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J’ai l’air louche, à rôder comme ça près d’une aire de jeux pour enfants, au cœur du parc Outremont.
Que voulez-vous, c’est là que j’attends Magalie Lépine-Blondeau, qui m’a donné rendez-vous pour jaser de son nouveau rôle, celui de porte-parole de Parkinson Québec.
Le plan initial était de la rencontrer chez elle, tout près, mais la comédienne préserve jalousement son intimité.
Il a beau faire soleil, c’est assez frisquet. Sauf pour quelques coureurs en short motivés, le parc est plutôt tranquille.
Magalie s’amène au loin, avec des espadrilles et un long manteau.
Je l’avoue, je n’ai pas vu la plupart des émissions dans lesquelles elle a joué, mais je ne suis pas déconnecté pour autant. Je sais bien que Magalie Lépine-Blondeau, une actrice chouchou du public, brille dans un paquet d’affaires et a le vent dans les voiles.
À commencer par son rôle principal dans Simple comme Sylvain, qui vient de plaquer Oppenheimer dans les casiers pour remporter le César du meilleur film étranger. J’ai aussi pu l’admirer dans la série La nuit où Laurier Gaudreault s’est réveillé, tirée de la pièce dans laquelle elle avait au préalable personnifié Chantal, la belle-sœur aussi colorée que ses longs ongles.
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En entrevue à Tout le monde en parle et sur moult tribunes depuis, je la trouve éloquente, nuancée et humble, parfaite pour endosser ce rôle de porte-parole.
Dans cette croisade pour démystifier la maladie, elle peut compter sur l’aide de sa sœur Eugénie, chroniqueuse culturelle et animatrice à Radio-Canada, qui – en attendant d’accoucher tout court – accouchera en mai d’un balado explorant les tabous entourant la maladie de Parkinson, qui touche environ 25 000 Québécois et Québécoises.
Si Magalie décide d’endosser publiquement une première cause à titre de porte-parole (malgré beaucoup de sollicitations et une participation à la campagne Noeudvembre), c’est justement parce que c’est une affaire de famille.
Leur père Marc Blondeau, ex-gestionnaire dans le monde des médias et PDG de la Société de la Place des Arts de Montréal, a reçu un diagnostic de Parkinson il y a cinq ans, au moment de prendre sa retraite.
Pour cette famille tricotée serrée, mettre cette cause en lumière tombait sous le sens. « C’est une initiative commune, qui faisait suite à des discussions en amont. Je ne voulais pas outer mon père, encore moins le brusquer », raconte Magalie Lépine-Blondeau, fière de porter une cause aussi personnelle. « Je ne voulais pas m’éparpiller, mais je pense que c’est essentiel quand on jouit d’une certaine forme de notoriété. Si on ne se met pas au service de plus grand que soi, c’est un peu dépourvu de sens », croit-elle.
« On s’arrête souvent aux tremblements »
Après avoir enchaîné les tribunes depuis une semaine, Magalie se dit étonnée par l’impact de ses sorties publiques. « Je reçois des messages, des témoignages. Les gens disent ressentir de la solitude et de la honte. Je pense que c’était nécessaire d’en parler tellement j’en reçois », confie cette diplômée de l’École nationale de théâtre du Canada, qui a joué plusieurs rôles marquants sur les planches sous la gouverne du metteur en scène Serge Denoncourt.
Elle ne cache pas être partie de très loin quant à ses connaissances sur le Parkinson, à l’instar d’à peu près tout le monde. « Je me suis moi-même butée à cette ignorance totale de la maladie, qui se limitait à Mohammed Ali et Michael J. Fox. On s’arrête souvent aux tremblements », constate la porte-parole, rappelant au passage que 20% des personnes diagnostiquées ont moins de 50 ans.
Elle réalise aussi depuis quelques jours à peine que le simple fait de parler de Parkinson contribue à délier les langues.
« J’étais à Paul Arcand, qui s’est lui aussi ouvert sur la maladie qui afflige son frère et son père (aujourd’hui décédé). Je ne comprends pas pourquoi c’est si stigmatisé », se demande-t-elle.
Bonne question. À quoi impute-t-on cette honte, au juste? « Parce que les symptômes sont nombreux et méconnus, les gens ont peur d’être réduits à la maladie, qu’on cesse de les trouver pertinents », suggère la porte-parole, mentionnant que l’aspect dégénératif du Parkinson peut faire peur et amener les patients à se percevoir comme des morts en sursis.
Sans s’improviser médecin, Magalie Lépine-Blondeau sait qu’on aurait tort de circonscrire la maladie aux tremblements. « La perte des neurones qui conduisent la dopamine entraîne notamment des conséquences sur la motricité, des dissensions cognitives et des raideurs musculaires. C’est sans compter tous les facteurs non moteurs comme l’anxiété et la dépression », énumère la comédienne, soulignant que son père a pour sa part perdu l’odorat.
« Faut paramétrer les projets différemment »
Malgré ce sombre portrait et le caractère incurable de la maladie, le papa de Magalie se porte bien. « Il est autonome, a de bonnes et moins bonnes journées, est très bien suivi et entouré. Il est épatant sur le plan psychologique », louange la Nadine Legrand de District 31.
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La résilience de son père est telle qu’il vient de s’enrôler sur le CA de l’organisme Parkinson Québec. « Il est admirable », résume Magalie, le regard fier.
Quant à sa mère, l’ex-animatrice de radio Manon Lépine, elle n’est pas encore prête à se qualifier de proche aidante. « Mais elle vit elle aussi au quotidien avec le Parkinson. Ils doivent maintenant paramétrer leurs projets différemment », résume Magalie.
Sur une note d’espoir, tout n’est cependant pas noir, dans le monde du Parkinson. Si on n’en guérit pas, on peut au moins vivre très longtemps avec, souligne Magalie.
« Les recherches progressent et les chercheurs québécois sont vraiment reconnus. »
Si l’organisme qu’elle représente cherche toujours à amasser des fonds, Magalie Lépine-Blondeau assure que son objectif premier est d’abord de contribuer à déstigmatiser la maladie. Et devant autant de feedback, force est d’admettre que c’est bien parti. « Je n’ai pas le temps de répondre à tout le monde, mais je leur dirais : vous êtes entendu.e.s et vous n’êtes pas seul.e.s. »
Le privilège d’être une vedette
Je commence à avoir frette aux mains, mais Magalie ne se plaint pas. Je lui propose d’aller dans un café, mais elle préfère prendre l’air. Soit.
Ayant fait le tour de la question du Parkinson, je l’entraîne sur le sujet de la notoriété, la sienne. Rares sont les acteurs et actrices capables d’avoir autant de succès tout en restant dans l’ombre en dehors des plateaux de tournage.
Magalie Lépine-Blondeau est de ce nombre, à la fois omniprésente sur les écrans, mais réservée sur sa vie privée. À part une relation lointaine avec Louis-José Houde, elle cultive discrètement son jardin secret.
Ce n’est pas demain la veille que Magalie pr évoit raconter ce voyage de rêve ou ouvrir les portes de son petit nid douillet aux magazines à potins (ni à URBANIA). « Ça ne m’intéresse pas tant si c’est juste pour servir ma notoriété. Je suis consciente du privilège et de la responsabilité d’avoir un micro et des tribunes. J’apprends à jongler avec ça », admet-elle sans détour, avouant que les demandes sont néanmoins constantes.
« Après vingt ans de métier, je pense que c’est comme dans n’importe quoi : le plus dur, c’est de mettre ses limites. Mais si on y parvient, on finit par avoir du respect en retour.»
L’intégrité vaut cher à une époque où on a l’impression qu’il faut jouer du coude pour se faire une place au soleil. La compétition est féroce et les réseaux sociaux permettent de magnifier son propre culte. Même avec près de 200 000 abonné.e.s sur Instagram, Magalie garde la tête froide. « Je ne veux pas exister pour exister ni devenir comédienne pour me mettre de l’avant. Le fait de ne pas me répandre donne plus de poids aux causes et aux personnages que j’épouse », philosophe-t-elle, citant en exemple Meryl Streep, qui ne se garoche pas devant les caméras pour parler de sa routine beauté. « Ça fait en sorte que j’écoute ce qu’elle dit parce qu’elle m’a rarement déçue. »
Cette attitude un peu plus détachée teinte sa relation avec le travail. En entrevue à Evelyne Charuest (en remplacement de Pénélope McQuade), elle confiait n’avoir travaillé que 20 jours, l’an dernier. « J’ai l’habitude de travailler sur une chose à la fois et de tout donner à un projet. Par moment, je choisis mes projets au compte-goutte. Ma vie est vraiment plus que mon travail, même si mon métier est ma plus grande passion », explique-t-elle.
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En plus du boulot, le voyage occupe aussi une grande place dans sa vie. Magalie a même été porte-parole de l’édition 2023 de l’Expo World Press Photo l’an dernier à Montréal, en plus d’avoir présenté une carte blanche de ses photos croquées sur cinq continents. «Je veux maximiser mon expérience humaine, tout gober des merveilles de cette vie, mais la marde aussi. On traverse ça, on grandit, j’ai la chance de m’en servir ensuite pour des rôles. »
Simple comme saltimbanque
L’entrevue achève, mais pas le choix de revenir sur la fabuleuse aventure de Simple comme Sylvain, s’étant culminé par une victoire aux César. Pour ceux qui reviennent d’une retraite de six mois dans une grotte sans wifi, Magalie Lépine-Blondeau y tient le rôle principal de Sophia, une intello finie qui tombe en amour avec un ouvrier en bâtiment constamment affublé d’une chemise de chasse. « Je savoure tout ça et mesure ma chance. C’est possible que je ne vive plus jamais quelque chose de mieux. Le but n’était pas de coiffer Wim Wenders (Perfect Days) ou Christopher Nolan (Oppenheimer), juste de se frotter à ces géants, c’était déjà grandiose. »
Bon, OK, ça fait quand même un petit velours de planter Christopher Nolan, qui a tout raflé sauf ce César.
« Très sincèrement, je n’ai pas trouvé ça (son film) meilleur que Simple comme Sylvain », lance-t-elle, en riant.
Côté potin, elle ignore si le réalisateur d’Inception était déçu de cette défaite. « Il n’est pas venu au party, mais je suis pas mal sûre qu’il n’avait pas vu le film et qu’il a demandé à quelqu’un de lui envoyer le lien de Simple comme Sylvain », badine-t-elle, en prononçant le titre à l’anglaise.
Si la comédienne dit n’avoir jamais eu d’agenda, elle a toutefois de l’ambition. L’expression the sky is the limit sent peut-être le réchauffé, reste qu’elle s’applique à Magalie, qui refuse de voir la vie de manière verticale. « Je ne me mets pas de limites, je suis une saltimbanque! », s’exclame-t-elle à la blague. Ou pas.
Une saltimbanque bien consciente de tous ses privilèges, comme artiste, mais aussi comme Québécoise, pour celle qui a maintes fois voyagé hors des sentiers battus. « C’est pas pour rien que tant de gens veulent immigrer ici, mais il n’y a rien d’acquis, et ça peut devenir glissant. Ça va mieux qu’ailleurs, mais on voit autant de recul que d’avancées », nuance-t-elle, citant la montée de la peur et de la paranoïa à nos portes, de l’autre côté de la frontière.
Matante Magalie
La politique l’intéresse, mais pas de manière active, juste comme citoyenne. « Je ne suis pas ferrée pour ça. Par contre, je pense que tout est politique. »
Je lui demande son avis sur la frilosité ambiante de la colonie artistique sur les enjeux importants, un contraste avec les artistes d’ailleurs qui profitent souvent des grandes tribunes pour passer des messages. « On est parfois un peu effrayé par la chose intellectuelle, ici. Culturellement, c’est pas ce qu’on met de l’avant », reconnaît Magalie, qui n’hésiterait pas à le faire, avec humilité.
« Je pourrais m’exprimer sur tous les sujets, mais je m’y connais en peu de choses. En fait, je m’intéresse à beaucoup de choses, mais je ne suis experte en rien. »
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Je repars sur mon vélo, les doigts gelés, après une séance photo boboche avec mon cellulaire.
Avant de partir, je lui demande ce qu’on peut souhaiter à quelqu’un qui semble vivre sa best life. « Je m’apprête à être tante, c’est une des plus grandes joies de ma vie. Donc, souhaite-moi de la santé, de la douceur et un monde meilleur pour l’enfant à naître », tranche-t-elle, avant de disparaître dans le parc.
Impossible, toutefois, d’en savoir plus sur le bébé, son nom, son sexe ou la date d’arrivée.
C’est pas une blague, Magalie entretient vraiment son jardin secret.