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À 25 ans, Magali Harvey est l’une des meilleures joueuses de rugby au monde. Faudrait qu’on soit payés cher (et surtout qu’on sache courir vite) pour oser poser le pied sur le même terrain qu’elle. Entretien avec une athlète qui fonce droit vers Rio, et qui en profite pour kicker quelques préjugés au passage.
TEXTE Anne-Diandra Louarn PHOTOS Ian Muir
Ne lui demandez pas pourquoi, mais Magali Harvey a toujours aimé les trophées. Petite, elle déambulait fièrement dans sa maison de Québec en exhibant à bout de bras les distinctions de sa mère, championne de culturisme. “Ses trophées étaient tellement grands! J’admirais ma mère. Je voulais devenir comme elle, quelqu’un d’athlétique, avec un gros trophée”, confie-t-elle dans un éclat de rire. La petite Magali ne le savait pas encore, mais son destin de professionnelle du rugby commençait déjà à s’écrire.
Vingt ans plus tard, son talent en impose… sauf auprès d’Igor, son chat qui n’a pas froid aux yeux et qui, visiblement, avait très envie de se mêler à la conversation tout au long de notre heure d’entretien. Mais bon, peut-être était-il simplement fier d’entendre sa maîtresse me raconter un des moments charnières de sa carrière? Le 13 août 2014, devant les 15 000 spectateurs du stade Jean-Bouin à Paris, la Québécoise se révèle en se lançant dans une course effrénée de plus de 80 mètres lors de la demi-finale de la Coupe du monde de rugby à XV. Dans son sprint, elle esquive avec brio deux tentatives de plaquage des adversaires françaises, le tout achevé par un essai spectaculaire. Les images font le tour du monde : l’athlète a tout juste 24 ans et démontre en quelques secondes que les femmes (de surcroît nord-américaines) savent elles aussi jouer à ce sport « de brutes ». Si vous êtes comme moi, même en connaissant le punch, vous ne pourrez pas vous empêcher de pousser un cri de joie devant la vidéo. Allez-y, elle est sur YouTube (mais revenez lire la suite de l’histoire après)!
Avec 61 points au compteur accumulés durant la compétition, Magali a largement contribué à hisser le Canada en finale. Sa performance sera couronnée par le titre ultime de meilleure joueuse au monde. La presse, dithyrambique, parle du “réveil des Nord-Américaines”, d’une joueuse “virevoltante”, et le Canada met enfin un visage sur le rugby au féminin.
LE RUGBY, UNE HISTOIRE D’AMOUR INATTENDUE
Au secondaire, les débuts de Magali au rugby ont toutefois été beaucoup moins glorieux : “Personne ne savait jouer, y compris les coachs. Dans mon groupe de 10, on était trop pour jouer au rugby à XII et pas assez pour jouer au rugby à XV”, se souvient-elle. Mais la dynamique du jeu lui a instantanément plu.
En moins de temps qu’il n’en faut pour crier “Crouch! Touch! Set!”, la jeune rugbywoman et son entourage se rendent compte qu’elle est rapide. Plus rapide que tous les autres, y compris les gars. Elle est alors recrutée par la St. Francis Xavier University en Nouvelle-Écosse et remporte les championnats nationaux dans la foulée. C’est là que tout s’accélère. Elle connaît sa première sélection pour l’équipe nationale de rugby à VII en 2010 à Las Vegas. La même année, elle est aussi retenue pour sa première Coupe du monde, en Angleterre. “À partir de là, j’ai commencé à prendre les choses un peu au sérieux.”
PAS QU’UNE AFFAIRE DE MUSCLES ET DE BLEUS
Le rugby, Magali en aime tous les aspects : physiques, stratégiques et psychologiques, en position d’ailière ou d’arrière. “Oui c’est un sport d’équipe, mais chacun a quelque chose à y apporter. J’adore me retrouver face à mon adversaire, les yeux dans les yeux, essayant de lire la position de ses hanches, où elle veut aller, la faire douter.”
Cela dit, les clichés réducteurs définissant le rugby uniquement par la violence et la puissance physique décérébrée ont la vie dure. Sport olympique entre 1900 et 1924, le rugby (évidemment masculin!) est supprimé des Jeux lorsque la finale opposant la France aux États-Unis tourne au pugilat. Plaquages sanglants, fautes dangereuses, attitudes irrespectueuses sur le terrain… le match est résumé à l’époque par une petite phrase restée célèbre du joueur français Allan Muhr : “C’est ce qu’on peut faire de mieux sans couteaux ni revolvers.”
Après des décennies d’attente, l’ovalie fera son grand retour dans le programme olympique en 2016 sous la forme du rugby à VII, masculin et féminin. Une occasion en or pour tenter de gommer les stéréotypes et populariser davantage le rugby au Canada. “On a commencé à s’intéresser au soccer féminin quand l’équipe canadienne a remporté la troisième place aux Jeux de Londres. Personne ne s’attendait à ça. Nous aussi, on est capables d’avoir de bons résultats. J’espère que ça aura le même effet sur le public et que le rugby s’ancrera un peu plus dans notre culture”, commente Magali.
L’OBSTACLE D’ÊTRE UNE FEMME EN RUGBY
Mais pour elle comme pour les autres joueuses, le combat se déroule aussi sur un autre tableau, celui de l’équité. La situation en tant que femme est, du propre aveu de Magali, parfois pénible : “Dans notre équipe, on est chanceuses. Comme on a eu du succès, on a aussi eu du soutien financier grâce à des organismes pour futurs olympiens comme B2Dix. Mais dans le rugby à XV, comme ce n’est pas un sport olympique, on n’a aucune aide. Les filles qui sont allées à la Coupe du monde 2014 ont dû payer chacune leur part, alors que l’on a fini deuxièmes! Les hommes, eux, sont payés pour y aller, mais vont finir derniers. La frustration est là. » Je n’ai pas pu m’empêcher de lui lâcher un « wait, what?”. Même Igor s’est permis un miaulement d’indignation. Elle a ri, on a ri. Jaune.
Frustrée, certes, mais avant tout déterminée, notre battante poursuit son chemin avec pour objectif de participer de nouveau à la Coupe du monde de rugby à XV. À la fois “une obligation” et “une fierté”, après avoir reçu le titre de meilleure joueuse en 2014. “Je ne pense pas plus loin que cela pour l’instant. C’est un sport de contact : tu ne sais jamais ce qui va se passer, si ton corps pourra tenir plus longtemps. Ça me ferait un immense plaisir de représenter encore mon pays en 2020, mais d’ici là, il y en aura probablement de bien meilleures que moi”, souligne-t-elle, sans pour autant trop songer à sa vie post-rugby.
“À l’université, j’étudiais en administration. J’y retournerai peut-être lorsque je prendrai ma retraite du sport.” En attendant, la petite Magali devenue grande a encore une longue liste de rêves sportifs à accomplir et de nombreux trophées à soulever, des trophées peut-être même aussi grands que ceux de sa maman.
Naissance
16 août 1990
Taille
1,65 m / 5’5″
Position
Arrière ou ailière
Club
Club de rugby de Québec
2e meilleure scoreuse lors de la Coupe du monde 2014
Meilleure joueuse
de rugby à XV au monde en 2014, selon l’Internationnal Rugby Board
Rituel
Elle porte les mêmes sous-vêtements à tous les matchs.
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