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Manger, savourer, déguster, se régaler…
Mastiquer, broyer, avaler…
Manger, savourer, avaler et vomir…
Vomir tout ce que vous avez mangé !
La plupart des gens ne comprendront jamais.
« Ne fais pas ça, c’est dégueulasse ! »
« Arrête, c’est ridicule ! »
« T’as juste à ôter les doigts de ta bouche »
« C’est juste pour attirer l’attention, elle exagère sur son poids »
Ces phrases, les jeunes filles comme moi qui souffrent d’un trouble alimentaire les ont entendues des milliers de fois.
La boulimie est un trouble alimentaire grave qui passe souvent inaperçu. On aura tendance à moins remarquer une personne boulimique qu’une personne anorexique qui n’a que la peau sur les os. D’ailleurs, ce que vous ne savez peut-être pas, c’est que même les filles souffrant d’anorexie sévère ne ressemblent pas nécessairement à celles que l’on voit dans les documentaires qui traitent du sujet. Vous seriez surpris de constater, devant un groupe de filles souffrant d’un trouble alimentaire, que nos corps ne correspondent pas forcément aux clichés : nos poids sont diversifiés et ce n’est pas le seul indicateur de la gravité du trouble.
On connait encore tellement mal ces maladies que plusieurs pensent encore… que ce ne sont pas des maladies.
Ce n’est pas non plus le seul préjugé entourant la boulimie, l’anorexie et les autres troubles alimentaires. On connait encore tellement mal ces maladies que plusieurs pensent encore… que ce ne sont pas des maladies. Résultat? Plusieurs en souffrent en silence sans savoir qu’ils ou elles en sont atteints. C’est d’ailleurs mon cas! Pendant plusieurs années, je ne me doutais même pas que j’avais un trouble alimentaire. On me dira que ça s’améliore, qu’on est davantage sensibilisé, qu’on en parle de plus en plus ouvertement. En êtes-vous bien certains?
Se faire vomir, ce n’est pas si compliqué, le geste peut presque être banal quand on est aux prises avec un trouble alimentaire. Je ne garde d’ailleurs aucun souvenir de la première fois où je suis passé à l’acte.
Mais il y a une chose dont je me souviens très bien : c’est le sentiment de culpabilité qui m’habitait.
Le sentiment d’oppression si intense qu’on ne pense qu’à ça.
« Tu vas grossir, tu vas devenir grosse ! Ne te demande pas pourquoi tu as des problèmes de poids ! »
Ces phrases me reviennent constamment en tête, elles ne me lâchent pas d’une semelle. Une « solution » est là, à portée de main. Ce geste, contrairement à ce que beaucoup de gens pensent, on ne le fait pas par plaisir. Au contraire, c’est une vraie torture. Alors pourquoi nous infligeons-nous cela ?
À cause du soulagement que ça procure, même si ce n’est que temporaire. Ce soulagement d’avoir éjecté tout le mal que nous avons avalé il y a quelques minutes à peine. Je suis à terre, épuisée de m’être vidée, mais il y a cette libération qui s’opère dans ma tête et dans tout mon corps ! J’ai mal à la gorge et mon estomac brûle parfois, mais quelle délivrance !
Pourtant, je sais très bien que c’est mal, que je me fais du mal. Chaque fois que je m’inflige ce martyre, je me dis que ce sera la dernière fois en sachant bien que ce n’est qu’un mensonge. Bonjour culpabilité.
Deux démons semblent cohabiter en moi.
Le premier adore la bouffe, il ne pense qu’à manger. « Tu peux te le permettre, ce morceau de gâteau n’est pas de trop » et puis il a raison, on l’écoute. Mais ce démon n’est jamais rassasié. Il en demande toujours plus. Encore, encore, encore ET ENCORE ! L’estomac devient insatiable. On mange et on mange. C’est si délicieux ! On mange et on remange ! Et lorsqu’il n’y a plus rien de bon, on mange quand même pour apaiser cette voix.
me faire dire « Fais pas ça, c’est dégueulasse » n’y changera rien. C’est tellement plus compliqué et profond que ça.
Le deuxième te pèse sur les épaules pour te faire culpabiliser. Il est terrible à endurer. Il t’insulte sans cesse sur ton poids et ton apparence. C’est drôle, quand j’y pense, il reflète un peu les exigences que la société a par rapport au corps des femmes. Nous nous comparons avec ces vedettes dont on ne voit que l’image parfaite à la télévision et dans les magazines. À cause des standards de beauté imposés aux femmes, la deuxième voix a de bons arguments pour convaincre : tu ne seras jamais à la hauteur!
La dynamique peut vite devenir infernale. Vous comprenez peut-être mieux maintenant pourquoi de me faire dire « Fais pas ça, c’est dégueulasse » n’y changera rien. C’est tellement plus compliqué et profond que ça.
Chez moi, c’est ainsi que ça la maladie se manifeste et je sais que je ne suis pas la seule à le vivre de cette façon. Mais pour d’autres, le processus ou les causes seront différents.
Une chose est sûre : il faut continuer d’en parler, de démystifier, de défaire les préjugés. Peut-être que ça vous aidera à mieux comprendre ce qu’on peut vivre et prendre conscience que la boulimie est un trouble de santé mentale sérieux à ne pas prendre à la légère.
Et peut-être qu’un jour une personne lira ces lignes, s’y reconnaitra en partie ou totalement et aura envie d’aller chercher l’aide.
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Ligne d’écoute d’Anorexie et boulimie Québec : 1 800 630-0907 // 514 630-0907
Pour une liste de ressources d’aide par région, consultez le site d’Anorexie et boulimie Québec (ANEB).