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L’opinion publique, les terrasses et Isabelle MarĂ©chal

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“Criez, mobilisez-vous, on ne vous entend pas”,

scandait Benoit Dutrizac, invitant les personnes Ă  mobilitĂ© rĂ©duite de s’insurger davantage de la condition dans laquelle elles se retrouvent. “Vous avez de toute façon la sympathie des gens. L’opinion publique est de votre bord”.

Il prĂ©tendait alors que les personnes handicapĂ©es sont perçues comme si vulnĂ©rables et peu dĂ©rangeantes qu’aucun citoyen n’oserait remettre en question leurs modestes revendications.

Surtout pas lorsqu’il s’agit d’un principe aussi primaire que celui de l’accessibilitĂ© universelle. Il n’aura finalement pas eu Ă  attendre bien longtemps avant de trouver un opposant Ă  sa thĂšse. Pire, il n’aura mĂȘme pas eu Ă  chercher bien loin : sa propre collĂšgue au 98,5 s’est en effet outrĂ© qu’on daigne offrir une voie de circulation libre aux personnes avec un handicap :

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“Je suis allĂ©e Ă  la terrasse de Chez Alexandre la semaine derniĂšre. Elle est dĂ©mantelĂ©e depuis. C’est une de ces espĂšces d’inepties de notre sociĂ©tĂ© puriste et tournĂ©e vers les droits de la minoritĂ© qui prennent le dessus sur les droits de la majoritĂ©. C’est Ă©pouvantable, cette histoire de terrasse.”

J’en conviens d’abord que Mme MarĂ©chal n’est pas une lectrice avide d’Albert Camus Ă  qui on doit ces mots : “La dĂ©mocratie n’est pas la loi de la majoritĂ© mais la protection de la minoritĂ©â€.

Cette “histoire de terrasse”, Ă  laquelle elle fait beaucoup trop grossiĂšrement rĂ©fĂ©rence pour que quiconque puisse y comprendre quoi que ce soit, est celle de M. Creton, ce pauvre commerçant de la rue Peel.

Celui-ci profitait d’une certaine largesse de la municipalitĂ© qui lui permettait d’installer sa terrasse en contigu Ă  son Ă©tablissement, mĂȘme si ce type de configuration est contraire Ă  la politique d’accessibilitĂ© de la Ville. Ce rĂšglement demande au commerçant d’installer leur terrasse un peu plus loin afin de permettre une circulation sĂ©curitaire et aisĂ©e aux personnes avec une dĂ©ficience physique ou visuelle.

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TĂȘtu, le propriĂ©taire refusait de se plier Ă  cette norme autrement respectĂ©e de tous. Depuis trois ans, les fonctionnaires de la Ville lui conseillaient de demander tout de suite un permis permettant l’installation d’une contre-terrasse, en bordure de la route, s’il ne voulait pas se retrouver les mains vides. Chose qu’il n’a pas faite et Ă©videmment, il se retrouve un matin Ă  ranger ses chaises pliantes.

TrĂšs bizarrement, son zĂšle a fait les manchettes Ă  TVA et Ă  Radio-Canada.

Ce n’était mĂȘme pas digne d’un fait divers : mais les journalistes y ont vu lĂ  un “accommodement dĂ©raisonnable” et se sont ameutĂ©s autour de M. Creton pour s’abreuver de ses larmes.

Le grotesque spectacle ne s’arrĂȘtait pas là : les journalistes ne se sont pas limitĂ©s Ă  prendre en pitiĂ© M. Creton pour sĂ©cher ses pleurs, ils ont Ă©galement placĂ© les personnes handicapĂ©es sur le banc des accusĂ©s devant cette “criante injustice!” — Ce mĂȘme M. Creton qui n’a pourtant jamais daignĂ© rendre son Ă©tablissement accessible en 38 ans d’existence (pas un mot lĂ -dessus).

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Patrice Roy, dans un reportage journalistique qui a fait l’objet d’une plainte Ă  l’ombudsman, va mĂȘme jusqu’à avancer qu’à cause des personnes handicapĂ©es “ni eux ni nous” ne pourraient profiter des joies de l’étĂ©! Comme s’il y avait une distinction Ă  faire entre les habitudes sociales des personnes handicapĂ©es et celles des autres, et comme si elles ne pouvaient pas cohabiter dans la collectivitĂ©.

Un peu plus et Patrice Roy craignait pour l’effondrement du PIB quĂ©bĂ©cois.

Ces spectaculaires traitements mĂ©diatiques auront permis de rĂ©futer assez solidement les propos de Dutrizac. Une demande aussi primaire que celle formulĂ©e par un groupe de personnes handicapĂ©es aura Ă©tĂ© dĂ©formĂ©e, amplifiĂ©e et ridiculisĂ©e par les grands mĂ©dias qui ont ratĂ© l’occasion de renseigner leur public sur l’accessibilitĂ© universelle.

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Faut-il s’en Ă©tonner? Non. Puisque lorsqu’une situation comme celle-ci survient, on ne peut pas compter sur les mĂ©dias pour accomplir leur mission premiĂšre d’informer.

Si Patrice Roy, Isabelle MarĂ©chal et Lysiane Gagnon avaient pris le soin d’analyser la situation, ils auraient rĂ©alisĂ© qu’il n’y avait pas matiĂšre Ă  prĂ©judice et certainement pas matiĂšre Ă  nouvelle.

Ils ont plutĂŽt dĂ©cidĂ© d’occulter certaines informations du dĂ©bat. Afin de rendre le message plus simple Ă  l’oreille du spectateur distrait. C’est une manƓuvre de dĂ©magogie employĂ©e soit volontairement (par paresse intellectuelle) soit involontairement (par manque de rigueur). À vous de juger.

Parce que si les journalistes avaient pris le soin d’entrer dans les dĂ©tails, le drame aurait Ă©tĂ© moins Ă©mouvant. L’histoire moins croustillante. Les gens ne se seraient pas offusquĂ©s et les cotes d’écoute auraient baissĂ©.

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Pis ça n’aurait pas fait de la bonne tĂ©lĂ©. Mais ça aurait fait du maudit bon journalisme.

***

Pour lire un autre texte de KĂ©ven Breton : “Une culture sans escalier svp”

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