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Loco Locass

Par
Sébastien Diaz
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Hier soir, à Tout le monde en parle, Biz de Loco Locass s’est avéré particulièrement loquace (c’est facile, on le sait, mais bon, on a rien trouvé de mieux comme jeu de mots). Comme dans cette fameuse entrevue qu’on avait faite avec lui et les autres membres de son groupe dans notre numéro Médias.

Une question à 100 piastres pour briser la glace : Quand on est musicien, les médias sont-ils un mal nécessaire? Réunis dans la salle à manger de Batlam, au cœur d’Outremont, les Loco Locass ne tardent pas à ouvrir les valves et à prouver que la rumeur s’avère vérifiée : de vrais verbomoteurs! Chafiik le premier : « C’est loin d’être un mal puisque c’est essentiel pour créer un intermédiaire entre toi et le public. » De l’autre bout de la table, Biz rapplique : « Par contre, c’est devenu un pouvoir plutôt étrange. Les Zapartistes ont déjà fait remarquer qu’autrefois, les journaux étaient imprimés pour les lecteurs, alors qu’aujourd’hui, c’est pour les annonceurs qu’on fait fonctionner la machine. La Presse fait tout un plat avec ses nouvelles presses toutes en couleur et avec le sang plus rouge que jamais en première page. Pourtant, le lecteur, il s’en crisse de ça! C’est l’annonceur qui va être heureux de voir sa Cadillac imprimée toute en couleur! » Chose certaine, pendant que Batlam se bat avec son ouvre-bouteille pour servir un petit verre de blanc à ses invités, le ton monte déjà.

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Retour sur l’incident de La Presse. Alors qu’ils se produisaient au controversé spectacle de la Saint-Jean organisé par Les Cowboys fringants au Parc Jean Drapeau, en juin dernier, les Loco Locass se sont retrouvés au centre d’un cyclone impitoyable, mis en branle par une série de papiers de Nathalie Petrowsky qui a fait boule de neige. Comment la propagande fonctionne-t-elle au Québec? En agissant à ras le sol, juste sous les radars. Chafiik raconte : « Ils ont agi de façon sournoise et la job de salissage s’est faite toute seule avec tout le monde qui embarquait et la gauche qui se bombardait elle-même. Mais le top, ça a été le lendemain, quand ils ont publié une photo du show avec nous autres placés le bras en l’air devant un drapeau du Québec, comme si on faisait le signe Nazi et qu’on endoctrinait la jeunesse! » Bien entendu, ceux qui y étaient diront le contraire. Juste avant la chanson, le band aurait effectivement invité la foule à dénoncer l’ADQ à l’aide d’un mouvement issu de la culture noire nord-américaine, geste absolu de la culture hip-hop. Quoi de plus néo-nazi… « Imagine le Juif qui se rend au dépanneur et aperçoit le journal! » Depuis cette soirée fatidique, entre le groupe et le journal, les couteaux volent bas. De son côté, Chafiik parle même d’une guerre ouverte. « Ça, c’est sans compter les critiques de spectacles écrites après seulement trois chansons parce que le journaliste avait un deadline trop serré et qu’il a dû partir au début du show… Mais ça ça arrive dans tous les journaux. », d’ajouter Chaf. Guerre ouverte!

L’omniprésence

Dire qu’il y a une dizaine d’années à peine, les divagations de ces trois irrévérencieux mêlant poésie et rythmes hip-hop ne semblaient intéresser personne, comme Serge Laprade après qu’il eut quitté Garden Party ou le Coke au citron, peut-être trop en avance sur son temps pour clancher le Sprite sur les tablettes des dépanneurs. Pourtant, alors que 2005 s’apprête à tirer la plogue, Amour Oral vient d’être certifié or et les rappers engagés sont omniprésents. Des lignes de piquetage où résonnent les vers de Libérez-nous des libéraux jusqu’aux tables rondes où l’on discute micro-politique. Même dans les partys de sous-sol de banlieue, il n’est pas rare d’apercevoir une bande d’ados à peine pubères se prendre pour Puff Daddy et Eminem en dansant nonchalamment sur leurs chansons qui parlent de mondialisation, de l’empire nord-américain en effritement et des politiciens aussi compétents que les membres de Police Academy. « Je sais pas si les jeunes captent notre message », de se demander Biz. « Je crois que notre musique s’est rendu jusqu’à eux parce qu’ils aiment notre beat. Regarde-moi la face : assez ordinaire. Mais amène-moi n’importe où dans le monde sans elle et laisse parler ma musique. Ça c’est une autre paire de manche! Ça n’a pas de frontières. »

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N’empêche qu’en moins d’un an, le trio est passé aux ligues majeures, devenant bien malgré lui un chaînon important du petit star système local et alimentant sans le vouloir les trépidantes colonnes des journaux à potins. Entre deux gorgées, Biz raconte la virée la plus weird de son été. « J’avais reçu des billets pour la première du spectacle Cavalia, et comme ça m’intéressait j’y suis allé sans trop réfléchir. Mais en arrivant là-bas, je me suis retrouvé devant un mur de photographes, pris au piège! » Chafiik : « Tu n’avais qu’à refuser les billets! Tu connais la game! N’empêche que je me demande toujours qui ça peut bien intéresser de savoir ce que j’ai fait dans mes vacances cet été et quelles recettes de BBQ je réussis le mieux! » Plus silencieux dans son coin, Batlam feuillette avec une attention surprenante une édition de Dernière Heure. « Heille les gars! Écoutez ça! Une femme qui a assommé son chum avec un poêlon! Un poêlon! Maudit que ça doit fesser! »

Aux dires de Chafiik, le groupe en est à un point critique, se réunissant environ tous les 6 mois afin de discuter de l’avenir du groupe. « Chaque fois, on se dit qu’on arrête toutes les entrevues parce que c’est devenu trop big. Au début, si on avait été plus prétentieux, on n’aurait jamais montré nos visages, comme les gars de Daft Punk. Comme ça, aucun problème d’image. Il n’y a que la musique et les textes qui auraient compté. J’imagine que ce doit être tout un luxe quand un groupe n’a plus besoin de faire d’entrevues… » Mais en cette belle terre québécoise, les choses ne fonctionnent pas de la sorte. Encore récemment, l’animateur Sébastien Benoît déclenchait une petite tempête dans le verre d’eau des montréalais en faisant une sortie publique. Les Trois Accords et les Cowboys fringants auraient refusé d’aller à La Fureur. « Nous aussi on a décliné. Un groupe peut bien refuser ce qu’il veut! » Jouant tout de même le jeu, les membres du groupe reconnaissent l’importance de cette game qui les a amenés là où ils sont aujourd’hui. Après tout, c’est bien la radio commerciale qui a cédé aux demandes répétées des fans et qui a fini par faire de Libérez-nous des libéraux l’une des chansons les plus jouées de l’an dernier. « Des émissions comme le 6 à 6 ont au moins ça de bon : c’est le peuple qui décide! Parce qu’en général, les radios commerciales sont très peureuses et ne font que suivre », explique Biz. Lorsque le peuple monte aux barricades, tout est encore possible.

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Maman, j’ai un Loco Locass sur mon mur !

« J’ai eu un choc et j’ai compris où on s’en allait quand je me suis aperçu avec le reste du groupe sur un fiche détachable », se souvient Biz. « C’était dans Le Lundi ou le 7 Jours. On était à côté d’une petite actrice américaine à la mode. Heille! Je m’imaginais accroché à un mur, dans une chambre d’adolescente! » Avoir sa place aux côtés des fiches-recettes des Taillefers a effectivement son prix. Lancés dans la grande marmite du cirque médiatique local, les Loco ont rapidement réalisé qu’ils risquaient de devenir de simples objets, de pauvres pions dans l’échiquier aux côtés d’Éric Salvail, de Colette Provencher et de Wilfred. Souvenir de Batlam : « Quand les gens ont su qu’on avait une opinion sur tout, on s’est vite retrouvés sur des plateaux d’émissions traitant de littérature, de politique, de musique… Les émissions ont besoin de jus, et il faut nourrir la machine! »

Mais en quelque part, c’est peut-être ce même monstre qui leur a rendu service. Tout le monde en parle, ça vous dit quelque chose? « De nous montrer devant plus de 2 millions de téléspectateurs a changé bien des choses. Les baby boomers, quand ils entendent du rap, ils pensent automatiquement à des criminels qui chantent des chansons violentes. Mais en mettant un visage sur notre musique et en voyant Biz répondre correctement à un quiz sur l’histoire du Québec, ils ont changé leur perception de notre musique. Maintenant, à leurs yeux, des gens instruits qui ont une opinion intelligente peuvent aussi faire du hip hop », explique Chafiik, avant d’en rajouter. « En quelque part, quand tu es jeune, tu as besoin d’un modèle. Si les gens peuvent s’identifier aux épreuves que Martin Deschamps a traversées et qu’il raconte à la une d’un magazine à potins, tant mieux. Ça aura au moins servi à ça. Et c’est un phénomène tout à fait humain que de vouloir s’identifier. C’est ce qui arrive avec les télé-réalités. »

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Reality Show

Parlant de reality shows, qu’on ne se le cache pas : en fiers participants, les Loco Locass ne feraient pas long feu. Éliminés au premier tour! « J’ai regardé quelques-uns des premiers épisodes de Star Académie et je me demandais comment je réagirais si on m’obligeait à aller faire du Hummer et du camping avec la gang en souriant et en faisant semblant de trouver ça le fun. Je déteste les Hummer moi! » Beaucoup plus habile sous sa tuque de rapper qu’au bras de Julie Snyder ou entouré d’une demi-douzaine de filles en chaleur au milieu d’un spa, Biz n’aurait sans doute pas récolté beaucoup de votes lors de son passage à l’émission. « Je rêve du jour où quelqu’un va parvenir à s’infiltrer dans un de ces shows-là pour tout saboter! »

Les Loco Locass n’ont pas et n’auront probablement jamais leur propre télé-réalité, et c’est bien tant mieux. « Ce que les participants ne semblent pas réaliser, c’est qu’être vedette n’est rien en soi. En fait, ce n’est pas la destination qui est le fun, mais tout le chemin que tu dois parcourir pour y arriver », explique Biz.

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Loco Manifestif

Sans refaire le monde depuis leur salle à manger, les Loco Locass donnent leur petite idée de ce à quoi leur paradis terrestre pourrait ressembler. Un univers parallèle où les québécois seraient moins frileux et s’intéresseraient davantage aux médias alternatifs, où le journalisme d’enquête referait surface et où les médias n’auraient pas cette peur ridicule d’afficher leurs couleurs. « Ça me fait rire de voir les réseaux et les journaux qui n’osent pas prendre position. », déplore Chafiik. « Pourquoi Radio-Canada et la Presse ne crient pas haut et fort qu’ils sont fédéralistes? Au moins, on comprendrait pourquoi ils couvrent toujours les campagnes politiques en favorisant clairement certains partis. » En attendant ce jour, il semble que les Loco soient là pour rester. Comme un couple mal assorti, Loco Locass et les médias ont beau tirer un peu plus de leur côté de la couverture, ils ont encore besoin l’un de l’autre. D’un côté pour propager leur musique et leur poésie urbaine, de l’autre pour servir de chair à kodaks au monstre de l’empire.

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