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Ma première Saint-Jean

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Pendant ma période prépubère, je jalousais ma grande sœur qui allait célébrer la Saint-Jean en ville. Moi aussi, je voulais aller me perdre dans un parc rempli de gens un peu débiles et vivre une adolescence rebelle. Mais je devais patiemment attendre le jour où ma mère me donnerait le GO pour aller faire la bamboula avec de la bière cheap entre deux sapins des Plaines d’Abraham.

Heureusement, le jour J arriva enfin, un certain soir du 23 juin de l’année 2007.

J’avais 17 ans. Le pre-drink session se déroulait chez une amie qui habitait à 20 minutes à pied de chez moi. Ça s’annonçait une nuit formidable : j’allais virer ma première vraie brosse et en plus, j’avais une date Doyoulookgood à minuit devant le McDo en ville.

Je venais à peine de mettre l’orteil chez ma camarade avec mon 6 packs de canettes Budweiser que les shots de Triple sec venaient à moi comme par magie. Avec le recul, je me suis demandé qui, dans cette vie, prend la décision de se paqueter la fraise avec des shots de Triple sec? La réponse est simple: à peu près personne qui a les papilles gustatives le moindrement développées, parce que ça goûte l’urine de chacal mélangé avec du wasabi. Mais à l’époque, le but était d’être feeling le plus rapidement possible, et ce, peu importe le liquide qui s’infiltrait dans notre œsophage. Le début de ma soirée s’est donc résumé à un shot infecte par ci, une gorgée de Budweiser en canette tout aussi infecte par là. Puis il devait arriver ce qui arriva.

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21h00 tapante sonna à l’horloge et je me prénommais dorénavant Ginette. Je voyais littéralement double: mes comparses avaient 4 yeux, 2 nez et beaucoup trop de dents. La soirée commençait pour tout le monde alors que moi j’étais déjà finie. Mes amies ne croyaient pas que j’étais à ce point défoncée et m’ont trimballée tant bien que mal jusqu’à l’arrêt d’autobus. Malgré l’épave que j’étais, j’ai eu assez de force pour me déprendre de leur emprise et refuser la ride dans le bus. On m’a abandonnée sur le coin d’une rue, semi-morte, avec mon envie grandissante de me vider les entrailles.

J’étais seule dans un quartier louche que je ne connaissais pas trop avec des lampadaires qui clignotaient, des rues désertes et pas l’ombre d’un humain dans les parages. Étais-je dans une ville fantôme? Allais-je me faire kidnapper par des zombies? Je savais que je ne pouvais pas rester là, mais je ne possédais pas de cellulaire ni de monnaie pour appeler ma mère de la cabine téléphonique. Je n’avais aucun point de repère, sauf la criss de grosse côte à pic que j’avais empruntée pour me rendre ici quelques heures avant. Dans l’état dans lequel je me trouvais, on aurait pu me raser la tête, m’arracher les cils, me voler un rein, me renverser un 40 oz de vodka dans le dos ou me hurler une toune de Normand L’Amour dans l’oreille, je n’aurais pas bronché d’un poil.

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Puis, tout à coup, un petit rot de trop s’est exprimé et j’ai régurgité le contenu presque total de mon estomac. Je me suis endormie sur le banc, la tête appuyée sur la vitre de l’abribus. Je me suis réveillée en sursaut parce que des individus mongoles beuglaient Bonne Saint-Jean à un chat errant. J’ai tenté de m’enfuir de ce satané arrêt de bus et de laisser mes restants de manger derrière, mais je fus incapable de mettre un pied devant l’autre sans me sentir comme dans le Cobra à la Ronde. Je me suis rassise sur le banc, j’ai revomi, j’ai siesté, et ainsi de suite pendant un laps de temps assez long pour que je puisse voir le matin arriver.

Le soleil commençait à éclairer les trottoirs sales parsemés de bières cassées, et j’en ai conclu que c’était now or never. J’ai pris mon courage à 2 mains, je me suis levée et d’un pas courageux et calculé comme Neil Armstrong sur la Lune, j’ai traîné mon restant de corps humain sur la route qui me menait à la maison. J’ai marché pendant une heure et demie pour me rendre. Janine Sutto l’aurait fait en 12 minutes.

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Quand je suis finalement arrivée chez moi, je me sentais exactement comme si je venais de compléter une promenade de 49 ans dans le Sahara et que j’atteignais enfin un grandiose oasis avec une flaque d’eau géante. J’ai remercié ma mère d’avoir laissé la porte débarrée et j’ai zigzagué jusque dans ma chambre avant de m’effondrer en étoile sur le plancher.

Le lendemain, ma mère est venue me voir dans ma chambre en me demandant :

“Pis ma chérie, ton party?”

P.S. Je n’ai jamais vu le gars de Doyoulookgood.