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L’uniforme

Par
Éric Samson
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Je suis allé à une école secondaire où on portait un uniforme. Ce n’était pas une école privée, mais on portait quand même tous les mêmes pantalons marine, avec chemise blanche et cardigan en polyester rouge pompier.

C’était au début des années 90, alors que l’Islam n’existait pas encore. Ah, oui, peut-être qu’il y avait un musulman ou deux quelque part dans le monde, je ne savais pas trop. Pas à Lachine, en tous cas pas à mon école. On était surtout une masse plutôt indistincte, généralement blanche, d’origine vaguement européenne (des bons vieux de-souche, mais aussi des grecs et des italiennes, quelques ukrainiennes et un espagnol ou deux). Une couple de peaux plus foncées, à peu près une ou deux par classe, latines ou africaines. Métissées juste assez pour que, si on faisait la moyenne des élèves de mon année, on arrive quand même à une couleur qui aurait été dans la palette des « blancs cassés » de Benjamin Moore. Plus « latté au soya » que « café au lait », disons. Bref, ça ne meltingpottait pas fort fort.

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Dans les règlements, c’était écrit qu’il ne fallait pas porter de casquette ni de chapeau. C’était aussi écrit que les couleurs de cheveux devaient être « normales ». On n’avait pas le droit de sacrer, non plus; on pouvait dire à peu près n’importe quoi, mais pas « ostie », jamais. (En voyage d’école, à New York un week-end de Pâques, le directeur-adjoint qui nous accompagnait avait décrété que tout blasphème proféré par un élève se verrait puni par 25 push-ups. Le directeur-adjoint était aussi prof d’éducation physique.)

Mon école n’était pas religieuse. Mais elle avait le crucifix tenace. À cause de la Tradition, t’sais.

Ça fait longtemps que je suis passé devant mon ancienne école.

Bon. Ce n’est pas tout à fait vrai. À chaque fois que je vais à Lachine, je vais au Dairy Queen après souper, et c’est juste en face.

Je recommence. Ça fait longtemps que je suis passé devant mon ancienne école pendant qu’il y a du monde. Mais je sais que l’uniforme est encore là, même si le débardeur marine a remplacé le cardigan rouge.

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Par contre, j’ai envie de croire que l’évolution a fini par la rattraper et qu’on y voit, enfin, des teints de peau un peu plus variés, et probablement une couple de kippas ou de hijabs. J’imagine qu’on aura trouvé un moyen d’organiser ça avec l’uniforme, pour que ça ne jure pas trop. Ça ne doit pas être très compliqué.

J’espère aussi qu’on a fini par décrocher les crucifix des murs des classes. Et que personne n’a crié à l’injustice ou à l’à-plat-ventrisme devant Les Autres Qui Peuvent Faire Ce Qu’ils Veulent Mais Qui Nous Enlèvent Nos Crucifix Pis Nos Sapins De Noël.

C’est que voyez-vous, un crucifix sur un mur, ce n’est pas la même chose qu’un hijab sur une personne. Je ne pense pas avoir besoin de vous expliquer la différence entre un mur et une personne, mais je ne prendrai quand même pas de chance: un mur, ça fait partie d’un bâtiment, et un bâtiment comme une école (ou, disons, un parlement), c’est une institution. Une personne, même de 14 ans, c’est un être humain, qui pense et réfléchit de manière indépendante. Un mur ne choisit pas de porter une croix ou non : quelqu’un a décidé de mettre ça là, et ça devient automatiquement un symbole, un peu au-dessus de tout le monde, qu’on y croit ou non.

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Qu’on me comprenne : que l’école s’appelle Saint-quelque-chose, je m’en contrefous un peu. L’idée n’est pas de réécrire l’histoire en rebaptisant les Saints en autre chose (ni en ajoutant un « ici » en avant). Je dis ça parce que j’ai sursauté en lisant Marissal, hier, qui avait plus de malaise avec le nom de l’école que fréquentent ses enfants qu’avec un Jésus qui meurt pour nos péchés en direct et en bronze au-dessus de leurs têtes.

Si on veut une société ouverte et moderne, il n’y a qu’une chose à faire, et ce n’est pas en écrivant une Charte ni en demandant aux fonctionnaires de laisser leurs turbans à la maison qu’on va y arriver. C’est en se débarassant des signes religieux dans les institutions et en laissant les humains qui y travaillent porter ce qu’ils veulent.

Que le maire de Saguenay porte la plus grosse croix du monde sur ses épaules s’il le veut : c’est bien son droit. Je me sacre très fort que la fille qui ouvre mes rapports d’impôts quelque part downtown porte un voile ou non.

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L’espèce de laïcité de surface qu’on est en train de vouloir instaurer est purement cosmétique. On fait porter un uniforme : celui de l’occidental. Le gars qui fait passer les tests de conduite ne deviendra pas athée parce qu’il ne peut pas porter de turban. Mais on pourra faire comme si.

En forçant les gens à se conformer à une esthétique traditionnelle, idéalement avec quelques soupçons de bon vieux catholicisme bien canadien-français, on essaie simplement de blanchir tout le monde égal. On cache les différences. Au lieu d’intégrer, on maquille.

Plus personne ne m’a demandé de porter un uniforme après mon secondaire. J’espère que le gouvernement ne commencera pas à jouer au directeur-adjoint.