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Sur papier, assister à un dîner-causerie d’affaires avec le grand chef du Parti conservateur du Québec semble une torture propice à me questionner sur le sens de ma vie. Profession oblige, j’ai acquiescé à la pression de mes pairs en établissant comme quête initiale de demeurer aussi impartial que possible, et surtout, de voir à quel point on trippe à ce genre d’événement.
L’initiative de la conférence vient de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain, qui accueillera, tout au long du mois, les cinq leaders politiques. Une opportunité pour ces derniers de faire rayonner le côté sexy de leur programme économique respectif.
À mon arrivée, la sécurité arpente la salle pour déceler quelconques dangers. Devant les portes closes, un essaim d’invité.e.s distingué.e.s défilent sur le tapis du Palais des congrès alors que je dégoûte encore à gros jets de ma ride de vélo. L’importance de faire une bonne première impression.
Des hommes en cravate attendent en parlant fort au cellulaire, d’autres échangent poignées de main et cartes d’affaires. Les complets sont de bons goûts, impeccablement sur mesure avec la ligne de pantalon bien au centre. Une chance qu’il y a les photographes, toujours habillé.e.s en guenilles avec leur démarche de ceux qui ont tout vu et qui ne s’excusent jamais.
Éric Duhaime fait son entrée presque à l’heure, sans trompette ni tambour, accompagné d’une très petite équipe ne comptant aucun garde du corps. Son conjoint l’arrête pour épingler le logo du parti sur son veston bleu marin. Le boss empoigne quelques paluches, placote, fait sa tournée. « J’ai payé pour avoir un autre sondage, alors je sais où je me situe », lui déclare avec confiance un candidat PCQ de l’ouest de l’île.
Alors que nous sommes prié.e.s d’entrer, je me demande ce que Duhaime représente vraiment dans l’imaginaire politique. Un joker libertarien qui veut durcir l’État, un opportuniste de la grogne sanitaire, l’homme de fer d’une vraie droite québécoise? Le héros spirituel des pro-kémion est-il trop polarisant pour être pris au sérieux?
C’est ce qu’on va voir.
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La salle, découpée en îlots où jeunes et moins jeunes s’attablent, affiche complet. Je suis le seul avec des cheveux verts. Évidemment, je ne connais personne, alors j’ai tout l’espace pour m’abreuver des us et coutumes de cette faune dépaysante où règne une ambiance étrangement froide de réseautage. Une musique jazz de centre d’achat joue en sourdine pour camoufler les salutations forcées.
Les médias sont en périphérie de la table d’honneur, recevant grands partenaires platine, PDG, politicien.ne.s et l’insondable Anne Casabonne. Nous n’avons peut-être pas droit à leur vin, mais au moins au même menu.
Le repas débute par une entrée de salade de haricots verts avec tombée de fenouil, dattes et émulsion citronnée. Pour quelqu’un qui a déjeuné à la barre tendre, il s’agit d’un délice que j’essaie de savourer avec une retenue inhabituelle.
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Le bal prend enfin son élan avec l’ancien animateur de radio poubelle qui s’installe au micro.
Souvent filmé entouré de foules venant de milieux modestes depuis le début de la campagne, le chef gesticule désormais en face d’un public d’environ 200 nanti.e.s à boutons de manchettes et aux sacs à main de designer. Comment courtiser deux paradigmes aux antipodes.
Séduire le milieu des affaires dans un contexte de pénurie de main-d’œuvre et d’inflation est un pari qui peut rapporter. Pas question de parler de justice sociale devant des privilégié.e.s ayant déboursé 1035 $ la table.
C’est plutôt le grand bingo du crédit d’impôt, de l’économie de marché, d’une taxation à la baisse, de rigueur budgétaire, d’une meilleure fiscalité des entreprises. Duhaime désire établir une concurrence du privé au monopole public dans le système de santé. Il annonce une loi plafonnant les dépenses gouvernementales et une simplification de la réglementation qui étouffe les PME.
Une cassette somme toute prévisible pour celui qui vient de se livrer au balado de Jordan Peterson.
Mon écoute est bousculée par l’arrivée d’un pavé de saumon sur une purée de courge, lit d’orge et salade de carotte. Avec un petit pain beurré, c’est un régal.
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Pendant ce temps, Éric attaque la tyrannie de la CAQ, pourfend les promesses rompues d’un régime en train d’hypothéquer les prochaines générations. Il cite au passage des nations-exemples comme la Norvège, la Suède et l’Allemagne, bien conscient que la mention de nos voisins du Sud, dont l’influence est pourtant manifeste, est à éviter pour convaincre l’électorat québécois.
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Mais là où le bât blesse, Éric, c’est la passion. Où est-elle? La surprise? Le pétillant!
À bas mon impartialité. Il manque de feux d’artifice, de conviction, de chien! Le chef semble abattu, sans fougue. Je m’attendais à de gros postillons et des poings levés. Au moins une petite veine dans le cou. Pour un personnage qui divise autant, Duhaime est surprenamment beige. Sans arrogance, à l’accent lancinant, efficace sans être charismatique.
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La cérémonie se poursuit avec un échange plus intimiste sur deux divans séparés, où Michel Leblanc, président et chef de la direction de la Chambre, questionne Éric Duhaime sur un programme aux apparences climatosceptiques, inquiet que son parti ne revendique aucune approche concernant les cibles de gaz à effet de serre. Son opposant affirme habilement qu’aucun parti ne remplit ses engagements de toute manière.
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Dans un contexte où l’État est nécessaire à la transition énergétique des entreprises, Éric Duhaime propose d’aider ces dernières grâce aux revenus, pour le moins paradoxaux, des hydrocarbures. Selon lui, il faut s’affranchir de la bonne conscience écologique pour puiser nos propres ressources et enfin créer une vraie prospérité.
Ah tiens, un gâteau citronné avec un coulis aux bleuets et une mousse au café. Tout en subtilité. Magnifique.
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La foule écoute, sans emballement. « L’État prend trop de place » et « compatibilité civilisationnelle » s’immiscent aux nombreux enjeux. Le chat nationaleux sort son nez du sac.
Aucun passage sur la libarté ou l’éducation. Il sait à qui il a à faire.
La salle gratte ses assiettes durant ce débat d’un ennui consommé quand soudain, l’écho d’un émoi étouffé. Les murmures résonnent dans la salle, maintenant scotchée à son cellulaire.
La reine est morte.
Le destin a décidé que la souveraine britannique, après une vie royale s’étalant sur près d’un siècle, allait s’éteindre au moment même où je suis coincé à endurer le miel d’Éric Duhaime à la Chambre de commerce du Montréal métropolitain avec un suit que je remarque taché de vieux beurre d’arachide sur le coude.
Les astres étaient alignés.
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Applaudissements polis en clôture, sans réelle émotion. La foule quitte dans l’impatience. Un jeune pro lance une joke de cash alors qu’un autre, loafers Gucci sans chaussettes, dévoile à qui veut l’entendre qu’il a un cours de salsa ce soir avec sa blonde.
C’est lors d’un petit scrum dans une pièce séparée qu’Éric Duhaime doit répondre à des questions plus salées, dont le fait que plusieurs de ses candidat.e.s ont financé le convoi qui a paralysé le centre-ville d’Ottawa.
Visiblement, le Québec inc. n’était pas en liesse devant l’aspirant premier ministre qui nous invite à « une nouvelle réalité de la scène politique québécoise ». La révolution mauve brouillera-t-elle les cartes le 3 octobre prochain, et ce, même si ce midi, l’ancienne animatrice des zigotos n’a pas pu placer un seul mot?
Le temps nous le dira.
Mais la prestance de Duhaime m’aura laissé sur mon appétit, malgré l’évidente réussite au palais du trois services gourmet.