisagea le trou avec horreur, puis me toisa les rétines.
Je la regardai. Puis je regardai le trou.
Elle passa du trou, à mon visage, puis de nouveau au trou. C’est en la regardant me regarder le trou que, du haut de mes 13 ans et de ma fleur encore intacte, je saisis ce qu’on était après vivre.
Murielle ne m’avait pas prêté une chemise de nuit.
ELLE M’AVAIT REFILÉ SA CHEMISE NUPTIALE, brodée du trou par lequel son époux s’était, treize ans plus tôt, inséré l’appendice pour procéder au coït qui, à vue de jaquette, devait bien avoir été le seul coït à jamais avoir été célébré entre ces époux quakers de la couchette.
Cette année-là, la magie des Fêtes (et mon amitié avec Paula) s’est éteinte à jamais dans un orifice de dentelle.
Si quelqu’un pouvait ramasser le cadavre, ce serait fantastique.
La bise.
PS TENDRESSE :: La coiffe en conifère d’en-tête ne sert pas le récit. Elle me fait simplement très plaisir.
Pour lire un autre texte de Catherine Ethier : Tirez-moi un Éric dans l’coeur.
TIREZ-MOI UN ÉRIC DANS L’CŒUR
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