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“Criez, mobilisez-vous, on ne vous entend pas”,
scandait Benoit Dutrizac, invitant les personnes Ă mobilitĂ© rĂ©duite de sâinsurger davantage de la condition dans laquelle elles se retrouvent. âVous avez de toute façon la sympathie des gens. Lâopinion publique est de votre bord â.
Il prĂ©tendait alors que les personnes handicapĂ©es sont perçues comme si vulnĂ©rables et peu dĂ©rangeantes quâaucun citoyen nâoserait remettre en question leurs modestes revendications.
Surtout pas lorsquâil sâagit dâun principe aussi primaire que celui de lâaccessibilitĂ© universelle. Il nâaura finalement pas eu Ă attendre bien longtemps avant de trouver un opposant Ă sa thĂšse. Pire, il nâaura mĂȘme pas eu Ă chercher bien loin : sa propre collĂšgue au 98,5 sâest en effet outrĂ© quâon daigne offrir une voie de circulation libre aux personnes avec un handicap :
âJe suis allĂ©e Ă la terrasse de Chez Alexandre la semaine derniĂšre. Elle est dĂ©mantelĂ©e depuis. Câest une de ces espĂšces dâinepties de notre sociĂ©tĂ© puriste et tournĂ©e vers les droits de la minoritĂ© qui prennent le dessus sur les droits de la majoritĂ©. Câest Ă©pouvantable, cette histoire de terrasse.â
Jâen conviens dâabord que Mme MarĂ©chal nâest pas une lectrice avide dâAlbert Camus Ă qui on doit ces mots : âLa dĂ©mocratie nâest pas la loi de la majoritĂ© mais la protection de la minoritĂ©â.
Cette âhistoire de terrasseâ, Ă laquelle elle fait beaucoup trop grossiĂšrement rĂ©fĂ©rence pour que quiconque puisse y comprendre quoi que ce soit, est celle de M. Creton, ce pauvre commerçant de la rue Peel.
Celui-ci profitait dâune certaine largesse de la municipalitĂ© qui lui permettait dâinstaller sa terrasse en contigu Ă son Ă©tablissement, mĂȘme si ce type de configuration est contraire Ă la politique dâaccessibilitĂ© de la Ville. Ce rĂšglement demande au commerçant dâinstaller leur terrasse un peu plus loin afin de permettre une circulation sĂ©curitaire et aisĂ©e aux personnes avec une dĂ©ficience physique ou visuelle.
TĂȘtu, le propriĂ©taire refusait de se plier Ă cette norme autrement respectĂ©e de tous. Depuis trois ans, les fonctionnaires de la Ville lui conseillaient de demander tout de suite un permis permettant lâinstallation dâune contre-terrasse, en bordure de la route, sâil ne voulait pas se retrouver les mains vides. Chose quâil nâa pas faite et Ă©videmment, il se retrouve un matin Ă ranger ses chaises pliantes.
TrĂšs bizarrement, son zĂšle a fait les manchettes Ă TVA et Ă Radio-Canada.
Ce nâĂ©tait mĂȘme pas digne dâun fait divers : mais les journalistes y ont vu lĂ un âaccommodement dĂ©raisonnableâ et se sont ameutĂ©s autour de M. Creton pour sâabreuver de ses larmes.
Le grotesque spectacle ne sâarrĂȘtait pas lĂ Â : les journalistes ne se sont pas limitĂ©s Ă prendre en pitiĂ© M. Creton pour sĂ©cher ses pleurs, ils ont Ă©galement placĂ© les personnes handicapĂ©es sur le banc des accusĂ©s devant cette âcriante injustice!â â Ce mĂȘme M. Creton qui nâa pourtant jamais daignĂ© rendre son Ă©tablissement accessible en 38 ans dâexistence (pas un mot lĂ -dessus).
Patrice Roy, dans un reportage journalistique qui a fait lâobjet dâune plainte Ă lâombudsman, va mĂȘme jusquâĂ avancer quâĂ cause des personnes handicapĂ©es âni eux ni nousâ ne pourraient profiter des joies de lâĂ©tĂ©! Comme sâil y avait une distinction Ă faire entre les habitudes sociales des personnes handicapĂ©es et celles des autres, et comme si elles ne pouvaient pas cohabiter dans la collectivitĂ©.
Un peu plus et Patrice Roy craignait pour lâeffondrement du PIB quĂ©bĂ©cois.
Ces spectaculaires traitements mĂ©diatiques auront permis de rĂ©futer assez solidement les propos de Dutrizac. Une demande aussi primaire que celle formulĂ©e par un groupe de personnes handicapĂ©es aura Ă©tĂ© dĂ©formĂ©e, amplifiĂ©e et ridiculisĂ©e par les grands mĂ©dias qui ont ratĂ© lâoccasion de renseigner leur public sur lâaccessibilitĂ© universelle.
Faut-il sâen Ă©tonner? Non. Puisque lorsquâune situation comme celle-ci survient, on ne peut pas compter sur les mĂ©dias pour accomplir leur mission premiĂšre dâinformer.
Si Patrice Roy, Isabelle MarĂ©chal et Lysiane Gagnon avaient pris le soin dâanalyser la situation, ils auraient rĂ©alisĂ© quâil nây avait pas matiĂšre Ă prĂ©judice et certainement pas matiĂšre Ă nouvelle.
Ils ont plutĂŽt dĂ©cidĂ© dâocculter certaines informations du dĂ©bat. Afin de rendre le message plus simple Ă lâoreille du spectateur distrait. Câest une manĆuvre de dĂ©magogie employĂ©e soit volontairement (par paresse intellectuelle) soit involontairement (par manque de rigueur). Ă vous de juger.
Parce que si les journalistes avaient pris le soin dâentrer dans les dĂ©tails, le drame aurait Ă©tĂ© moins Ă©mouvant. Lâhistoire moins croustillante. Les gens ne se seraient pas offusquĂ©s et les cotes dâĂ©coute auraient baissĂ©.
Pis ça nâaurait pas fait de la bonne tĂ©lĂ©. Mais ça aurait fait du maudit bon journalisme.
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Pour lire un autre texte de KĂ©ven Breton : “Une culture sans escalier svp”
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