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L’usine à pot de Potton

Du « haut de gamme » artisanal à la SQDC.

Par
Hugo Meunier
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Visiter une usine à pot dans le comté de Potton.

Ça sonne tiré par les cheveux vite comme ça, mais c’est pourtant ce que je m’apprête à faire en roulant vers Lot 420, un producteur de cannabis artisanal des Cantons-de-l’Est qui se targue d’être « un des premiers cannabis québécois haut de gamme vendus à la SQDC».

Par haut de gamme, on fait référence au taux élevé de THC (25%) contenu dans le Gelato 33 – ZE produit en question – cultivé, récolté, séché et taillé entre les murs de l’entreprise perdue au bout d’une route de gravelle entourée d’arbres. À l’horizon, on distingue encore de la neige au sommet de Jay Peak.

Plus que la destination, c’est le chemin parcouru pour se frayer une place sur les tablettes de la SQDC – dans un marché hautement compétitif – qu’il faut retenir. Et pardonnez le jeu de mot involontaire, mais l’aventure de Lot 420 est d’abord un trip de gang.

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« C’est clair qu’il va te manger! », réplique pince-sans-rire le cofondateur et président-directeur général de Lot 420 Stefan Macdonald, lorsque je l’interroge sur la dangerosité du chien qui traîne dans la cour clôturée de sa shop en débarquant sur les lieux.

Premier constat: on n’entre pas dans une usine à pot comme dans un moulin.

Le chien n’a finalement aucun appétit pour mes juteux jarrets et Stefan m’accueille chaleureusement avec un «salut man!» bien senti. J’aime ça.

Premier constat: on n’entre pas dans une usine à pot comme dans un moulin. On retire d’abord nos chaussures, pour enfiler des sandales de l’autre côté d’une première porte s’ouvrant à l’aide d’une carte magnétique. « C’est très réglementé par Santé Canada, il faut garder en tout temps un environnement sain et propre », explique Stefan, précisant qu’une telle procédure était déjà en place avant la pandémie.

On émerge ensuite dans la cafétéria, où se trouvent quelques-uns des 25 employés de l’entreprise. Une responsable de la sécurité se trouve près de l’entrée, dans un bureau sans fenêtre converti en centre de surveillance.

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Stefan me fait signer un formulaire de règles à suivre, un passage obligé pour tous les visiteurs. J’ai un faible pour le dernier point. « Chahut: Toutes les actions qui peuvent être interprétées comme du chahut sont interdites. »

Noté. Mon projet de partir un mosh pit dans la salle de séchage tombe à l’eau.

Au tour de Jean-Romain Péclet de venir me serrer symboliquement la pince, l’autre cofondateur et maître horticulteur de Lot 420.

Les deux amis du secondaire devenus producteurs de weed m’entrainent à l’intérieur de leur serre de 22 000 pieds carrés, non sans d’abord enfiler une chienne de laboratoire à la Breaking Bad (ou Dexter?), des lunettes soleil, un filet pour ma barbe, en plus de remplacer (déjà) mes sandales par des Crocs. Le plus important est le chapeau de Gilligan (magnifique ET obligatoire) pour se couvrir la tête, devenu la marque de commerce des employés. « Ça vient du Dollorama », précise Jean-Romain, portant fièrement le sien, tapissé de tournesols.

Journaliste terrain
Journaliste terrain
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« On a dû être créatifs »

Pour Jean-Romain et Stefan, le Gelato 33 en vente depuis le 20 avril est l’aboutissement de sept longues années de labeur.

«On n’avait pas de cash au début, on a dû être créatifs», raconte Jean-Romain, qualifiant au départ le projet de « très high risk ».

C’est en 2014 qu’ils décident de se lancer dans le pot médicinal, réalisant que le cannabis soulage les séquelles physiques d’un lointain accident de moto de Jean-Romain mais aussi les effets de l’épilepsie chez un ami. « On n’avait pas de cash au début, on a dû être créatifs », raconte Jean-Romain, qualifiant au départ le projet de « très high risk ».

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Mais le pire était à venir. Avant toute chose, il fallait déposer auprès de Santé Canada une application, c’est-à-dire une demande d’autorisation ultra-détaillée de culture de cannabis, d’abord à vocation thérapeutique (aujourd’hui récréatif avec la légalisation).

« C’est comme faire une thèse. Tout ce qu’on a fait ici devait être détaillé, expliqué, en plus de produire un document de sécurité vraiment intense sur le type de caméra utilisé, leurs angles, etc. On a passé un an et demi là-dessus », calcule Stefan, au sujet du document de 650 pages fourni à Santé Canada.

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Parallèlement à ces démarches, les deux hommes travaillent à plein temps, Jean-Romain en restauration et Stefan à la municipalité de Sainte-Catherine.

Après trois longues années d’incertitude, ils obtiennent le feu vert pour la construction de leur serre high tech.

Avec les moyens du bord et sans garantie d’obtenir un permis de Santé Canada, les deux entrepreneurs en herbe dénichent leur terrain dans le canton de Potton (un hasard jurent-ils) et engloutissent près de 100 000$ pour rédiger les plans de leur future serre et préparer la logistique.

Après trois longues années d’incertitude, ils obtiennent du fédéral le feu vert (hu-hu) pour la construction de leur serre high tech, équipée de systèmes électroniques leur permettant de tout gérer à distance.

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La facture des travaux s’élève à 11,5 millions de dollars. Pour financer tout ça, il fallait maintenant trouver de l’argent, des investisseurs.

Mais dans l’arène du cannabis, impossible de jouer à armes égales contre les géants de l’industrie, une poignée de compagnies publiques cotées à la bourse qui approvisionnent les succursales de la SQDC et celles d’ailleurs au pays.

«on est un petit joueur artisanal, à petite échelle où tout le monde met la main à la pâte»

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Bref, c’est David contre Goliath, résume Jean-Romain. « Nous on est un petit joueur artisanal, à petite échelle où tout le monde met la main à la pâte et touche à toutes les étapes de production », explique Jean-Romain, qui tenait comme Stefan à préserver le caractère collégial de l’entreprise. Ça tombe bien, puisque c’est justement parmi leur entourage qu’ils ont puisé les liquidités leur permettant d’aller de l’avant avec leur projet. « Stefan a financé une grosse partie du projet, ma blonde s’est occupée du marketing, on a demandé de l’aide à des amis. Tous ces gens qui nous ont aidés auront des parts dans la compagnie », assurent les cofondateurs.

Une fois la serre opérationnelle et leur permis (enfin) délivré en septembre 2020, il fallait maintenant se mettre à l’ouvrage. « J’ai étudié l’horticulture et je suis allé au Japon étudier les bonsaïs », souligne Jean-Romain, ajoutant que son expertise l’a aidé à trouver la recette de son Gelato 33.

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« On a des dettes, là il faut faire de l’argent! »

Les deux cofondateurs quittent leurs emplois à ce moment et déménagent dans les environs, avec leurs familles, pour se rapprocher de leur entreprise.

Les premiers plants de Gelato 33 sont livrés en octobre 2020. « Ça a coûté extrêmement cher de se rendre ici, on a des dettes, là il faut faire de l’argent! », lance Stefan.

Même les premiers stocks livrés la SQDC s’écoulent bien, ce n’est pas le temps de s’asseoir sur ses boutures. « On ne sait jamais quand c’est le temps de célébrer, il y a toujours quelque chose qui s’ajoute », constate Jean-Romain.

«On utilise les mêmes casseroles qu’ailleurs, le secret de la recette ce sont nos ingrédients et l’équipe en cuisine»

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Leur avenir repose maintenant entre les mains des consommateurs. « Le Gelato 33 est convoité par les consommateurs et la sous-culture grâce à sa génétique mythique provenant de la Californie », louange Stefan, au sujet des arômes de son produit et son taux élevé de THC qui le distingue sur le marché. Le trois (grammes) et demi se vend 42$, ce qui est plus dispendieux que la moyenne, incluant d’autres génétiques de Gelato. Mais Jean-Romain dresse un parallèle avec les différentes variétés de vin ou de bière et assure que le consommateur aura un produit local de qualité. « On utilise les mêmes casseroles qu’ailleurs, le secret de la recette ce sont nos ingrédients et l’équipe en cuisine », paraphrase l’ancien restaurateur.

Pour l’heure, la serre fonctionne avec un roulement de 2000 plants en tout temps et le cycle complet de production s’étale sur 130 jours.

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Des projets d’expansion flottent déjà dans l’air, incluant l’aménagement d’un autre bâtiment de 65 000 pieds carrés et l’embauche de 35 personnes (pour un total de 60) au terme d’une deuxième phase dont l’échéance est prévue en septembre 2022. « On embauche des gens des environs. Nos salaires commencent à 16-18$ de l’heure et peuvent ensuite varier entre 45 et 80 000$ selon le niveau de responsabilité. On va devenir un poumon économique local avec la phase deux », s’enthousiasme Stefan, qui s’est dit super bien accueilli par les gens du canton, incluant les trois maires qui se sont succédé depuis le début de leur projet.

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Au coeur d’un cycle de production

Pas le choix de faire une tournée complète des installations et de parcourir les différentes salles correspondantes au cycle de production. Un voyage fascinant pour un néophyte qui n’a jamais vu de cannabis ailleurs que dans sa version livrée dans un petit sachet (sauf pour quelques aventures botaniques maison un brin boiteuses).

La visite s’amorce dans la pièce des plantes mères, où la chaleur et l’humidité donnent l’impression d’être la portion tropicale du Biodôme (sans l’odeur de weed). On fabrique ici des boutures à partir des branches des mères.

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Une fois empotées, ces boutures passent 20 à 25 jours dans une salle de végétation voisine, avant de déménager dans une pièce de floraison (il y en a quatre au total), où ils passeront une période d’un peu plus de deux mois. « Tout est contrôlé et géré par ordinateur: la lumière, l’irrigation, etc. », souligne Jean-Romain, qui peut recevoir des alarmes à tout moment, même à distance en cas de problème.

Tout est neuf et moderne dans les salles. Dans les couloirs, les employés en sarrau de laboratoire grouillent de partout et donnent l’impression d’être dans le futur (si on oublie les chapeaux).

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Les plants avancés passent ensuite deux dernières semaines dans une autre salle, avant de se retrouver au séchage, où on les suspend la tête en bas durant 10 à 14 jours. Leur voyage culmine vers la salle de trime, où les plants sont répartis selon leur format dans des contenants en plastique aux couleurs de la Jamaïque.

La visite est finie, Stefan et Jean-Romain m’abandonnent au vestiaire et retournent aussitôt à l’ouvrage à l’intérieur de la serre.

En quittant le stationnement, deux employés en pause se lancent un ballon de football sur le terrain gazonné près d’une table de pique-nique, pendant que le chien, finalement très inoffensif, pique un somme à l’ombre sur son coussin.

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Si ma carrière de journaliste s’écroule un jour, je sais maintenant où envoyer mon CV.

En plus, il y a le dépanneur fusée à quelques kilomètres et juste ça, ça vaut le déménagement.