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Lou Doillon : « la musique est un battement de coeur avec une danse au-dessus »

Conversation sur la force d'une voix, le danger du confort et les femmes qui se tiennent debout.

Par
Audrey PM
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Il y a quelque chose de terriblement intime dans l’acte de chanter. On pare sa voix du mieux qu’on peut, mais il s’agit d’une empreinte unique qui provient à la fois de nos entrailles et de notre âme. Chanter est une véritable mise à nu de qui nous sommes.

Alors quand on choisit de s’exprimer artistiquement à travers le chant et la musique, il faut savoir faire confiance à la force de sa propre vulnérabilité.

C’est pour plusieurs un processus difficile à atteindre, mais ça ne semble pas être le cas pour Lou Doillon.

Ne connaissant auparavant son œuvre qu’en surface, mon immersion dans son 3e album Soliloquy m’a ouvert les portes sur une chanteuse audacieuse et généreuse. La rencontrer pour une entrevue m’a fait découvrir une artiste au courage sans compromis.

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De l’énergie brute

Quelques jours avant la rencontre, j’apprenais dans un article qu’elle avait d’abord enregistré ses chansons uniquement accompagnée d’une guitare électrique et d’une batterie, donnant un ton initial nerveux, sec et cru à l’album.

« Il y avait un désir d’aller ailleurs », m’explique Lou. « Mes chansons sont toujours écrites sur guitare acoustique et voix. Je sais pas écrire autrement. Par contre, la guitare acoustique ou le piano, je les utilise comme des assises rythmiques, plus que comme arrangements. Là, pour m’amuser et changer la proposition, j’ai pris uniquement l’élément rythmique qu’il y a dans la guitare, sans prendre l’élément mélodique. Donc si c’est la voix qui fait tout le travail mélodique, où est-ce qu’on va? »

Ainsi, en s’éloignant du folk plus doux auquel on l’associait, elle révélait un aspect beaucoup plus dynamique de sa personnalité. Cette énergie, cette impatience enjouée qu’on entend sur le titre Burn, c’est présent depuis toujours. Et c’est avec cet album qu’elle a pu l’exprimer.

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« Je suis entrée en studio en commençant un peu à l’envers, » révèle Lou, « avec batterie et voix, et j’ai ajouté des éléments d’une guitare qui ne m’accompagne pas, mais qui me pirate. Une guitare qui me rentre dedans. Et je me suis dit : là on va me traiter avec moins de fragilité que d’habitude, parce que j’avais envie de faire un album qui n’était pas fragile dans ce sens-là. J’avais envie d’un décor un peu aride, qu’il y ait un désir de tenir toute seule. »

La voix qui mène

C’est donc à l’aide de sa voix que Lou Doillon a défini les sonorités de son album. Mais s’affirmer ainsi à travers ce qu’on a de plus vulnérable, c’est jamais confortable.

« C’est un défi qui me faisait peur et c’est ça qui est intéressant, me dit Lou. « Le reste m’amenait vers un truc de confort… et on ne vit qu’une fois. Ça sert à rien si c’est pour aller vers le confort. »

La voilà donc, cette révélation, la clé de l’album, et de l’appréciation de l’artiste. Le refus de se la jouer facile. Le refus de se faire protéger. Le refus de camoufler les éclats un peu trop vifs de vérité.

Photo : Julie Artacho

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Le concert comme connexion ultime

Je suis toujours curieuse de connaître le rapport à la scène des musiciens. Surtout après une sortie d’album : vont-ils chercher à reproduire l’album systématiquement? Vont-ils édulcorer la production pour faciliter la tournée? Vont-ils en profiter pour continuer à faire évoluer leurs chansons?

En ce qui concerne Lou, l’excitation et la joie se lisent sur son visage dès qu’elle me parle de son équipe de musiciens pour la tournée.

« J’ai trouvé une équipe spécialement pour ce projet et on s’est dit : interdiction d’ordinateur. J’aime pas la contrainte de l’ordinateur. Ça rassure tout le monde. Et moi je préfère me rapprocher du cirque que du cinéma. »

La base de la musique, c’est un battement de cœur et une danse au-dessus.

Mais je me demandais comment elle ferait néanmoins pour reconstruire sur scène cette énergie brute qu’on retrouve sur l’album, notamment sur la pièce Burn.

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« À un moment donné je voulais presque faire le concert kick-voix-kick-voix avec des fois une intervention de guitare, mais qu’une chanson tienne comme ça », me confie-t-elle, avant de me faire part de la plus belle définition de la musique (et de la vie, du même coup) que j’ai jamais entendue.

« C’est aussi ça la base de la musique : c’est un battement de cœur et une danse au-dessus. Et la mélodie, c’est la danse. Et finalement c’est ça la vie, quand on marche, qu’on parle dans la rue, c’est déjà de la musique. »

Donc vive le danger, et vive la connexion humaine que ça provoque, et ce, autant avec le public qu’avec les musiciens sur scène.

« Y a une prise de risque qui demande à tout le monde d’être extrêmement attentif et ce qui est merveilleux dans ce métier c’est qu’on joue tous ensemble donc on est obligé d’être attentif à l’autre et cette attention, elle est perceptible par les gens. Ça fait un échange d’énergie qui me plaît beaucoup. »

Ici, je vous avoue que je sais trop bien que c’est cliché de dire d’une artiste qu’elle est généreuse (2 fois dans cet article, qui plus est), mais je sais aussi qu’il n’y a rien comme un artiste qui sait offrir des moments uniques à son public. Des moments impossibles à répéter sur une autre scène ou à un autre moment. Lou est d’accord avec moi là-dessus :

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« Les concerts où on sent que ce serait le même concert, qu’il y ait un public ou pas, j’en veux beaucoup aux artistes qui font ça. Moi j’aime bien qu’on sente qu’il y a une implication, même si ça rate des fois, putain, c’est pour ça qu’on est là, c’est un désir humain. Et on a besoin de ça aujourd’hui, dans un monde où tout le monde est fou d’archivage… »

Cat Power et le noyau de l’album

Je ne pouvais pas ne pas tenter d’en savoir plus sur sa collaboration avec la grande Cat Power, sur la chanson It’s You.

Lou m’a expliqué qu’en fait, elles y sont allées à la façon d’un cadavre exquis : elle a enregistré guitare-voix à Paris avant d’envoyer la session à Chan qui elle, était à Los Angeles. Elle a fait son bout dessus et elle l’a renvoyé à Paris.

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« Moi je pensais qu’elle allait se placer comme un duo. Mais elle a fait cette chose tellement étonnante quand elle m’a renvoyé la chanson. »

C’est vrai qu’au départ on cherche la voix de Cat Power au début, mais tout à coup, elle arrive comme une bourrasque dans le refrain.

« Elle est tous les fantômes autour de moi », s’extasie Lou. « Elle est partout à gauche à droite elle me traverse, me transperce, elle récupère ce que je dis, elle le répète, elle l’arrête, elle le redonne, elle le renvoie. C’est une sorte de feu d’artifice, mais d’une pudeur et d’une modestie absolument incroyables. »

Et ça fait quoi d’entendre une artiste qu’on admire s’immiscer dans son propre univers?

Lou est catégorique : «J’avais très peur de l’entendre parce que c’est quand même une voix qui me berce depuis que j’ai 15 ans, donc ça devient comme un objet mythologique cette voix. Mais d’entendre cette voix-là dire mes mots sur ma mélodie et chanter avec moi… j’étais en larmes, j’étais désarmée de joie. »

Entendre cette voix-là dire mes mots… j’étais en larmes, j’étais désarmée de joie.

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Elle me dit que la chanson est un noyau sur l’album, dans lequel on s’arrête, on se pose. Elle dit s’être inspirée de photographies de Dorothea Lange. Celles de femmes migrantes dans les convois de chariots bâchés, au début du 20e siècle dans l’Ouest américain. Des femmes en quête d’un avenir meilleur, qui n’ont rien, mais qui sont restées fières.

C’est un peu ça It’s You, pour Lou : « Je vois des femmes qui n’ont plus rien de leur amour, mais il y a une grande fierté parce que c’est pas grave. Elles ont vécu, elles ont aimé, elles sont en vie et il y a de l’avenir. »

« C’est pas une chanson d’amour triste. Au contraire. Il y a de la fierté d’avoir été capable d’aimer, cet amour il est nous et que le mec ou la fille nous ait aimé ou pas, on s’en fout, en fait ce qui est fou c’est qu’on a été capable d’aimer. »

Et c’est peut-être ça la véritable clé de l’album finalement : retrouver notre battement de cœur et sa mélodie, pour se rappeler qu’on a été capable d’aimer.

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Pour suivre Lou Doillon, c’est ici.

Lou Doillon sera en spectacle cet été au Festival international de jazz de Montréal, plus d’infos ici.