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Les bonnes nouvelles pullulent à la une des journaux ces jours-ci. De laquelle vous entretiendrai-je bien aujourd’hui ? J’hésite entre le massacre norvégien et la mort d’Amy Winehouse. Et pourquoi pas parler du fait que le Directeur des poursuites criminelles et pénales a décidé d’interjeter appel du verdict dans le procès Guy Turcotte?
Résumons l’actualité des derniers jours – en mettant de côté, si vous le voulez bien, tout ce qui a trait à la météo. Supposément dans le but de mettre fin au marxisme culturel, au multiculturalisme et à l’invasion musulmane, un trentenaire blondinet, porté par des valeurs fondamentalistes, décide ironiquement de s’en prendre à son propre peuple, croyant ainsi « réveiller les masses » et convaincre celles-ci d’entrer en croisade avec lui contre l’ennemi. Une jeune chanteuse soul, remplie de talent mais également d’idées noires, meurt seule dans son appartement, probablement après avoir ingurgité un impitoyable cocktail de drogues et d’alcool. Un cardiologue dépressif, détruit par sa récente séparation d’avec la mère de ses enfants, a assassiné froidement ces derniers avant d’essayer de se tuer lui-même, en vain, et devra peut-être subir un nouveau procès, car l’issue du premier n’est parvenue à satisfaire ni l’opinion publique ni le procureur de la couronne. À bien y penser, toutes ces nouvelles sont liées entre elles par un même élément : le désespoir.
Chacun de ces événements éveille en moi un mélange de consternation, de colère et de compassion. Bien que les comportements des individus que je viens de nommer me soient incompréhensibles et qu’il me soit très difficile de saisir comment il puisse être possible d’en arriver là, je ne peux m’empêcher d’avoir une certaine dose de sympathie pour tous ces êtres rongés par le mal de vivre et dont l’existence connaît une fin aussi abrupte. D’accord, parmi les exemples donnés, il n’y a que la pauvre Amy qui soit « physiquement » morte, mais les deux autres n’en mènent pas bien, bien plus large, si vous voulez mon avis. Leur vie est finie, à eux aussi. Après avoir fait ce qu’ils ont fait, jamais plus ils ne pourront connaître la paix et la liberté. À un moment ou à un autre, pour divers motifs, Anders Behring Breivik, Amy Winehouse et Guy Turcotte ont choisi la noirceur. Ils n’ont plus vu que le côté obscur de tout ce qui les entourait. La mort leur est apparue comme la seule et unique façon de vivre.
Comme tout le monde, j’ai connu mes moments de fatigue et de désespérance. Mais jamais au point de perdre tout contact avec la réalité et de me perdre, moi. Cela me trouble donc que des êtres humains puissent vivre une douleur si intense qu’elle les pousse à se détruire eux-mêmes ou, pis encore, à s’en prendre à ceux qu’ils côtoient. À annihiler toute forme de vie. Parce que c’est la vie, très exactement, qui leur pue au nez. Ils n’arrivent plus à voir en elle quoi que ce soit qui vaille la peine. Tâcher de l’améliorer n’est pas pour eux une solution. Ils préfèrent l’éliminer. Ces gens sont – ou étaient – tous, à différents niveaux, malades. Comme leur mal est intérieur, il demeure souvent incompris, jugé. On le prend plus ou moins au sérieux, car on manque d’outils pour l’affronter, impuissants que nous sommes devant la souffrance invisible.
Chaque fois que je suis confrontée à ce genre de désespoir, je ne peux m’empêcher de penser à ceux qui, au contraire, se battent pour améliorer leur situation ou carrément pour demeurer en vie. Ils seraient prêts à n’importe quoi pour rester avec nous encore un peu. Ne serait-ce que quelques jours – des heures volées. Ils souffrent, affreusement, mais cela importe peu : au moins, ils sont vivants. Et si seulement cela pouvait durer. Je pense au grand-père de mon copain, qui est si vieux et si faible – il ne mange plus, ne parle plus, ne se lève plus de son lit – mais il refuse de s’en aller. Encore, j’ai une pensée pour deux de mes amis atteints de la fibrose kystique et tous deux greffés pulmonaires. Depuis qu’ils sont nés, la vie est un combat. Ils le mènent de front chaque jour, tâchant de savourer le moindre petit bonheur que le quotidien veut bien leur offrir. Même s’ils ont la forme aujourd’hui, ils ne savent absolument pas ce que demain leur réserve. Puis, je pense au père d’une autre très bonne amie, qui a appris il n’y a même pas un an qu’il était atteint de la sclérose latérale amyotrophique et dont l’état se dégrade de jour en jour. Mais il s’accroche. Et ses filles luttent avec lui. Elles vont bientôt parcourir 300 km de vélo en trois jours afin d’amasser des fonds pour la recherche sur cette maladie – je vous invite d’ailleurs à les encourager, si vous en avez les moyens. Bref, partout il y a ces gens qui font des pieds et des mains pour allonger un peu leur existence, convaincus que la vie ici bas, après tout, n’est vraiment pas si mal.
Pourquoi certains se noient dans leur propre détresse, alors que d’autres nagent sans relâche pour lui échapper, je l’ignore. Cela serait dû de toute manière à de multiples facteurs autant génétiques et environnementaux que culturels et sociétaux. Mais au-delà de tous ces éléments externes qui influencent notre propension à voir le verre à moitié plein ou à moitié vide, je crois que nous sommes tous fondamentalement pourvus d’un pouvoir de décision qui nous permet jusqu’à un certain point de choisir notre camp : l’ombre ou la lumière. Personnellement, malgré les grands titres de ces derniers jours, chargés d’horreur et de tristesse, je choisirai de me concentrer sur ce qui est beau et fait du bien. Ce n’est ni du déni ni de l’ignorance, simplement ma manière toute personnelle de combattre l’obscurité.