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La banlieue serait-elle en train de devenir le fun?

Oui, les mots «banlieue» et «fun» sont dans la même phrase

Par
Camille Dauphinais-Pelletier
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Que la banlieue attire les jeunes familles, ça ne date pas d’hier. Mais que ses résidents ne viennent à peu près plus en ville, ça, c’est pas mal plus récent. Est-ce qu’en plus d’être moins chère*, la banlieue est en train de devenir le fun?

On peut maintenant boire un café de «troisième vague», manger du bœuf nourri à l’herbe et voir un show de hip-hop sans sortir de Laval. C’est officiel: la banlieue est devenue un milieu de vie à part entière. Pas étonnant que la rue Saint-Denis se meure.

Les résidents ne veulent plus aller en ville pour satisfaire leurs désirs.

«L’époque de la banlieue-dortoir est révolue, résume Marc-André Carignan. Dans les années 70-80, si on voulait se rendre dans un restaurant autre que [celui d’une] chaîne commerciale, aller à un festival ou voir un humoriste, il fallait venir à Montréal.» Le chroniqueur en développement urbain est bien placé pour le savoir: il a grandi à Mont-Saint-Hilaire et y est même resté jusqu’à sa première année d’université, avant de rendre les armes devant l’insuffisance du transport en commun et de déménager sur l’île au milieu des années 2000.

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Aujourd’hui, les banlieues se densifient, les lieux de divertissement y poussent et les emplois y déménagent. Les résidents ne veulent plus aller en ville pour satisfaire leurs désirs, et ils envisagent la traversée du Saint-Laurent comme l’épilation du bikini: à faire le moins souvent possible. Une chaîne de restaurants publicise d’ailleurs ses burgers le long de l’autoroute avec cet argument choc: «Plus besoin de traverser le pont — 15 restos sur la Rive-Sud».

Les nouveaux banlieusards

On connaît la rengaine: «Ici, j’ai une cour à moi, pis les maisons sont achetables». Oui, la banlieue a toujours eu ces avantages — non négligeables pour bien des gens, on s’entend. Mais pour d’autres, toutes les remises à tondeuse du monde ne suffisaient pas à compenser son côté plate.

C’était avant le piano public à Mascouche, les camions de cuisine de rue à Saint-Bruno-de-Montarville et les vélos en libre-service à Lavaltrie. Des moments Instagram dans des rues de banlieue: on n’arrête pas le progrès! Si on ajoute à ça la multiplication des emplois et la densification des habitations décrites par Marc-André Carignan, ça commence à ressembler un ti-peu… à la ville.

La banlieue continue de pogner auprès de son éternel public: les jeunes familles.

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Et ça marche. Même la clientèle la plus fidèle de Montréal, les étudiants, pourrait commencer à bouder la métropole. Suivant le rite de passage, après le cégep, ils quittent en troupeaux leurs douces régions pour aller acquérir un diplôme, des dettes et de gênantes anecdotes de vomi dans le métro. Mais avec la multiplication des campus universitaires satellites (Longueuil, Laval, Saint-Jérôme), le vent pourrait tourner. «Si tu ne fais pas le passage en ville vers 18-20 ans, il y a peu de chances que tu le fasses par la suite. Et passé 30 ans, tous les groupes d’âge sont en migration hors Montréal», observe Daniel Gill, professeur en urbanisme retraité de l’Université de Montréal et lui-même heureux banlieusard depuis 25 ans.

En plus de faire de nouvelles conquêtes, la banlieue continue de pogner auprès de son éternel public: les jeunes familles (oui, même celles de ceux qu’on appelle les «milléniaux»). «On aurait pu penser que la nouvelle génération, qui mise sur la qualité de vie et pour qui le permis de conduire est optionnel, serait prête à sacrifier de l’espace au profit d’un milieu plus urbain. Mais c’est loin d’être vrai pour la majorité», constate Marc-André Carignan. C’est que le parc immobilier est plus ou moins adapté aux familles à Montréal, croit Daniel Gill, rappelant qu’un trois et demi en haut d’une pizzéria ne convient pas à tous pour élever une famille: généralement, on veut plus d’espace. «Si t’es pour aller vivre à l’autre bout de Montréal-Nord ou à Rivière-des-Prairies, loin du métro, t’es mieux d’aller en banlieue.»

«T’as pas l’impression d’être là où les choses se passent. Y a pas beaucoup de surprises, au fond.»

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Des autos dans les rues vides.

Faut pas se leurrer: il y a des domaines où la banlieue ne peut juste pas rivaliser avec la ville. Même s’il s’améliore, le transport en commun continue d’y faire pitié. Il y a aussi le nightlife qui manque de piquant. Et comme mon ami nouvellement banlieusard disait récemment: «T’as pas l’impression d’être là où les choses se passent. Les quartiers où les tendances comme l’apiculture urbaine ou les coopératives originales se développent, c’est jamais en banlieue.» Y a pas beaucoup de surprises, au fond.

Ça risque de prendre un bail avant que la banlieue se défasse pour de bon de son image beige, beige, beige. Mais une vision plus nuancée est déjà en train d’émerger, avec Koriass qui rappe sur Saint-Eustache et de jeunes auteurs qui racontent leur Brossard ou leur Boucherville dans les recueils de la série Cartographies.

Le boulevard Taschereau ne suscite pas encore la même émotion que le boulevard Saint-Laurent, mais qui sait? On pourrait être surpris…

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*Oui, on le sait: les deux chars, le «gaz», le temps infini pogné dans le trafic, tout ça a un coût. Mais les maisons sont quand même saprément moins chères qu’en ville…

Pour prolonger la lecture, on vous recommande notre «Guide d’autodéfense du banlieusard»!

Pour lire la suite du magazine interactif, c’est par ICI!

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