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La lutte québécoise est bien vivante et voici pourquoi vous devriez vous y intéresser

La lutte au Québec est en santé plus que jamais et la nouvelle génération veut la transporter plus loin encore

Par
Stéphane Morneau
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« André le géant est l’homme le plus grand du monde et il pèse plus de 600 livres. »

J’avais cinq ou six ans à l’époque. Posés devant la télé, moi et mon ami apprenions la mesure de la surenchère devant le sport-spectacle qu’offrait la WWF des années 80. Depuis, je n’ai jamais décroché.

C’était le début d’une grande aventure. Celle d’un spectateur attentif au sport-spectacle, les saltimbanques du ring comme on disait lors des premières présentations de la lutte en français à la télé au Québec.

Une tradition locale

La lutte est ancrée dans nos traditions et elle a évolué en même temps que la discipline. Les héros locaux de la métropole et de toute la province ont fasciné les générations avant moi puis, dans les années 80, le rêve se matérialisait dans la WWF de Vince McMahon qui employait les frères Raymond et Jacques Rougeau, notamment. C’était, il y a trente ans, un objectif concret : suivre les traces des Rougeau vers les «ligues majeures» de la lutte professionnelle. Pour l’enfant que j’étais, voir les Rougeau parler en français à la télé américaine, c’était la consécration. Savoir que Jacques Rougeau a déjà battu Hulk Hogan au Forum, pour un enfant, c’est la définition même d’atteindre son rêve.

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Après Raymond et Jacques, c’était plus difficile de se trouver des idoles de la Belle province dans les écrans au sud de la frontière et, forcément, l’intérêt de plusieurs a fanés. Il y a eu quelques ambassadeurs, mais pas assez pour maintenir la flamme de la relève et on a noté une certaine baisse dans les auditoires pour la lutte locale. Après les grandes gloires, la lutte est redevenue marginale au Québec.

Mais cette baisse d’intérêt, avec le recul, s’avéra nécessaire pour l’évolution de la passion vers ce qu’elle est devenue aujourd’hui – c’est à dire une forme d’expression qui s’est invitée de nouveau dans nos médias traditionnels.

Crédit : Dan Jobin / IWS
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La nouvelle génération… à temps partiel

Depuis quelques années, les frères Rougeau sont surtout des figures nostalgiques. Jacques opère encore dans le milieu, roulant sa bosse de son côté sans trop jouer le jeu de l’explosion des fédérations indépendantes, hermétique au changement.

La réalité est ailleurs.

En effet, presque tous ses lutteurs partagent la difficile réalité que la passion ne paie pas pour le quotidien et les obligations, si bien qu’elle doit être accompagnée d’un emploi stable et qu’elle est souvent moqué par l’entourage qui ne comprend pas forcément cette passion dangereuse pour le corps.

Par exemple, une coiffeuse du Saguenay profitera d’un souper rapide avec son conjoint et ses deux enfants avant d’aller rejoindre sa copilote vers Montréal pour une soirée de lutte le lendemain. Plus de dix heures de route au total pour une compensation monétaire très modeste et un petit surplus pour couvrir l’essence. Il y a aussi un travailleur de la construction qui se lève avec une migraine le lendemain d’un gala pour se taper un douze heures sur un chantier extérieur à la merci des intempéries avant de ressauter dans l’arène le soir venu.

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Tous les corps de métiers sont représentés, de la finance à la restauration en passant par l’enseignement et l’entrepreneuriat. Ceci dit, plusieurs préfèrent séparer leur quotidien du ring et le secret des métiers à l’extérieur de l’arène existe encore, tout comme le secret des véritables identités pour certains. Ce n’est pas de la honte, mais plus une tradition afin de ne pas briser la magie sur laquelle repose le spectacle que l’on appelle, dans le jargon, le kayfabe.

Crédit : Dan Jobin / IWS
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Comme une grande famille

C’est viscéral l’amour de la lutte et ça résiste aux détracteurs. Une communauté tissée serrée qui parle un langage commun renouvelé hebdomadairement dans un théâtre de proximité chorégraphié, mais bien réel pour ses artisans et le public complice.

Depuis quelques années, les Rougeau de mon enfance ont été remplacés à la WWE par deux Québécois : Kevin Owens et Sami Zayn.

Ils ont débuté ici, à Montréal, dans les mêmes petites salles qui présentent encore des galas toutes les fins de semaine. Avant d’entendre les acclamations des stades plein à craquer, ils ont appris à grands coups d’essais et d’erreurs devant des dizaines de personnes sous des éclairages peu flatteurs, tantôt près d’une table de billard ou dans un ring rafistolé dans un espace restreint entre une scène et une piste de danse. Eux aussi, comme les lutteurs encore actif au Québec, ont exercé leur passion pour une somme dérisoire … et ça c’est quand ils étaient payés.

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En gros, la lutte à Montréal (comme ailleurs sur les petits circuits) rappelle les caravanes de gitans des siècles passés. Les fêtes foraines sont remplacées par un ring et tout ce que ça prend pour présenter une soirée de lutte. Chaque participant met l’épaule à la roue. Il faut tout monter et démonter le jour même, souvent quelques minutes après la fin de la présentation parce que le bar espère faire entrer sa clientèle habituelle un samedi soir pour ne pas perdre de revenus.

Si vous voulez vous faire une tête de cet esprit communautaire, il faut se rendre une fois par mois au Club Unity du centre-ville de Montréal pour les spectacle de la IWS. Ailleurs, comme à Québec par exemple, la NSPW réserve une salle communautaire pour présenter ses soirées et la NCW s’est tournée du côté de Ste-Thérèse pour abaisser les coûts alors qu’ils présentaient des soirées à Montréal avant. Ponctuellement, des salles de spectacle comme le Bain Mathieu à Montréal ouvre leurs portes à la lutte et, sinon, des petits bars comme la Brasserie 99, plus connue pour ses karaokés sur Hochelaga, accueillent ponctuellement des soirées de luttes. Un ring, ça s’installe un peu partout, même en extérieur l’été lors d’événements spéciaux comme une vente trottoir ou une foire agricole, suffit d’être attentif, un peu comme avec Beauce Carnaval en région.

Crédit : Dan Jobin / IWS
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Trouver sa passion et la laisser dicter le reste

L’amour de la lutte, c’est difficile à expliquer, mais il faut tendre l’oreille et s’intéresser à leurs histoires. Il y a un code d’honneur qui repose sur la confiance que l’autre nous protégera lors des combats parce que lundi matin, blessé pas blessé, il faut rentrer au bureau, payer les factures et s’occuper des enfants. The show must go on s’applique à l’intérieur des câbles, mais il ne faut pas oublier que la vie continue après.

Les risques, on préfère ne pas y penser.

C’est cet amour qui a initialement alimenté mon envie de raconter des histoires dans la vie. Les succès des Rougeau, de Kevin Owens et de Sami Zayn efface les frontières.

Depuis cet automne, je peux aussi dire que l’amour de la lutte m’a fait progresser vers une nouvelle étape dans ma carrière : l’animation d’un rendez-vous télé sur les ondes de RDS.
La passion d’une poignée d’irréductible est devenue ma passion par la force des choses et, avec l’équipe de RDS, on tente de donner au suivant et d’alimenter la flamme qui, depuis des générations, rapproche des familles et crée des liens au Québec.

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Vous pouvez aussi venir écouter nos discussions hebdomadaires dans notre podcast Le petit paquet en partenariat avec Balle Courbe, la petite sœur baveuse d’URBANIA qui regarde le sport d’un autre œil.

Mais surtout, vous devriez donner une chance aux fédérations québécoises qui, avec des bouts de ficelles et du duct tape, mettent en scène un théâtre que l’on regarde, à tort, de haut parce qu’il n’est pas présenté dans de grandes institutions.

Finalement, comme avec le vaudeville, c’est le peuple qui a le dernier mot et les Québécois, depuis très longtemps, aiment la lutte. Ne boudez pas votre plaisir et rejoignez-nous.

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