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L’obĂ©sitĂ©, une maladie (et comment cette dĂ©claration pourrait alimenter la grossophobie) ?

Julie Artacho nous partage ses impressions sur le nouveau positionnement canadien en matiĂšre d’obĂ©sitĂ©.

Par
Laïma A. Gérald
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La diversitĂ© corporelle, l’obĂ©sitĂ©, la grossophobie sont des sujets qui font couler beaucoup d’encre, surtout depuis quelques annĂ©es. DĂ©mystifiĂ©e et nuancĂ©e par les militant.e.s anti-grossophobie; dĂ©noncĂ©e et attaquĂ©e par des chroniqueur.euse.s et des haters sur les rĂ©seaux sociaux, la question de l’obĂ©sitĂ© dĂ©range, challenge, divise.

Aujourd’hui, on assiste Ă  un changement de cap assez important dans le domaine de la santĂ©: le Journal de l’Association mĂ©dicale canadienne (CMAJ) vient de publier une nouvelle ligne directrice en matiĂšre de traitement de l’obĂ©sitĂ©. La derniĂšre datait de 2006, il Ă©tait temps!

Ça veut dire quoi?

Pour vous situer, le document « L’obĂ©sitĂ© chez l’adulte : ligne directrice de pratique clinique», paru mardi matin, s’appuie sur plus de 500 000 articles scientifiques sur le traitement de l’obĂ©sitĂ©. C’est colossal!

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Cette nouvelle ligne directrice, dĂ©veloppĂ©e par ObĂ©sitĂ© Canada et l’Association canadienne des mĂ©decins et des chirurgiens bariatriques, vise Ă  modifier la perception de l’obĂ©sitĂ© et ultimement, Ă  Ă©radiquer les prĂ©jugĂ©s. Comment? En arrĂȘtant de se concentrer uniquement sur le poids affichĂ© sur la balance. Fini le temps oĂč les mĂ©decins dĂ©claraient simplement « Mange moins, bouge plus » aux personnes en surplus de poids. DorĂ©navant, les professionnel.le.s de la santĂ© devront plutĂŽt observer la condition physique et mentale de maniĂšre plus globale, en prenant en considĂ©ration la santĂ© gĂ©nĂ©rale et en s’attaquant Ă  des paramĂštres comme le diabĂšte, les taux de lipides dans le sang et l’hypertension.

Autre revendication: reconnaĂźtre l’obĂ©sitĂ© comme une maladie chronique. Gros move!

Pour nous éclairer sur cette vaste question, et comprendre les impacts concrets de ce nouveau positionnement, on a discuté avec la photographe et militante anti-grossophobie Julie Artacho.

Quand tu as lu la publication du CMAJ, quelle a été ta premiÚre réaction?

J’avoue que ma rĂ©action Ă  chaud a Ă©tĂ©: « Pour vrai, la mĂ©decine vient juste de se rendre compte que la grossophobie mĂ©dicale et les prĂ©jugĂ©s envers les personnes grosses existent? Bienvenue en 2020! » Il y a quelque chose de frustrant lĂ -dedans, surtout que ça fait des dĂ©cennies que les personnes grosses subissent et dĂ©noncent cette discrimination. Ce n’est pas nouveau comme enjeu, et il est plus que temps qu’on le reconnaisse.

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Le document du CMAJ revisite la perception de l’obĂ©sitĂ© et souhaite qu’elle soit dĂ©sormais considĂ©rĂ©e comme une maladie. Tu penses quoi de tout ça?

Quand on lit le document, il y a des points avec lesquels je suis entiĂšrement d’accord. Par exemple, je trouve ça trĂšs bien qu’on demande aux mĂ©decins de mettre l’accent sur la santĂ© et pas uniquement le poids, de ne pas faire d’amalgame entre le poids et la santĂ©, de s’informer auprĂšs des patient.e.s s’ils.elles veulent parler de leur poids et d’aborder le sujet dans une approche plus globale. MĂȘme si je pense que c’est absurde que ce positionnement arrive seulement en 2020, j’essaye de voir le bon cĂŽtĂ© des choses. Tant mieux si tout ça fait que les personnes grosses sont traitĂ©es avec plus de respect et vivent moins de violence dans les cabinets mĂ©dicaux.

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Par contre, pour ce qui est de considĂ©rer l’obĂ©sitĂ© comme une maladie, je suis trĂšs mitigĂ©e et certains aspects me fĂąchent vraiment.

Pourquoi?

Commençons par les bĂ©nĂ©fices: c’est vrai que si l’obĂ©sitĂ© est considĂ©rĂ©e comme une maladie, une personne grosse qui veut voyager et qui a besoin de deux siĂšges dans un avion pourrait payer un seul billet, avec un papier du mĂ©decin. Ce genre d’exemple peut clairement ĂȘtre vu comme quelque chose de positif et je comprends qu’on puisse penser qu’un tel positionnement soit vecteur de changement.

Cela dit, je ne suis vraiment pas prĂȘte Ă  ce que mon corps soit considĂ©rĂ© comme une pathologie. Pour moi, ça n’a aucun sens et ça me fĂąche Ă©normĂ©ment.

je ne suis vraiment pas prĂȘte Ă  ce que mon corps soit considĂ©rĂ© comme une pathologie.

Si je suis diabĂ©tique, on peut me le dire. Si je fais de l’hypertension, on peut me le dire aussi. Mais ma maladie, ce n’est pas d’ĂȘtre grosse.

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Donc oui, la nouvelle ligne directrice va peut-ĂȘtre ouvrir les yeux Ă  certains mĂ©decins, en les obligeant Ă  avoir une approche plus holistique et en ne prĂ©sumant pas d’emblĂ©e qu’ĂȘtre gros.se rime avec mauvaise alimentation ou mode de vie ultra-sĂ©dentaire. Mais de lĂ  Ă  nous dire qu’on est MALADE si on est gros.se, ça me dĂ©passe.

C’est dĂ©montrĂ© que les personnes grosses vivent de la discrimination dans diffĂ©rentes sphĂšres de leur vie. Penses-tu que ce changement de cap sera bĂ©nĂ©fique ou au contraire, d’associer surplus de poids Ă  « maladie » stigmatise encore plus?

Du cĂŽtĂ© mĂ©dical, j’ai l’impression que ça contribue Ă  mettre toutes les personnes grosses dans le mĂȘme panier. Par contre, je comprends les bĂ©nĂ©fices au niveau des interactions individuelles entre patient.e.s et mĂ©decins. Mais on ne devrait pas avoir Ă  appeler l’obĂ©sitĂ© une maladie pour mĂ©riter du respect.

Donc maintenant, aux yeux de la sociĂ©tĂ©, en plus d’ĂȘtre gros.s.e, on est malades? Je ne vois vraiment pas comment ça peut aider Ă  Ă©radiquer les prĂ©jugĂ©s. Au contraire, ça ajoute un nouveau facteur de discrimination.

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LĂ  oĂč je vois un autre enjeu important, c’est du cĂŽtĂ© de la stigmatisation sociale. Les personnes grosses vivent dĂ©jĂ  Ă©normĂ©ment de discrimination, que ce soit dans les domaines de l’emploi, du logement ou des relations personnelles. Donc maintenant, aux yeux de la sociĂ©tĂ©, en plus d’ĂȘtre gros.s.e, on est malades? Je ne vois vraiment pas comment ça peut aider Ă  Ă©radiquer les prĂ©jugĂ©s. Au contraire, ça ajoute un nouveau facteur de discrimination.

Vois-tu des impacts concrets de ce double stigmate?

Oui. Je pense juste Ă  l’enjeu des assurances-santĂ©. Personnellement, je suis difficilement assurable parce que je suis grosse. Donc, imagine si je suis dĂ©sormais considĂ©rĂ©e comme grosse ET malade. Oublie ça!

En plus, les personnes grosses sont dĂ©jĂ  perçues comme paresseuses et moins efficaces, donc le fait qu’on nous voit maintenant comme des malades en plus, ça n’aide en rien Ă  sortir de la stigmatisation.

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Selon Julie Artacho, la parution de cette nouvelle directive, qui n’avait pas Ă©tĂ© revue depuis 14 ans, prouve implicitement qu’il y a toujours eu des lacunes quant au traitement mĂ©dical des personnes grosses et la qualitĂ© des soins dont elles bĂ©nĂ©ficient. Et pour elle, le fait de se voir attribuer la condition de « malade » ne ferait qu’amplifier la discrimination envers les personnes grosses.

Et on va se le dire, en 2020, on a pas mal plus besoin d’éradiquer des prĂ©jugĂ©es que d’en ajouter de nouveaux.

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