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Lobotomie

Par
Véronique Grenier
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J’ai pris une bière avec un ami. C’tait un soir où j’avais le mou dans l’être et de l’épuisement dans le corps, un soir où j’avais le goût d’entendre un autre être humain me parler de son quotidien, de son bonheur, que je puisse me réjouir pour lui.

Des fois, c’est tellement doux d’écouter des gens doués pour l’heureux. Ça m’aide à y croire. Ça me rassure. « C’est » un possible. Mais c’est surtout agréable de pouvoir être content, pour autrui, de son content à lui.

Cet ami donc me papotait de ce qu’il nommait, en murmurant pour pas que ça se sauve, son « coup de foudre ». Y dégoulinait ses mots, les sons du saxophone qui lui jouait dans le cœur sortaient de son corps. Il avait cette manière de nommer des instants précis qu’il avait figés dans sa tête : elle qui porte sa chemise à lui; elle qui étudie dans son lit; elle qui lui montre telle affaire, dit telle affaire, fait telle affaire. On en était presque à « elle qui brosse ses dents ». Presque.

Et plus il parlait, plus il s’emballait. Il se voyait bien s’emballer, mais pouvait pas tant ni vraiment s’arrêter. Ça voulait pas rester en-dedans. Il était en train de me contaminer solide avec sa joie, me donnait cette envie d’aimer fort de même, moi aussi. De parler avec du gnangnan dans la voix, des papillons dans le ventre, du tout-mou dans l’étant.

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Pis là, il a dit ça, en doutant momentanément de la durée de son bonheur : « Mais si ça marche pas, j’aurai au moins eu la chance, même si c’est juste pour un bref moment, d’être entré dans sa vie. » avec les yeux brillants, quasi émus, de circonstance. Esti. J’ai un peu fondu de aaaaaaw su’ ma chaise. Même s’il y avait, dans cette phrase qui tue toute, tout ce triste en suspend, la possibilité de la brièveté du parfait, de l’insuffisance anticipée, ce qui le tenait, lui, c’était tout le awesome de cette fille, awesome qui l’avait touché jusque dans son fond. Awesome qu’il se contenterait d’avoir pu côtoyer, touché, aimé advenant un « si » sur lequel il ne souhaitait pas trop s’arrêter. J’ai un petit doute ici entre l’idée et le réel, parce que du love de même, tu veux pas vraiment te contenter de l’avoir eu pour deux secondes dans le creux de la main, mais c’est l’idée, de toute manière, qui compte. Tout le romantico-kitsch-chaton de l’idée. Et y’a juste les amoureux qui tiennent des idées de même dans leur tête.

Et je les trouve bin’que trop beaux. Dans leur déversement, leur épanchement, leur pâmé, leur check-moi-les-ailes-du-bonheur-que-j’ai-dans-le-dos. Parce qu’y donnent le goût. Avec leur être, leurs fonds de yeux, ces mots qu’ils roulent dans leur bouche, le temps de les aimer fort avant de les laisser couler.

Et il y a tout ce qu’ils ne disent pas. Qu’ils ne peuvent pas nécessairement dire parce que l’amour dans son too much a des apparences de lobotomie.

Mais s’ils disaient toute…

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[Quand l’autre te rentre tellement fort dedans le cœur que son existence, même quand il est pas là, te pulse tout le temps dans le ventre. Que tu pourrais y dire que tu ressens le feu de la vie crépiter dans tout ton toé quand il est à tes côtés. Que parfois, tu t’entends pu penser tellement la mélodie du bonheur joue fort dans ta tête, juste parce qu’il t’a frôlé la main, le pied, le pantalon. Que la lumière du soleil, ce midi-là, tombait juste trop bien dedans ses yeux. Que le temps qui passe dans son absence, tu voudrais le pitcher au bout de tes bras. Que tu pourrais l’écouter parler non-stop tellement tout ce qu’y dit, même les considérations météorologiques, ÇA TE PARLE. Que c’est ton humain préféré et que tu te gosserais ben un bracelet de l’amour à partager pour l’afficher.]

…ça pourrait être malaisant.

Bref. J’me disais que si kekun disait ça de moi, un jour, estiche, le précieux, toé. Que si je le disais en même temps que ladite personne, pas certaine que j’aurais assez de filtre pour pas la laisser transparaître ma lobotomie. Je pourrais sans doute faire vomir des gens dans leur bouche et y’aurait mon amour-propre qui saignerait abondamment. Mais je le ferais, tirer le rideau sur la fenêtre de mon cerveau. Pis j’assumerais. Parce que, voir que du bonheur grand de même faut se garder ça pour soi. Voir. Quand m’a dire à kekun « Hiroshimoi », c’est certain que m’a te l’étaler dans face. Pour que ça pulse jusqu’à toé, itou. Le goût ben sucré du bonheur.

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J’existe aussi là : Les p’tits pis moé, pis là.

Illustration: Catherine d’Amours