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Qu’est-ce qui relie notre ancêtre de Cro-Magnon à Paris Hilton? Non, ce n’est pas la propension à s’afficher peu ou pas du tout vêtu. C’est plutôt… le goût du luxe!
Le luxe des cavernes
Trente mille ans avant notre ère, un homo sapiens particulièrement futé, qu’on appellera plus tard Cro-Magnon, invente le luxe. Pour la première fois de sa Préhistoire, l’homme fabrique un objet totalement inutile à sa survie. Nous sommes encore loin du sac Vuitton; il s’agit d’une petite statuette de pierre, aux formes vaguement féminines, sculptée grossièrement à la pointe d’un silex. Pendant ce temps, un proche cousin plutôt moche et poilu, l’Homme de Néandertal, crée le culte de la beauté. Le corps lui-même devient objet de luxe. Entre deux accouplements particulièrement féroces avec sa compagne de grotte, notre Néandertalien se pare d’éclats d’os et de bois de cervidés fraîchement dépecés.
Le coquet homo neanderthalensis finit par disparaître, laissant à son vaniteux contemporain sapiens le soin de développer seul le goût du luxe. Quelque 7500 ans avant J.-C., notre homme devient sédentaire, un nouveau mode de vie qui lui permet d’accumuler des biens matériels et d’inventer l’art de la céramique et de la métallurgie. C’est aussi à cette époque que notre ancêtre fait la découverte d’un précieux minerai qui le marquera à jamais: l’or. À sa seule vue, il devient fou, le métal brillant devenant rapidement pour lui synonyme de beauté et surtout… de pouvoir.
Le luxe antique
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L’Antiquité est une époque très faste pour le luxe. L’homme y invente de nouveaux concepts (la propriété, l’esclavage, la guerre) qui lui permettent d’accumuler encore plus de richesses. À ce titre, les Égyptiens et leurs pharaons ne donnent pas leur place. Régnant sans partage sur les abords du Nil pendant plus de 3 000 ans, ils développent un goût prononcé pour l’ostentatoire. Les bijoux, qui indiquent le rang social, se déclinent en boucles d’oreilles, colliers, bagues, amulettes et plaques pectorales d’or et d’argent. Les femmes de familles aisées portent des robes à l’étoffe brodée de fils d’or et de perles, tandis que les hommes riches s’accoutrent des jupes aussi élégamment décorées (comme quoi Dubuc et son paréo n’ont rien inventé). À l’époque, les parfums sont importés, donc dispendieux et réservés à l’élite. Les effluves les plus prisées sont le lotus bleu, le lys blanc et le henné. Si les plus riches et puissants des Égyptiens vivent très bien, ils consacrent le plus clair de leur temps à préparer leur mort. Le luxe suprême des pharaons est d’ailleurs la construction de leurs sépultures titanesques: les pyramides.
Au panthéon du bling-bling, les Grecs ne sont pas en reste. Péricles, au Ve siècle avant J.-C., entreprend de faire construire les chefs-d’œuvre de l’Acropole et mandate le sculpteur Phideas pour réaliser les statues d’Athéna et de Zeus, tout en or et d’ivoire. Pendant ce temps, les citoyens les plus aisés se font construire de vastes demeures de marbre blanc. À l’intérieur, les murs sont décorés de fresques représentant les héros de l’Iliade ou les dieux de l’Olympe. Outre les vases grecs qui sont particulièrement prisés, les poteries de faïence et les plats de bronze, d’argent ou d’or trônent dans la cuisine en attendant le prochain festin grec.
Le luxe moyenâgeux
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Après le pillage des trésors de l’Antiquité par les peuples barbares, l’Europe n’est que ruines. L’Église en profite et convertit peu à peu les royaumes affaiblis du Nord. C’est grâce à elle si le luxe perdure : Dieu exprime sa puissance grâce aux richesses du clergé et aux édifications des gigantesques cathédrales. Les Croisés, quant à eux, reviennent au pays chargés des merveilles de l’Orient: joyaux, soieries et épices. De nouveaux objets, très hauts de gamme pour l’époque, font leur apparition dans les châteaux: horloges, miroirs et chandelles de suif. Et malgré la culture guerrière du Moyen-Âge, l’habit des courtisans gagne en finesse. Le manteau d’hermine doublé de vair fait fureur.
La luxe renaissant
La Renaissance est aussi renaissance du luxe. La quête du superflu nécessaire, d’après la formule que trouvera plus tard Voltaire, prend un véritable essor avec la découverte de nouveaux continents, sources de métaux rares, de pierres et de bois précieux, d’essences et d’épices exotiques, le tout transformés en autant de parures, parfums, vêtements et mobiliers fastueux. L’Italie tire particulièrement bien son épingle dorée du jeu. Au XVe siècle, la ville de Florence, gouvernée par la riche famille de Médicis, rassemble à sa cour les plus grands artistes et intellectuels de l’époque. Le mécénat se développe: luxe et art se confondent. Le Mécène entretient l’artiste par ses innombrables commandes, le plus grand privilège du noble étant de faire immortaliser son image par le portrait. . L’ornementation a elle aussi la cote. Les meubles sont sculptés et peints par de grands maîtres (dont Botticelli ne fut pas le moindre),
Le luxe hexagonal
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Le luxe italien débarque en France au XVIe siècle avec le mariage d’Henri II et Catherine de Médicis. Telle une contrebandière de luxe, celle-ci introduit dans l’Hexagone art ornemental, soie brodée, tabac et parfum, ce dernier servant à masquer les odeurs corporelles particulièrement tenaces à l’époque. Mais le luxe des rois de France s’exprime d’abord à travers leurs châteaux, le plus magnifique d’entre tous étant celui construit à Versailles par Louis XIV, dit le Roi-Soleil. L’architecture même devient expression du luxe. Le palais de Versailles compte (seulement) 700 pièces, dont la somptueuse Galerie des Glaces et ses 357 miroirs. Or, tout ce luxe ne serait rien sans les nombreuses fêtes organisées par le roi pour divertir sa cour; toute la noblesse française accourt à Versailles pour assister aux pièces de théâtre et aux opéras qui y sont présentées. Le luxe est encore affaire de monarchie, ce qui n’empêchera pas plusieurs têtes couronnées de bientôt rouler dans de modestes paniers en osier.
Le luxe moderne
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Malgré la montée en puissance de l’Angleterre, colonialisme et évolution industrielle obligent, Paris devient – et demeure – la capitale du luxe tout au long de la modernité. Les expositions universelles de 1879, 1889 (pour laquelle est érigée une certaine Tour d’un certain Monsieur Eiffel) et 1900, attirent la noblesse et la haute bourgeoisie du monde entier dans la Ville Lumière, permettant aux artisans du luxe français de rayonner comme jamais. Depuis longtemps, ceux-ci ont compris que les grands de ce monde préfèrent l’objet «fait main» aux reproductions en série inventée par la révolution industrielle. C’est ainsi que naîtra, dans les années 1850, le concept de haute couture avec le premier couturier, Charles Frédéric Worth. Celui-ci innove en ouvrant un premier salon de couture et en faisant porter ses créations à des mannequins vivants. Une tendance qui sera suivie de près par Poiret, autre grand nom de la mode, qui y laissera lui aussi sa griffe.
C’est également à cette époque que sont fondés la plupart des grandes maisons de luxe, dont plusieurs portent des noms qui résonnent toujours aujourd’hui. C’est le cas du parfumeur Guerlain (1828), du sellier Hermès (1837), du malletier Louis Vuitton (1854) ou encore des joailliers Cartier (1847) et Boucheron (1858). Un phénomène jusqu’alors inédit marque également la culture du luxe: le tourisme. Grâce au développement des réseaux de transports, nobles et bourgeois envahissent les ports de plaisance de la Méditerranée. Le tourisme permet l’apparition et le rayonnement de deux grands noms de l’univers du luxe: Louis Vuitton et César Ritz. Le premier a l’idée de génie de développer la maroquinerie haut de gamme (Ze fameux sac Vuitton), le second fonde le Ritz Hôtel Syndicate et ouvre son premier complexe hôtelier, place Vendôme, Paris, en 1898. Plus tard, un certain luxe «prêt-à-porter» s’incarnera dans la silhouette bien habillée, coiffée et maquillée de Coco Chanel, pour qui «le luxe n’est pas le contraire de la pauvreté mais celui de la vulgarité».
Le luxe aujourd’hui
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Au milieu des années 1990, les maisons de luxe familiales et artisanales deviennent des marques regroupées aux seins de quelques grands groupes financiers, lesquels se partagent aujourd’hui plus de 70 % du marché du luxe. Ce dernier se trouve dominé par les groupes français (LVMH, Christian Dior, Hermès, Chanel), puis italiens (Prada, Armani, Bulgari, Valentino Fashion Group) ainsi que, dans une moindre mesure, américains (Estée Lauder, Ralph Lauren, Tiffany). Tout en haut du peloton, avec un chiffre d’affaires de plus de 15 milliards d’euros, le groupe Louis Vuitton Moët Hennessy est sans doute le meilleur exemple du nouveau visage du luxe: multimarques et multiproduits. Des vins et spiritueux (Veuve Clicquot, Moët & Chandon, Hennessy, Dom Perignon) aux cosmétiques et parfums (Guerlain, Kenzo, Dior), en passant par la mode (Givenchy, Donna Karan, Fendi, Louis Vuitton) et les montres et la joaillerie (Tag Heuer, Zenith, Chaumet), LVMH est un empire mondial aux nombreuses ramifications. Pourtant, cette mainmise des géants du luxe n’a pas empêché que se développe à côté toute une industrie parallèle et parasite: celle de la contrefaçon. On estime que le marché du faux représente aujourd’hui 5 à 7 % du commerce mondial et que près du quart des produits de luxe vendus sur Internet seraient des imitations.
De la procession de chaussures Manolo Blahnik dans Sex and the City aux montres Rolex de Sarkozy, du «Parce que vous le valez bien» de l’Oréal aux frasques de Paris Hilton à Dubaï, le luxe est aujourd’hui apprêté et servi à toutes les sauces, vraies ou fausses. Le luxe semble ne plus être ce phénomène marginal seulement réservé à une élite fortunée: il prétend descendre de son piédestal et se démocratiser. Par l’intermédiaire de ses marques, à grands coups de publicités et de copinages avec les stars d’Hollywood, le luxe continue chaque jour d’élargir son bassin de consommateurs et de rallier plus de riches et de pauvres à sa «cause». Or, si pour beaucoup de gens, il suffit de goûter au luxe par procuration, en zieutant les magazines people et autres Paris Match, d’autres n’hésitent pas à s’endetter pour se payer du luxe. Au risque d’y perdre leur nouvelle chemise Armani…
Stealth wealth
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En réaction au phénomène de démocratisation du luxe et à la culture bling-bling, une nouvelle tendance s’est développée depuis quelques années chez les ultra-riches de ce monde: le stealth wealth, ou la «richesse discrète». Une riche idée qui permet aux PDG, vedettes de cinéma et chefs d’État de dissimuler les signes ostentatoires de leur opulence aux yeux du grand public et de ne se reluquer qu’entre (riches) initiés privés. Bref, le nec plus ultra en matière de luxe serait désormais de faire comme s’il n’existait pas. Mais attention, nous sommes loin de la simplicité volontaire: les adeptes du stealth wealth préféreront par exemple à une voyante Rolex une montre Vacheron Constantin, plus discrète, disponible au coût modique d’un demi-million de dollars…
Texte: Mathieu St-Onge & Gabrielle Briggs
Bricolage: Dominic Prévost & Noémie Darveau