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Logan Paul et les vedettes du web qu’on aime haïr
Le 31 décembre dernier, la vedette YouTube américaine Logan Paul s’est attirée la colère du public après avoir publié une vidéo montrant une personne pendue dans la tristement célèbre forêt d’Aokigahara, au Japon, reconnue pour être le lieu de suicide de centaines de personnes au bout du rouleau à chaque année.
La vidéo est, somme toute, plus juvénile et irrespectueuse que dégoûtante : Paul entre dans la forêt avec ses amis, trouve un pendu, le filme (de beaucoup trop près), capote pendant quelques minutes, retourne au stationnement de la forêt et fait quelques blagues plates pour rassurer ses convives, visiblement terrifiés.
Logan Paul subit les foudres des internets depuis ce temps, s’attirant des insultes de personnalités connues telles qu’Aaron Paul et Sophie Turner, et la colère d’une audience qui, majoritairement, ne savait pas qui il était en 2017. Paul n’est pas la première ni la dernière personnalité publique écorchée sur le web, mais on est en droit de se demander: en 2018, à quoi ça sert de pogner les nerfs et est-ce que ça marche?
Pour ça, il faut comprendre que notre relations aux vedettes du web est différente et nouvelle.
Les médias sociaux changent le monde
On aime haïr les influenceurs pour la même raison qu’on les aime: ils sont comme nous. Du moins, c’est ce qu’on aime croire. Ces jeunes gens ont bâti leur empire en cultivant un rapport de proximité avec nous que le vedettariat conventionnel n’a simplement jamais offert. On s’est donc naturellement tourné vers eux à l’époque de l’émergence des médias sociaux. Ils font une différence dans nos vies avec leur présence quotidienne et/ou hebdomadaire et nous faisons une différence dans la leur avec des clics, des «likes», des commentaires et des visionnements, la nouvelle monnaie de l’économie d’influence.
Si Logan Paul connaît autant du succès sur YouTube, c’est qu’il connaît très bien son audience.
Cette forme de célébrité est foncièrement nouvelle. Les limites de ce qui se fait et ce qui ne se fait pas sur les médias sociaux sont définies au fur et à mesure par les influenceurs et leur audience respective, à coup d’essai-erreur. La bourde monumentale qu’est la vidéo de Logan Paul sur la forêt d’Aokigahara témoigne d’un manque de jugement grave et d’une incompréhension totale des problèmes liés à la dépression et à la santé mentale. Le geste en soi est impardonnable pour plusieurs, mais la logique ayant mené à cette aberration ne nous ramène pas nécessairement qu’à la capacité de jugement du jeune homme.
Si Logan Paul connaît autant de succès sur YouTube, c’est qu’il connaît très bien son audience. Il sait ce que ses abonnés aiment et ce qu’ils regarderont. Ses vidéos humoristiques et cabotins, souvent au caractère douteux, sont la plupart du temps inoffensifs. Il ne fait rien que Johnny Knoxville, Bam Mergera et la bande de Jackass n’ont pas fait il y a dix ans. C’est de l’humour niaiseux, qui parle aux jeunes ados.
Le web, c’est la personnalisation à l’extrême. À l’époque où tout le monde regardait la télévision, on n’avait pas le choix de regarder ce qui passait, mais sur le web, c’est l’audience qui va directement chercher son contenu. Donc, si Logan Paul est une vedette YouTube, c’est qu’il y a une demande pour ce qu’il produit. Son compte affiche plus de 15 millions d’abonnés. Ça fait beaucoup de monde qui choisit de regarder ses vidéos. Donc, s’il est allé au Japon filmer le corps d’une personne assez désespérée pour s’enlever la vie, c’est qu’il y a vu une opportunité d’affaires. Il savait que le monde allait cliquer.
Et vous savez quoi? Il avait raison. La vidéo a été visionnée 6,2 millions de fois en deux jours, avant que YouTube ne décide de la censurer.
Ces visionnements-là, ils viennent de vous, de moi, de votre cousin, de votre meilleur ami….
Devrait-on haïr un influenceur qui commet une grave erreur de jugement?
Un grand sage a dit un jour :
Le monde change. YouTube gagne de plus en plus de terrain sur la télévision à chaque année, les club vidéos sont devenus une relique du passé depuis l’émergence de Netflix, les mp3 ont tué l’industrie du disque, iTunes a tué le partage d’mp3, Spotify a tué iTunes, alouette! Un influenceur, c’est le produit d’une nouvelle game qu’on ne comprend pas trop encore. Logan Paul a 22 ans. Il comprend peut-être cette game mieux que nous, mais il faudrait garder en tête qu’il a l’âge où on fait des niaiseries et qu’il est propriétaire d’entreprises qui valent plusieurs millions de dollars. Il connaît plus de succès que le reste de sa famille et ce, dans un champ d’expertise où il est un pionnier. Bien qu’il ait maintenant les moyens de bien s’entourer, il agit bien souvent seul et par instinct, parce que c’est grâce à cet instinct qu’il s’est rendu là où il est aujourd’hui.
Bien sûr, il a la responsabilité d’une audience de dizaines de millions de jeunes adolescents, mais c’est la pression de sa propre popularité qui l’a mis dans cette position et j’ose croire que cette grave erreur de jugement (car j’ose espérer que c’est de cela qu’il s’agit) est le produit d’une décision irréfléchie d’un jeune homme qui se croyait tout permis après avoir enchaîné les succès monstres et fait fortune. YouTube, une plateforme distributrice de contenu qui accueille à bras ouvert les nouvelles vidéos de ses influenceurs-vedettes, est aussi à blâmer pour avoir aidé une telle aberration à se propager. C’est le genre de choses regrettables qui se passe lorsqu’on a une nouvelle dynamique sociale à apprivoiser.
Un influenceur, c’est le produit d’une nouvelle game qu’on ne comprend pas trop encore.
C’est pour ça que d’une certaine (et bien cynique) façon, la vidéo de Logan Paul était malheureusement inévitable. Tout ce qu’on peut faire, c’est d’apprendre la leçon. Parce qu’au bout du compte, sa carrière n’est pas finie. Loin de là, elle est à son apogée. J’ignorais qui il était avant de découvrir cette controverse, il y a quelques jours. Tous les yeux sont rivés vers lui et le comportement qu’il adoptera à partir de maintenant dictera son niveau de succès dans un futur proche. Ce que Logan Paul a fait, c’est moralement répréhensible au plus haut degré, mais ça lui ouvre les portes d’une audience qui ne le connaissait pas et lui offre une opportunité d’affaires comme il n’en a jamais eu auparavant. Parce que dès qu’on réagit, le compteur tourne et l’argent entre. L’économie des médias sociaux, c’est plate, mais c’est ça.
Est-ce que c’était calculé de sa part? On ne le saura probablement jamais.
Tous ces jugements, toute cette colère ne lui serviront qu’à être plus populaire encore. Le monde change et c’est le temps d’évoluer avec. On se fait souvent dire de voter avec notre argent, mais on doit maintenant voter avec notre temps et notre attention, qui constituent la nouvelle monnaie de tous les annonceurs.