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Lucie Laurier persiste… et « sing »

« J’ai beaucoup plus gagné que j’ai perdu. »

Par
Hugo Meunier
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« Si c’était à refaire, je referais exactement la même chose, peut-être même de manière plus offensive. »

Non, Lucie Laurier ne regrette en rien les positions controversées qu’elle a défendues publiquement tout au long de la pandémie. Même si lesdites positions lui ont certainement coûté sa carrière de comédienne et sa crédibilité aux yeux de plusieurs. Une carrière prolifique, marquée par des productions populaires comme La Grande Séduction, Nitro, Bon Cop, Bad Cop et plusieurs autres rôles marquants à la télévision.

« Je m’en fous comme de l’an 40. Je soutiens tout ce que j’ai dit, avec autant de poids. Je préfère que ça me coûte une carrière de comédienne qui ne me satisfaisait plus, que mon cœur et mes convictions », martèle-t-elle avec aplomb.

Et elle en a dit des choses, Lucie Laurier, sur tous les fronts, mais principalement contre les règles et décisions gouvernementales prises en marge de la crise sanitaire.

Des allusions au chemtrail sur les réseaux sociaux, à la manif des camionneurs à Ottawa, en passant par des sorties antivax et des invitations sur des plateaux à saveur conspirationnistes, le Québec a découvert une Lucie Laurier à des années-lumière de celle qu’il voyait briller sur les tapis rouges.

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Maintenant que la poussière pandémique est un peu retombée, j’ai voulu rencontrer la principale intéressée, notamment pour l’entendre sur le fait d’être passée de comédienne prisée à persona non grata de l’intelligentsia médiatique/culturelle.

Raillée par bon nombre de chroniqueurs qui l’ont carrément traitée de danger public ou se sont demandés à voix haute s’il fallait même parler d’elle dans les médias, évoquant la peur de donner un porte-voix aux idées controversées qu’elle défendait, surtout dans un contexte où les morts s’empilaient dans l’actualité.

Live à Carignan

C’est en voyant une annonce pour un spectacle de Lucie Laurier recyclée en chanteuse que j’ai trouvé mon prétexte pour prendre des nouvelles. « Concert intime, piano/voix », clamait l’annonce. Je savais qu’elle chantait puisque, comme vous, j’ai vu passer sa chanson Tueur à gages sur les réseaux sociaux – celle avec le segment latin.

J’ai donc mis le cap sur Carignan samedi après-midi.

Lucie Laurier m’attend, assise dans les escaliers menant à sa maison, tisane en main.

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Linge confortable, zéro maquillage, en toute simplicité. Dehors, le soleil chauffe et le ciel bleu est tacheté de nuages. Je lui ferai plus tard une joke de chemtrail, pour découvrir qu’elle adhère toujours autant à cette théorie d’épandage chimique arrangé avec le gars des vues dans le ciel, m’invitant d’ailleurs à consulter un rapport complet et détaillé sur la chose. « Évidemment, les journalistes, vous n’allez jamais prendre le temps de lire ça… »

Mais chaque chose en son temps.

Pour l’heure, Lucie m’accueille chaleureusement et me fait faire le tour de sa maison, mignonne propriété au bord de la rivière Richelieu, où elle habite depuis 2020 avec son amoureux, Manu Pitois, également son pianiste/directeur musical (il a aussi réalisé plusieurs albums, dont ceux de Marc Hervieux et Lara Fabian).

Cultiver son jardin

Le flot des voitures est parfois bruyant sur le chemin Sainte-Thérèse, me prévient Lucie, tandis qu’on s’installe sur des chaises de son terrain, en face de sa maison. Un beau jardin où poussent notamment des tomates se trouve à nos pieds. « Je ne connaissais rien là-dedans, mais j’entretiens tout ça depuis trois ans. Je suis toujours en apprentissage », explique l’agricultrice en herbe.

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Pour briser la glace, elle me parle de musique, cette nouvelle trajectoire artistique se limitant pour le moment à son salon. La formule attire une trentaine de personnes à chaque représentation.

La musique fait depuis toujours partie de sa vie, explique celle qui figurait comme choriste sur 1990 de Jean Leloup.

Elle avait même quelques contrats de musique à portée de main, à l’adolescence.

L’aventure musicale s’est interrompue brusquement à ses 17 ans, lorsqu’elle est tombée enceinte de son fils. « La plus belle chose que j’ai faite de ma vie », note-t-elle, attendrie.

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De quoi responsabiliser rapidement dans la vie, surtout pour elle qui est partie en appartement à l’âge de 14 ans. « J’étais très sage, je n’ai même jamais fumé un joint de ma vie », assure-t-elle.

Quand je lui fais remarquer qu’elle pourrait essayer ça maintenant que c’est légal, Lucie Laurier saute sur l’occasion. « Il y a bien des choses légales qui sont anormales, comme l’impôt sur le revenu! »

OK, elle n’en rate pas une.

« Je n’appartiens pas au métier »

J’avoue que j’ignorais ce à quoi m’attendre.

En roulant vers chez elle, je me suis demandé si elle maintenait le cap sur ses sorties tapageuses contre les règles sanitaires ou si elle aimerait revenir en arrière pour se tourner la langue sept fois.

Si vous vous attendiez à découvrir une Lucie Laurier apitoyée et roulée en boule dans ses regrets, passez votre chemin.

Elle assume à 100 % tout ce qui sort de sa bouche (chansons incluses). « Le jeu, c’est quelque chose que j’ai adoré, mais ça rend très tributaire du regard des autres et ça allait moins avec moi », explique celle qui a commencé sa carrière à l’enfance dans une pub de la banque de commerce, avant de décrocher un rôle deux ans plus tard aux côtés de Jean Duceppe dans Le vieillard et l’enfant.

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Cette cadette d’une famille de neuf enfants écorche durement le cinéma et la télévision des dernières années, se disant en « désamour » avec la fiction locale. « C’est devenu convenu, il y a quelque chose de brut qui n’est plus là. Le ton est dépressif, les hommes sont mous et les femmes en dépression », critique-t-elle.

Son divorce avec sa vie de comédienne s’est fait dans un haussement d’épaules.

« Je roule ma bosse depuis l’âge de 7 ans, mais je n’appartiens pas au métier et celui-ci ne veut pas de gens authentiques qui s’affirment », tranche-t-elle.

Si ses propos sont teintés d’une pointe d’amertume, Lucie Laurier assure être heureuse et n’entretenir aucune rancœur, sinon une grande désillusion envers le mouvement souverainiste, pour lequel elle a été une ardente militante. Elle a aussi grandi dans une famille indépendantiste, en plus d’avoir fréquenté PKP, l’ancien chef du Parti québécois. « On est conditionné à ne pas s’aimer, je vois beaucoup de complexes chez les Québécois », regrette Lucie Laurier, qui ne se considère même plus indépendantiste. « C’est trop tard, on est dans un monde mondialisé, réveillez-vous! »

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« Moi, je suis responsable de mes propos »

Son indépendance s’exprime maintenant à travers ce proverbial droit à liberté d’expression, dont elle tire l’élastique à des endroits éloignés de la communauté scientifique.

Lucie Laurier se redresse sur sa chaise, prête à argumenter sur les théories auxquelles je fais référence et que la plupart considère farfelues. Je ne suis pas le plus ferré pour débunker les thèses conspirationnistes, ayant moi-même cru au Père Noël jusqu’à 14 ans (à ma défense, c’est mon père qui le personnifiait au Centre Laval et ça explique pourquoi je le trouvais sua coche pour deviner si j’avais été sage ou pas durant l’année).

Je lui fais d’emblée remarquer que ses accointances avec des ténors de ce mouvement de protestation (les jumeaux Tadros, André Pitre, et cie.) ont certainement nuit à sa crédibilité comme à celle de la cause elle-même.

« Ces gens ont dit des choses très valables. Moi, je suis responsable de mes propos, de ce que je défends. Dans la rue, j’ai rencontré des gens de qualité. J’échangerais n’importe lequel d’entre eux contre un journaliste de TVA ou Radio-Canada. C’est moins gênant d’être à côté d’André Pitre et Steve Charland que de Mario Dumont et d’une crapule comme François Legault. Tu peux écrire que j’ai dit “crapule”!»

C’est fait. Frank ne s’en remettra jamais.

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Je l’entraîne sur une théorie à la sauce QAnon selon laquelle une secte pédosatanistes de gens puissants mènerait le monde à sa perte. Je me dis que c’est tellement niochon qu’elle va au moins me concéder celle-là. C’est mal la connaître. « Je ne comprends pas cette espèce de refus d’imaginer ça. Veux-tu savoir comment j’ai perdu ma virginité? Avec quelqu’un du milieu, en plus? », me défie-t-elle avant de se raviser, voyant que je ne sais plus où me pitcher dans mon malaise.

Elle dénonce la condescendance avec laquelle on balaie tout argumentaire concernant la pédophilie et fustige tous les chroniqueurs/commentateurs qui les ont affublés, elle et les gens de son mouvement, de toutes sortes de noms peu flatteurs. « Coucous », « covidiots », « édentés » : autant de symptômes de l’arrogance des intellectuels, affirme-t-elle.

« Tu remarqueras que je ne suis pas édentée », plaisante-t-elle en me montrant une dentition blanche et admirablement alignée.

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Même si les couteaux ont volé au ras du sol, Lucie Laurier refuse de s’abaisser aux insultes. « Ce que les gens disent de moi, qu’est-ce que je peux y faire? Est-ce que j’ai une dent contre certaines personnes? Non, j’ai plutôt une profonde tristesse pour les gens qui se reconnaissent en eux. »

Le calme après la tempête

Comme mon stylo n’a plus d’encre, je dois faire une pause pour aller en chercher un autre dans mon char. « Je parle beaucoup, hein? », badine Lucie Laurier, qui doit bientôt aller organiser sa maison pour le spectacle.

Symbole de protestation contre les mesures sanitaires durant la pandémie, Lucie Laurier vit-elle aujourd’hui une forme de déception à l’idée de voir que plus personne n’en parle, que Justin Trudeau, Horacio Arruda et Bill Gates n’ont pas été arrêtés, bref, que la vie continue comme si de rien n’était? « Non, les gens ont besoin de se ressourcer. Moi, j’ai dit ce que j’ai à dire et je suis très fière des gens avec qui j’ai marché. Je me sens riche de les avoir croisés. »

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Lucie Laurier a peut-être dit ce qu’elle avait à dire, mais elle n’a pas dit son dernier mot pour autant.

« On n’est pas moins corrompus qu’en 2020. Toute l’Assemblée nationale est une bande d’inaptes. »

Toute. Rien de moins. Il doit bien y avoir un.e politicien.ne quelque part qui fait quelque chose d’inspirant? Éric Duhaime peut-être?!?

Lucie Laurier conserve un visage de marbre.

Décidément. On ne lui reprochera pas de tenir son bout, refusant d’admettre même du bout des lèvres ne serait-ce qu’une vérité pandémique sur laquelle est aurait fait fausse route. Une pandémie, rappelons-le, qui a emporté des millions de personnes et causé une hécatombe dans nos CHSLD.

« Une arnaque du début à la fin. Les gens mouraient aussi avant la pandémie. Ça n’a rien à voir avec la grippe espagnole qui a emporté un bon pourcentage de la population mondiale (entre 2,5 et 5 %, NDLR). Moi, je n’ai jamais été vaccinée et je n’ai jamais été malade, ni personne autour de moi. »

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Difficile de ne pas avoir une pensée pour ces nombreuses familles endeuillées par des décès crève-cœur vécus loin de leurs proches, qui ne partagent pas cette théorie. Mille excuses.

Le bonheur comme armure

Soudain, un petit bonhomme s’amène sur son terrain; c’est le petit voisin, qui saute aussitôt dans les bras de Lucie Laurier. Celle-ci lâche tout et l’amène par la main cueillir des fraises dans son jardin derrière.

« Attends-moi deux secondes! », me lance-t-elle, avant de répéter le même manège avec la petite sœur du gamin.

Plus tard, je lui demande si elle est fatiguée d’avoir les pieds là-dedans, d’être en tabarnak contre le système, d’adhérer à des idées crissement polarisantes en se mettant à dos une bonne partie de la population.

« Oui, je suis fatiguée, mais c’est toi qui viens me parler de ça. Certains m’haïssent, d’autres m’adorent, mais je n’ai plus à protéger une image. Ça m’a libérée d’un poids. Sinon, ma façon de résister, c’est d’être heureuse et je le suis vraiment », assure-t-elle.

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L’entretien se termine par un rant contre les toilettes non-genrées et la faiblesse du féminisme d’aujourd’hui qui, selon elle, érige en modèle des femmes mal dans leur peau et complexées.

Bien sûr, on ne fait pas d’omelettes sans casser des œufs et Lucie Laurier s’est brouillée avec des amitiés, au fil du temps. « Oui, j’ai perdu des gens, mais j’en ai gagné pas mal plus que j’en ai perdu », nuance-t-elle.

« Vous êtes ici chez vous »

À l’intérieur de la maison, Manu passe la moppe sur le plancher en bois, l’odeur du produit nettoyant embaume la pièce. Le musicien me raconte l’histoire derrière le magnifique piano à queue qui trône dans le salon, un instrument centenaire trouvé chez un antiquaire pour une bouchée de pain. « Lucie, tu commences tes vocalises bientôt? », demande-t-il à sa belle, en train de préparer le punch avec le basilic qu’elle vient de couper dans son jardin.

Je laisse le couple à ses préparatifs.

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– Je vais payer mon billet tantôt quand je vais revenir, que je lance en partant.

– Mets-en que tu vas payer ton billet, tranche l’hôtesse, sur un ton faussement sévère.

Non, Lucie Laurier ne fera effectivement pas de cadeau aux journalistes.

Le soleil se couche sur Carignan lorsque les invités débarquent par grappes chez Lucie et Manu. Il y a pas mal de maringouins, les gens se stationnent dans une rue attenante. Marie-Claude est venue avec des amies. « Je connais plein de monde qui l’ont vue ici et qui m’ont dit que c’est une superbe soirée. Je ne sais pas si t’as vu sa reprise d’une chanson de Ginette sur Facebook, le poil m’a redressé sur les bras », raconte la dame de Belœil.

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Je lui demande si c’est la chanteuse qui l’attire ici ou bien celle qui nie l’existence même de la pandémie. « Ah, tu veux dire la grande arnaque », rétorque-t-elle du tac au tac. « Moi, honnêtement, je suis encore blessée de comment on a été traité », ajoute Marie-Claude.

Son amie se braque en me voyant avec un calepin.

Un journaliste ici, c’est comme un végan dans un méchoui. « Tu viens-tu humilier Lucie, toi? », me confronte-t-elle sèchement.

On converge ensemble à la maison pendant que l’amie, néanmoins sympathique, m’étourdit de chiffres provenant d’une enquête concernant la compagnie Pfizer.

« Bienvenue chez moi »

Sur le balcon de la maison, Manu a fière allure dans son costard, accueillant les invités un à un.

À l’intérieur, l’ambiance est feutrée et le salon de l’après-midi ressemble maintenant à une salle de spectacle, avec les rideaux rouges ceinturant la pièce, l’éclairage et les chaises réparties en deux sections.

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Le punch repose sur un beau meuble antique et les gens sont invités à s’en servir en entrant.

Manu s’installe au piano et attaque les premières notes de Always on my mind. Lucie apparaît à son tour, sublime dans sa robe noire et ses escarpins scintillants. Je vais vous épargner la critique musicale, mais je peux affirmer qu’elle chante juste, qu’elle a du coffre et semble confortable dans un catalogue hétéroclite, dans lequel se côtoient du Trenet, du Céline, une toune de La La Land et du Aznavour.

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La trentaine de personnes réunies apprécie, les applaudissements sont nourris.

« Bonsoir. Bienvenue chez moi. Vous êtes ici chez vous », lance Lucie Laurier après sa première chanson.

Le concert s’échelonne sur une heure trente, sans temps mort. L’ambiance est conviviale, Lucie Laurier placote avec les gens, s’efforce de les mettre à l’aise. Sauf avec moi, bien sûr, me raillant gentiment à quelques reprises entre ses chansons.

– Ça va bien, monsieur le journaliste?

– Oui oui…

– Bon, s’il va bien, ça veut dire que nous, on doit aller mieux!

Son interprétation de Ne me quitte pas de Brel est particulièrement sentie, j’ai même eu un frisson. Mais moins que la dame en face de moi, qui s’est mise à pleurer, émue, pendant Le cœur est un oiseau de Desjardins. Sa voisine la réconforte pendant que Lucie Laurier pousse la note au maximum pour la finale.

« Liberté, liberté, liiiiberté! »

Des paroles qui trouvent clairement leur résonnance ici.

Les gens filment un peu et prennent des photos avec leur cellulaire. Une dame âgée à ma gauche ferme les yeux pour mieux se concentrer sur la voix de la chanteuse.

Après le rappel, les gens sont invités à se servir un punch avant de quitter. Plusieurs se prennent en photo avec nos hôtes.

Je quitte à mon tour, après avoir salué Manu et Lucie.

« Tu peux bien écrire ce que tu veux, de toute façon, je te lirai pas», m’a prévenu cette dernière en après-midi.

En roulant vers Montréal, je me dis que c’est un peu dommage.

Dommage cette fracture, ce langage de sourd avec une bonne partie de la population, nos collègues, nos proches, nos ami.e.s, au nom de théories qui nous dépassent et nous isolent dans nos chambres d’échos.

Un peu dommage aussi, parce que si elle lisait cet article, Lucie Laurier saurait qu’en voyant son air espiègle et ses yeux brillants en chantant du Piaf, je la croyais vraiment quand elle disait être heureuse.