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Ma première fois : Slap Shot

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Pour ceux qui ne connaissent pas le concept, “Ma première fois”, c’est une expérience anthropologico-cinématographique où on fait écouter un film-culte québécois à notre éloquente stagiaire belge Elisabeth.

Cette fois-ci, on a un peu dérogé au concept. Le film n’est pas québécois à proprement parler, mais il est néanmoins culte au Québec en raison de son légendaire doublage. Si ça ne fait pas votre affaire qu’on triche, on va vous pitcher un wrench!

Résume le film en 100 mots maximum:

Dans la ville de Charlestown aux États-Unis, l’équipe locale de hockey, les Chiefs, ne brille plus depuis longtemps. L’époque a changé et les supporters doivent eux-mêmes faire face à un climat socio-économique tendu : l’usine du coin met la clé sous la porte, laissant sans emploi 10 000 ouvriers. Le pouvoir d’achat en prend un coup et les tribunes risquent d’être cette fois totalement désertées. Pour sauver le club de la liquidation, Reggie Dunlop, le coach, se met en tête de faire de chaque match un spectacle en donnant au peuple du jeu, à défaut du pain. Évoluant sur la patinoire comme dans un vrai ring de boxe, les Chiefs s’éloignent du hockey « comme dans le temps » mais à quel prix ?

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Décris les personnages principaux en quelques phrases (physique et traits de caractère):

Reggie Dunlop / Le coach vétéran et Francine / L’ex-femme : vieux-beau, Reggie porte des caleçons à motifs et continue à jouer les séducteurs même si il approche tout doucement de la retraite. Il s’accroche à son poste comme un crabe sur un rocher : il lui a consacré toute sa vie et lui a même sacrifié son couple, à tel point qu’il se sent aujourd’hui « incapable de faire du 9 à 5 ». Reggie est toujours amoureux de son ex-épouse, Francine, qui, elle, a tourné la page. C’est une belle femme, élégante, qui ne joue pas dans la même cour que les autres. Alors que certaines sont restées malgré les disputes et les déceptions, Francine a pris sa vie en main il y a bien des années quand elle a décidé de quitter son mari. Ils n’ont pas d’enfant mais Reggie considère Ned comme un fils spirituel, même si ce dernier voit les nouvelles stratégies de jeu de l’entraineur d’un très mauvais œil.

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Ned Braden et Lili : Jeune, beau, instruit, Ned joue au hockey par passion et c’est aussi l’idole du public. Il montre beaucoup d’affection à son chien et très peu à sa femme, Lili, qui trompe l’ennui en levant le coude plus que de raison. C’est une femme de joueur comme toutes les autres, sauf qu’elle ne rêve que d’une chose : s’en aller de cette « place de cul ». Ce n’est pas le cas de Ned qui « se trouve très bien ici ». Reggie reconnaît dans cette relation son propre couple et essaye de rendre Ned jaloux en dragouillant Lili, pour qu’il réagisse et lui prouve son amour. [Méthode souvent utilisée au cinéma mais déconseillée dans la vraie vie.]

Dave aka Killer : Moins beau, moins instruit et moins talentueux que Ned, il est le joueur n°2, l’éclipsé. En plus, il est roux. Quand Ned prend ces distances avec Reggie par rapport à leur nouvel esprit de jeu, Dave saute dans la brèche et sur les joueurs de l’équipe adverse dans l’espoir de devenir le nouveau chouchou du coach. Reggie c’est sa plus grande inspiration, avec les disques de méditation.

Les frères Hanson : Frères mais pas triplés, même si ils ont tous les trois la même belle tête de vainqueur. Repêchés d’une ligue de bagarreurs, l’équipe a d’abord du mal à les cerner – « Y sont fous comme braque ces ostie là! » – mais finit par comprendre à qui elle a affaire une fois qu’ils se retrouvent sur la glace.

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Joe McGrath – Le président : Bien qu’il soit attaché au club, il met tout en œuvre pour vendre les Chiefs et assurer ses arrières dès qu’il comprend que l’usine s’apprête à fermer. On apprend plus tard dans le film que Joe est homosexuel et aime se travestir (et ne veut surtout pas que cela se sache). Il est aussi le père de Ned Braden mais entretient avec lui une relation conflictuelle.

Quel est le contexte socio-historique dans lequel se déroule l’histoire du film?

– Libéralisation économique et dégradation du lien social : avec la libéralisation économique, les usines les moins rentables sont obligées de fermer. Tout est soumis à des critères de profit, même le sport : si un club ne permet pas à certains de s’enrichir, il n’a donc aucune raison d’exister. Cette dérégularisation de tous les marchés entraine avec elle les lieux de vie communautaires, désertés par les gens qui, soit quittent leurs villes de province pour s’entasser dans des villes plus grandes où il est plus facile de trouver du travail, soit restent chez eux faute d’argent à dépenser. D’où la mise en péril des Chiefs.

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– La libération des mœurs et féminisme deuxième vague : entre Francine et Lili, les femmes s’émancipent et affirment leurs indépendances face à des hommes qui ont peu d’ambition. On peut aussi ajouter à la liste Suzanne, ex-femme de joueur elle aussi, qui dit avoir découvert sa bisexualité un soir, où discutant avec une copine, elles ont réalisé qu’elles n’avaient « jamais vraiment fait de choses par elles-mêmes. » À ce propos, le coach dit « Tous les soirs que le bon Dieu amène, je pense aux femmes dans leurs beaux petits corps mais peut-être que je vais changer et que je vais finir par m’endormir avec un gros lard, qui sait, de nos jours ça dérange personne. » Reggie se qualifie plus tard comme « sexuellement libéré » en s’adressant au Président du Club qui, de toute évidence, a quelques soucis avec sa propre identité. C’est en partie la raison pour laquelle son fils Ned est sur le plan sentimental plutôt introverti, jusqu’au moment où lui-même décide de briser son personnage de sportif viril en entreprenant un strip-tease sur la glace dans l’espoir de reconquérir sa fiancée. Bref, les relations entre les hommes et les femmes sont en train d’évoluer, même les propos graveleux de Maurice à propos des pom-pom girls [j’ignore le terme quand il s’agit de hockey] sont mal vus par le reste de l’équipe – « Tu me donnes mal au cœur quand tu parles Maurice » lui répond alors Denis [qui, juste après, dit d’une des filles qu’elle a été fourrée, bel effort quand même].

D’après toi, quelles répliques tirées de ce film sont devenues des classiques?

Parmi celles que j’ai clairement comprises :
“Écoute Joe, j’en ai plein le cul de tes maudites farces. Y a rien dans mon contrat qui dit que je dois m’habiller en folle à une parade de mode, pas vrai?” [J’avais compris parade de nounes, j’ai checké sur Google et vu que c’était pas ça, mais je le note quand même parce que je trouvais la première version plus drôle.]

– « [ ? ] Tu nous as acheté trois crisse de mongols ! »

– « Trade me right fucking now ! »

– « Voyons donc Suzanne, une belle femme comme toué. »

– « Tu peux pas mettre à prix la tête d’un homme Reggie. »
– « Je viens de le faire ! »

Toujours selon toi, quelle scène du film est la plus célèbre?

Probablement la scène où les frères Hanson déclenchent une bagarre en plein milieu de l’échauffement, avec les gros plans sur leurs visages ensanglantés et l’hymne national en musique de fond.

En fait, n’importe quelle scène où jouent les frères Hanson.

Pourquoi crois-tu que ce film est devenu culte au Québec?

Grâce à son doublage. En version originale, ça aurait juste été un autre film états-unien qui parle de hockey et le choix du français standard relevait du non-sens puisque le hockey fait partie de la culture canadienne. Doubler en québécois, c’était reconnaitre l’existence d’une culture francophone nord-américaine, qui mérite une place aux côtés de celles française et états-unienne. À ce propos, une scène est particulièrement parlante à mes yeux : celle où les joueurs regardent un soap-opera à la télévision dans un bar. Les personnages à l’écran parlent avec l’accent français standard alors que les joueurs commentent en québécois. Je la vois comme un clin d’oeil aux spectateurs qui, tous les jours, se retrouvent dans la même position, à écouter des séries dans une langue qui n’est pas celle qu’ils parlent, sur des sujets qui ne les concernent pas. On peut observer la même chose en Belgique ou même dans certaines régions de France. C’est tout le débat du centre et de la périphérie, et du choix d’un français standard en opposition à d’autres qui deviennent « vulgaires ».

Quelle est ton appréciation personnelle?

Je pense que sans le doublage, le film ne m’aurait pas marquée plus que ça. Mais l’ajout des sacres c’est vraiment jouissif et me rend en même temps bien triste parce que je suis consciente que mes calices resteront toujours des c-words : pas légitimes.

Pour nous faire rire un peu, choisis une réplique bien grasse et essaie de l’adapter en français international (ou en bruxellois si tu trouves ça plus drôle.)

« Votre garçon a l’air d’une future tapette, vous feriez mieux de vous marier, sans ça y a des chances qu’un beau matin vous trouviez votre gars en train de sucer un homme.»

Ton ket c’t une future Janet, t’ferais bien de te trouver un pey ou d’main y sucera des tichs ici.

Crois-tu que la décision d’opter pour un doublage en québécois, plutôt qu’en français international, a bien servi le film ou lui a-t-elle plutôt nui?

Je pense que le doublage a bien servi le film et était même incontournable, comme je l’ai expliqué plus haut.

En Europe, comment percevez-vous vos propres doublages de films de sports américains? Réalisez-vous qu’ils n’ont pas rapport?

Vous voulez parler de ça ?

“Oh putain ma dent, enfoiré.”

À la télévision, que ce soit en France ou en Belgique francophone, la plupart des films étrangers sont doublés. C’est tellement fréquent qu’on ne s’en aperçoit même plus. Mais la différence entre un film comme celui ci-dessus et Slap Shot c’est que le hockey ou le football [pas le soccer] ne sont pas du tout des sports répandus chez nous. Si, dans Slap Shot, il y a eu un gros travail de réécriture, c’est avant tout parce qu’on cherchait à créer une connexion avec le vécu du public. Ici, c’est une traduction, qui n’a aucun sens à mes yeux mais qui ne crée pas un véritable bouleversement dans la nature des personnages et des dialogues. Enfin je pense.

À qui sont les Chiefs?

À Anita, la veuve sans cœur. J’ai manqué un truc?

Relisez « Ma première fois : Ding et Dong, le film » et « Ma première fois : Elvis Gratton » si ce n’est pas encore fait!

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