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Après avoir fait regarder l’immortel chef-d’oeuvre Elvis Gratton à notre stagiaire belge Elisabeth, on a poursuivi cette fascinante expérience anthropologique avec un autre film-culte bien de chez nous : Ding et Dong, le film. Et l’analyse résultante fut tout aussi savante.
Résume le film en 100 mots maximum
Ding et Dong sont deux aspirants comiques mais avant tout des amis. Ils partagent tout : le même humour, un appartement et bien entendu les mêmes emmerdes. Quand ils se retrouvent à la rue parce qu’ils n’ont pas payé leur loyer depuis des mois, ils rencontrent un vieil homme mourant dont ils héritent de la somme de 30 millions de dollars (« Canadiens, malheureusement »). À présent qu’ils sont riches, toutes les portes s’ouvrent à eux … mais non, ce pays n’est pas pour les rêveurs.
Décris les personnages principaux en quelques phrases (physique et traits de caractère).
Au début du film, il est difficile de différencier les deux personnages tant ils forment un duo bien rodé. Ce n’est qu’à environ la moitié du film que leurs deux personnalités s’affirment ou plutôt se révèlent sous l’influence de deux tierces personnes.
Ding et Sarah Bédard
Ding rencontre Sarah Bédard lors de l’inauguration du Théâtre de la Nouvelle Tragédie. Elle se définit elle-même comme une « tragédienne qui fait des annonces de kleenex pour survivre. »
Une artiste ratée donc, qui voit en Ding une manière de se rapprocher du monde du théâtre. Très belle mais aussi très maniérée, Sarah parle avec l’accent français, d’une voix grave à la Fanny Ardant. Tout le contraire de Ding, qui a un physique plutôt quelconque et qui n’a aucune présence, preuve pour Sarah de son talent d’acteur: « J’aime beaucoup votre manière de parler, c’est naturel, on ne sent pas du tout la technique derrière. »
Sarah est intéressée par la célébrité et l’argent de Ding, même si elle s’en défend : « Tu sais bien que j’ai pas un rond, tu crois que c’est pas humiliant pour moi? Aujourd’hui, j‘ai encore payé pour 5000 dollars de colliers et qui c’est qui paye? C’est monsieur. »
Elle veut éloigner Ding de Dong, qu’elle considère comme un boulet pour la carrière de son fiancé : « Le problème avec ton copain, c’est qu‘il passe le temps à faire le connard. […] C’est un clown. »
Dong et Gaétan, le manager
Toujours lors de cette même inauguration, Dong s’éloigne d’une conversation sur le Moi et le Soi pour suivre une fille qui lui fait de l’oeil. Arrivé près d’elle, il lui glisse à l’oreille : « Vous ne serez pas freudienne par hasard ? » – « Non, je suis québécoise. » Plutôt terre-à-terre donc, elle est la partenaire de Gaétan, qui se propose pour être le manager de Dong. C’est un homme plutôt grand avec une moustache qui éclate de rire à toutes les blagues de Dong. Il n’en faut pas plus à ce dernier pour s’enthousiasmer, il enchaine donc blagues sur blagues et ne prend décidemment rien au sérieux. Dong prend sa nouvelle célébrité de manière plus détendue que Ding, il enchaine les conquêtes mais est dépité quand il comprend que toutes ces femmes ne s’intéressent pas vraiment à lui. Ce qu’elles veulent vraiment, c’est le numéro de Roch Voisine.
Quel est le contexte socio-historique dans lequel se déroule l’histoire du film ?
Sans faire de recherche et ne me basant que sur le film, je déduis que :
– Le public est de plus en plus fasciné par la France et par les États-Unis, ce qui laisse de moins en moins d’espace aux artistes québécois.
Dans l’espoir de décrocher un rendez-vous avec un producteur, Ding et Dong se font passer pour des réalisateurs hollywoodiens : «We don’t … french – We are cinema, television, stereo. »
La plupart des intellectuels du film ont l’accent français, comme le metteur en scène que Ding et Dong invitent dans leur théâtre pour travailler sur le Cid :
« Je suis fou comme la marde, de venir faire entendre Corneille à vos oreilles de calice. »
– Les Montréalais s’embourgeoisent et se la jouent intellectuels.
Ding et Dong renomment le Théâtre National Québécois – nom simple, qui va droit au but – en Théâtre de la Nouvelle Tragédie – nom qui sonne plus ampoulé.
Discussion lors de l’inauguration : « Corneille c’est la négation du moi, alors que Freud, c’est la libération du soi. » – « Je voudrais bien être d’accord avec vous, mais je n’en suis pas capable. »
– L’écart entre les Montréalais et les Québécois est de plus en plus grand, ces derniers étant dépeints comme des rednecks.
Scène dans le bar, le présentateur introduit Ding et Dong : « Ce sont deux grands comiques, ils sont venus de Montréal » – « Niaiseux, niaiseux » – « On les accueille comme vous êtes capables » – un homme dans le public dégaine une tronçonneuse.
D’après toi, quelles répliques tirées de ce film sont devenues des classiques ?
Dans le genre gros et lourd, il y en a trop pour être compté. En voici deux, piochées au hasard : « Moscou vient d’éclater » – « Pourtant j’ai rien entendu ». « La ville a ét é complètement rasée » – « ça doit sentir l’after-shave. »
D’autres répliques que j’ai notées: « C’est la première fois que vous dansez sur de la musique organique ? », « okédou » et il y a celle dont j’ai parlé plus haut, à propos des oreilles de calice.
Toujours selon toi, quelle scène du film est la plus célèbre ?
Je pense que la scène de la cascade et la scène chez le producteur sont probablement les plus appréciées du public. Pour ma part, c’est la scène d’Antoine et Cléopâtre qui m’a fait le plus rire. « Voudriez-vous un petit biscuit avec ça ? »
Pourquoi crois-tu que ce film est devenu culte au Québec ?
Parce que les personnages de Ding et Dong représentent l’évolution du peuple québécois : un peuple sans prétention qui, du jour au lendemain, s’est aperçu qu’il avait une fortune dans le grenier et qui se retrouve tout à coup digne du regard de ses cousins éloignés états-uniens et français … qui ne l’aiment pas pour ce qu’il est, mais pour ce qu’il peut leur apporter. Les deux personnages sont en proie à des influences extérieures ; l’un attrape la grosse tête, l’autre ne se prend pas jamais au sérieux. Arrêtez-moi si je vais trop loin mais c’est peut-être une métaphore du conflit intérieur qui habite les Québécois.
En même temps, des intellos aux ploucs, tout le monde en prend plein la figure, ce qui est plutôt libérateur. C’est un film simple, qui ne se la joue pas et comme le souligne la dernière réplique du film : « ce qui compte c’est d’être heureux avec le petit peu qu’on a. »
Quelle est ton appréciation personnelle ?
Les ficelles sont grosses mais ce n’est pas important ici puisqu’il ne s’agit pas vraiment d’un film à suspense. Le but est de divertir et d’être compréhensible par tous et cela fonctionne. C’est gras et bon comme le plat de nachos au fromage que l’on mange devant le film du dimanche soir à la télé.
Sans faire de recherche, crois-tu que les deux comédiens principaux ont eu du succès, par la suite, dans leur carrière ?
Je pense que quand ils ont fait ce film, ils étaient déjà connus et que ce long-métrage est une forme de statement sur leur parcours, ce qu’ils ont été et pourquoi ils sont ce qu’ils sont aujourd’hui.
En pourcentage, quelle partie du film as-tu compris ?
De l’histoire, je pense avoir tout compris ; des dialogues je miserais sur un 70%.
Pourrais-tu essayer de nous expliquer pourquoi ce film est si introuvable ?
Parce que lorsque l’on est passé du VHS aux DVD, Ding et Dong n’était pas encore assez vieux pour être culte. Le public vivait une phase de rejet et avait honte de dire que le film lui plaisait, il y a donc eu peu de demandes et donc peu d’offres. Le temps est passé, on a jeté nos vieilles cassettes et nos magnétoscopes. Une voie qui semblait sans issue donc … mais c’était sans compter la capacité inépuisable de notre société postmoderniste à créer du neuf avec du vieux. Aujourd’hui, comme nous l’indique la vitrine du H&M au coin de la rue, nous sommes en plein revival 90’s. Une nouvelle vie s’offre donc à Ding et Dong et je mets ma main à couper que si l’on en faisait une version DVD, tous les hipsters de mon quartier se rueraient dessus comme sur les petits croissants français du brunch le dimanche matin. À bon entendeur, donc.