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Dimanche, les Loco Locass seront à TLMEP pour parler de leur dernier album et de leur tournée à venir. Je me demande si Guy A. osera les brasser un peu, les sacro-saints Loco Locass. Parce que de mon côté, l’envie de les secouer vigoureusement comme une bouteille de ketchup presque vide est grande. Très grande.
Le Québec est mort…Vive le Québec!, leur dernier album, est à mon sens la démonstration en puissance d’un repli définitif dans un conservatisme identitaire mal dissimulé et agrémenté de soubresauts populistes. Une lubie tellement hypertrophiée qu’elle aura évacué en grande partie les critiques socioéconomiques cinglantes et les plaidoyers rassembleurs que j’aimais tant des Loco.
Pourtant, personne n’a encore osé relever la dérive. Pourquoi? Bonne question. Mais j’ai hâte que ça arrive.
Loco Locass est une vache sacrée de premier ordre de la scène musicale québécoise. On s’entête à les brandir comme un « fleuron » de l’art engagé, au service de la gauche progressiste. Mais à mon sens, il y a un terrible décalage entre l’image qu’ils projettent et leur plus récente production discursive.
Tellement foi en la verve des Loco qu’on en a oublié de lire vraiment leurs textes.
Qu’il n’y ait pas de méprise: je suis (j’étais?) une fan invétérée. Leurs tounes, je les connais par cœur. Toutes. J’ai attendu avec impatience le nouvel album. Et ce printemps, j’étais à la fois fière et émue de les voir ressortir la prophétique Libérez-nous des Libéraux. « Eille, y’avaient vu juste, pareil! » Ben oui.
À sa sortie en juin, je trottinais gentiment dans le métro en l’écoutant, Le Québec est mort. Et les critiques? Oh, pas un revers. Quelques déceptions à mots couverts – ben, pour les beats, là! Sinon : « parole de Loco Locass est d’or », dit-on! Souverainiste ou pas : que du beau et du bon « brassage de cage ». C’était vrai jusqu’à récemment.
Le Québec est mort, je le disais plus haut, se cramponne à l’aspect identitaire du souverainisme. Or, il n’en fait ainsi ressortir que le mauvais, le vétuste, l’exclusif.
On y exacerbe un patriotisme inquiétant, allant jusqu’à énoncer l’existence d’une « race » québécoise (Les Géants). Or, la pire dérive de tout nationalisme survient lorsqu’on le transpose dans un contexte ethnique. Il me semble que c’est une évidence!
Puis, on parachève ce build-up patriotique avec des appels fréquents à l’Histoire, au devoir de mémoire. « Oublie pas d’où on vient mon p’tit gars!» Et évidemment, les allusions historiques sont d’un romantisme sans retenue, voire mythifiées… Un peu comme Stephen Harper et son 1812, finalement.
Et pour couronner le tout (ou alors en est-ce la conséquence?) on évoque sans cesse la notion de « lutte », avant tout linguistique et identitaire (Occupation Double, [Wi]). Une « lutte » en réaction à la menace de l’Autre; à ces antagonistes soi-disant hostiles au franco-québécois. Mais quelle étrange excitation belliqueuse! Comme si ce braquage identitaire pouvait faire avancer la cause souverainiste de quelconque manière! Vous m’excuserez, mais c’est une attitude de vieux péquiste réactionnaire.
On pourrait croire à « quelques adons », ou à une lecture paranoïaque de ma part. Mais Le mémoire de Loco Locass, pitoyable plaidoyer pour la laïcité, scelle le déplaisir. On y brandit une laïcité radicale et hermétique, qui non seulement dissimule mal mais confirme un complexe identitaire maladroit; écorchant au passage la mollesse des conclusions tirées par la fameuse commission Bouchard-Taylor.
Analysons : en guise d’intro, un extrait du vénérable Charles Taylor, présidant sa commission. S’amorce ensuite une curieuse logorrhée, saupoudrée allègrement de panique identitaire et de « complexe minoritaire », qu’on adoucit ensuite par un refrain guilleret et « unificateur ».
La pièce s’ouvre sur des paroles catégoriques: « Ma clique est prosélyte / mais l’encyclique est laïc ». Déjà, par l’évocation du prosélytisme, on annonce que la « clique », qu’on suppose être la clique canadienne-française, a l’ambition avant toute chose d’étendre sa vision. Soit, c’est bien le but de « l’intégration culturelle ». Mais le prosélytisme, par définition, encourage également l’adhésion à une doctrine. Et puisqu’on parle ensuite d’un « encyclique laïc », force est d’admettre que ce qu’on nous dit, c’est que la laïcité, au Québec, devrait s’appliquer dogmatiquement… Pour favoriser et maintenir l’hégémonie de la culture canadienne-française, serais-je tentée d’ajouter. Du beau progressisme, ça!
Puis, on nous dit :
« Comme ça les commissaires y faudrait qu’on s’efface
qu’on se voile la face, qu’on agisse en majoritaire
alors qu’on a la langue à terre ?
Mais sachez mes patriarches
que si vous mettez la hache dans ma souche
vous allez frapper un nœud »
Ô nauséabonds relents du soi-disant « aplatventrisme » canadien-français qui « mine » le Québec contemporain! Attendez, qui parlait de ça, donc, en 2007? Ah oui. Mario Dumont.
J’encule présentement une mouche, mais ça me dérange profondément. Et ‘scusez-la, mais quelle vision de m… de ce que devrait être la prémisse d’intégration à la société québécoise!
Malheureusement, c’est parfaitement cohérent avec la tendance idéologique que les Loco semblent vouloir suivre. C’est un réflexe ou un symptôme classique du conservatisme identitaire québécois: inquiets de voir dissout l’héritage de la Révolution tranquille, on rejette d’emblée tout interculturalisme à grands coups d’obsessions « asceptisantes ». C’est cohérent, donc. Mais progressiste? Gauchiste? Pentoute.
On pourrait décortiquer l’album comme ça longtemps encore et en arriver toujours à peu près aux mêmes conclusions. Je le sais : ça fait depuis juin que je le retourne dans tous les sens pour en trouver un qui me parle encore. Lamentable échec jusqu’à maintenant.
Tout ça pour dire que j’aimerais bien qu’on leur brasse un peu la cage en ce sens, à nos amis les Loco. Espoir ténu pour dimanche. Sinon, eh bien tant pis; j’imagine qu’on continuera à les aduler pour quelque chose qu’ils ne sont plus.
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