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L’ONF porte Chroniques du Centre-Sud au grand écran

Entrevue avec le bédéiste Richard Suicide

Par
Jean Bourbeau
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Quiconque a habité le quartier Centre-Sud à Montréal a déjà été témoin de scènes improbables capables de faire sourciller le plus endurci des citoyens. Les enjeux sociaux y semblent souvent plus transparents qu’ailleurs. Misère héréditaire, toxicomanie, marginalisation face à l’embourgeoisement. En dépit des nombreux défis auxquels ses rues sont confrontées, Centre-Sud se déploie également par un riche imaginaire au potentiel d’inspiration débordant.

J’y ai vécu plusieurs années lors de mes études universitaires. Partageant inlassablement mon amour pour le coin à travers mille péripéties, un ami m’avait offert la bande dessinée Chroniques du Centre-Sud de Richard Suicide. Je l’avais dévoré d’un trait, faisant plusieurs parallèles entre le quotidien qui défilait sous mes yeux et celui dépeint par la griffe du bédéiste.

C’est donc avec enthousiasme que j’ai accueilli l’initiative de l’Office Nationale du Film du Canada d’adapter l’œuvre parue en 2007 aux Éditions Pow Pow. Le court métrage d’animation sera présenté en première mondiale vendredi, le 6 août prochain, dans le cadre du Festival Fantasia. Pour l’occasion, j’ai eu la chance de m’entretenir avec l’auteur.

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L’histoire raconte la dérive d’un artiste porté un peu sur la bouteille, qui vadrouille les rues poquées du Centre-Sud des années 90. De la façon dont vous décrivez le milieu, la faune locale, les lieux de rassemblements, Chroniques du Centre-Sud semble finalement être une lettre d’amour au quartier. Est-ce le cas?

Oui, sans doute. J’habite le coin depuis 1989. Mes récits ont presque toujours eu comme toile de fond les quelques rues entourant mon appartement à l’angle Cartier et Ontario. Dans le temps, c’était plus trash, moins cher, j’ai tout de suite aimé l’ambiance. C’est un secteur qui a beaucoup changé, en constante transformation, mais selon moi, ça prendra plus de temps que les autres. Certaines rues sont plus attrayantes, d’autres pas mal moins.

Photo : ONF
Photo : ONF

Y avait-il une volonté d’archiver ce changement?

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Il y avait le désir de cristalliser une époque. Au début c’était par du fanzine ben punk, avec du monde ben magané. Et puis, quand est venu le temps de concevoir la bande dessinée, j’ai fait quelques recherches sur le web pour réaliser qu’une grande portion du patrimoine disparu n’était documenté nulle part. J’ai vu là la nécessité d’en parler. Un bar comme la Terrasse Belhumeur, où se tenaient des tout croches, des motards, des pushers, où il y avait de la danse en ligne, tsé ben de la vie, il a étrangement brûlé pis c’est devenu des condos et une boutique de chocolats fins. Ben loin de la cachette de Rock Machine que c’était. Je trouvais ça important d’en faire le portrait, presque un hommage. Je me suis placé comme observateur des changements, sans faire de jugement ni verser dans la nostalgie d’une époque révolue.

Photo : ONF
Photo : ONF
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Était-ce une première aventure dans le monde du cinéma?

J’avais déjà fait des illustrations pour des animations commerciales, mais c’était la première fois que je réalisais mon propre film. Je suis arrivé avec un scénario d’une vingtaine de minutes. Je savais que c’était un court-métrage alors on a synthétisé les idées, élagué des parties en restructurant autour d’une histoire représentative, celle du Piton, mon voisin ramasseux et ivrogne d’en dessous.

Qu’est-ce qui a été le plus dur à retrancher de la bande dessinée?

Le tour du quartier, j’pense. Les pages où mon protagoniste décrit les commerces qui ne sont plus. Le Père de la Scrap, Au Coin du Cornet, le Bowling Ontario. J’ai eu un peu de difficulté à enlever des personnages que j’aimais. Un autre défi était de garder l’esprit de la BD qui a un ton humoristique, même si la vérité ne l’était pas du tout. Au moment de l’écriture, je marchais sur des œufs pour trouver l’angle juste. Je ne voulais pas tomber dans le voyeurisme de la misère parce qu’il y avait toute une différence entre la réalité et la planche à dessin. Le Piton avait une vie violente, décalée solide de la réalité, avec ses cochonneries qui prenaient toute la place et sa fabrique d’alcool maison qui rendait aveugle.

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À l’époque, je payais parfois mon loyer avec des peintures, la proprio était cool, mais lui il en arrachait. Un bon jour, les pompiers sont venus et son appart a été déclaré insalubre. La police a débarquée, évincé, toute le kit. Je n’ai jamais su ce qu’il est devenu. Mais maintenant son histoire va vivre sur grand écran.

Photo : ONF
Photo : ONF

Est-ce que ça vous a donné envie de continuer dans l’animation?

J’ai eu ben du fun, mais en ce moment je travaille sur une nouvelle bande dessinée qui se déroule dans le Plateau des années 70. Les personnages sont des enfants. Ça se rapproche encore de l’autofiction et tourne autour de thèmes similaires : le quartier populaire, les coutumes, le langage de ses habitants. On prévoit sortir ça l’an prochain!

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Chroniques du Centre-Sud de Richard Suicide et Le syndrome de la tortue de Samuel Cantin seront projetés en compétition au Festival Fantasia, dans la section Fantastiques week-ends du cinéma québécois, le vendredi 6 août à 21 h au Cinéma du Musée, en présence des réalisateurs et des équipes de création. Une autre projection se tiendra à la place de la Paix, et les deux courts métrages seront également accessibles en ligne partout au Canada.

Le Festival Fantasia se déroulera du 5 au 25 août 2021.

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