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Ma révolution tranquille

Par
Mélissa Verreault
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J’ai toujours été du genre à m’insurger contre l’injustice, à rougir d’émotions lorsqu’on portait atteinte à mes valeurs, à défendre passionnément la veuve, l’orphelin et tous leurs voisins. Mais depuis quelques semaines, on dirait que plus rien ne me fait ni chaud ni froid –peut-être un petit peu plus froid que chaud quand même, à cause du facteur vent.

Je suis fatiguée. Pas entièrement blasée, juste réaliste, probablement. Ou vieille ? Je fais ma petite affaire sans rien demander à personne. La vie est si facile depuis. Je continue de contribuer à ma manière, du mieux que je le peux. De déposer mon carton au recyclage, de mettre du petit change dans le gobelet de café vide d’un itinérant une fois de temps en temps, d’être une oreille attentive pour mes amis, de penser aux autres, mais aussi à moi. Je crois humblement que je suis une bonne personne. Simplement, je ne me bats plus.

Quand, aux nouvelles, Céline me parle du soulèvement populaire en Tunisie, du retour de Duvalier en Haïti, de la crise en Côte d’Ivoire, du rapport (inutile) de Bastarache, des caisses de fonds de pension qui se vident aussi rapidement que des boîtes de Smarties, du 5e anniversaire de la prise de pouvoir de Harper, de la tuerie à Tucson, de tout ce qui ne va pas mais alors là pas du tout, je demeure insensible. Même les bonnes nouvelles me laissent indifférente. J’aurais dû me réjouir, moi qui ai signé la pétition pour un moratoire sur les gaz de schiste, en apprenant que le ministre québécois de l’Environnement était soudainement devenu inquiet des conséquences que pourraient avoir cette industrie. Je n’ai pas levé un seul poil de sourcil. Je m’en fous. Le monde peut bien faire ce qu’il veut, je n’en ai plus rien à cirer.

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Je compte bien aller voter, la prochaine fois que la population sera appelée aux urnes, par réflexes, par principe, je ne sais trop, mais j’irai. Je continuerai de respecter les lois, la signalisation routière et les croyances religieuses de mes compatriotes. Je ne suis pas devenue anarchiste, nihiliste, défaitiste ou spiritualohomophobiste, comme notre amie Brigitte. Je n’ai pas déchiré mon contrat social, je ne compte pas démissionner de mon rôle de citoyenne, je ne suis pas au bord du suicide. Le monde est parfois beau, les gens sont souvent gentils et je suis, généralement, heureuse. C’est tout.

Qu’est-ce qui m’est arrivé ? D’où me vient cette soudaine neutralité, cette indifférence doublée d’une sérénité étrange ? Est-ce un nouveau virus qui court – l’équivalent du H1N1, version 2011 ? C’est la saison après tout. J’ai peut-être chopé une sale cochonnerie qui me rongera tranquillement jusqu’à ce qu’il ne me reste plus aucune sensibilité. Pourtant, il y avait longtemps que je ne m’étais pas sentie aussi bien. Mon horoscope – l’ancien, celui d’avant la crise des signes du zodiaque – le dit lui aussi : vous avez la forme. Rien ne pourrait vous arrêter.

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Je devrais peut-être aller voir un docteur, histoire de m’assurer que je ne couvre pas une dépression aigue qui aurait décidé de se déguiser en bonheur tranquille. Je n’ai pas de médecin de famille, alors je devrais aller au sans rendez-vous. Et quand la réceptionniste me demanderait d’indiquer sur un bout de papier la raison de ma visite, j’écrirais quiétude inhabituelle. Elle m’inviterait alors gentiment (ou bêtement, faut pas trop espérer) à rentrer chez moi. Ce que je ferais, sans broncher. Parce que ce ne serait pas grave. Rien ne l’est plus, voilà.