Logo

Livreurs en herbe

Par
Jérôme Houard
Publicité

C’est une profession méconnue. Et pour cause, rares sont ceux qui, à la question “que faites-vous dans la vie”, répondent “dealer à domicile”. Simon, lui, dit au monde qu’il livre des pizzas, ce qui n’est qu’un demi-mensonge. À 23 ans, il a déjà quelques années de deal à son actif. Afin de faire la lumière sur des livreurs stupéfiants, on vous offre cette fiche métier. Ne nous remerciez pas.

Expérience requise
N’allons pas croire, comme le véhicule trop souvent l’imagerie populaire, qu’être pusher est une job réservée aux consommateurs désargentés qui cherchent à se payer leur dose ou aux petites frappes en échec scolaire. La mission n’échoit pas au premier décrocheur venu, il faut une certaine expérience du milieu, « avoir ses entrées », comme on dit. La panacée étant encore de naître dans le bon quartier. C’est le cas de Simon, qui entre en connexion avec le milieu à quinze ans, par l’intermédiaire de son frère. Il commence doucement : distribution de bags de weed dans la cour du cégep.

Formation

À double titre, l’expérience sert de révélateur. Pour Simon, d’abord, qui goûte aux joies de l’argent facile. Et pour les têtes de réseaux locaux qui lui découvrent de franches dispositions au commerce de proximité. Ces années tiennent lieu de formation. Simon apprend à “garder les yeux ouverts, à rester attentif en permanence”. Il se familiarise avec les produits et les clients. Mais le temps des études arrive vite, et il n’est plus question de gagner un peu d’argent de poche, l’heure est à se trouver une job. Simon passe à la livraison.

Aptitudes

Il se forme sur le tas, au fil des livraisons. De toute façon, les codes et les exigences sont les mêmes – discrétion, rapidité, prudence, loyauté. Il est nécessaire d’avoir une bonne connaissance du milieu, une petite expérience de la revente, et un véhicule personnel. Nécessaire, mais pas suffisant. D’abord et avant tout, il faut, comme Simon, avoir fait ses preuves et gagner la confiance du boss.

Rémunération

Sans conteste, c’est le principal avantage du métier qui sur cet aspect, surclasse la plupart des jobs offertes aux étudiants. Simon touche 25% du montant de ses ventes. Tous frais déduits, sa moyenne quotidienne se situe entre 120 et 150 $ pour six heures de travail. Entre 20 et 25 piasses de l’heure ! Et c’est une fourchette basse. Et c’est – évidemment – net d’impôts.

Publicité

Mais surtout, arpenter la ville en voiture est autrement plus reposant que de flipper des burgers dans un resto, ou de remplir les rayonnages chez Jean Coutu.

Horaires
Juste derrière la rétribution, les horaires constituent l’un des gros attraits de la job. Jugez plutôt : des shifts de 6h maximum, jamais d’horaires coupés, et aucune livraison avant 12h ou après 23h. Quatre shifts par semaine, (12h-18h, ou 17h-23h), dont un ou deux en fin de semaine parce que la demande est plus forte. Mais, par conséquent, le salaire est plus élevé.

Relations de travail
Côté hiérarchie, la place est des plus paisibles. Simon voit son boss et fournisseur une à deux fois par semaine, histoire de lui donner son argent et de refaire les stocks. Et il ne voit jamais ses collègues, avec qui il entretient une relation strictement téléphonique : des voix grésillantes qui égrènent dans son oreillette les adresses à livrer.

Conditions de travail

Ne seraient-ce les risques inhérents à la profession, on pourrait qualifier celle-ci de tranquille. Car à la différence des livreurs licites – qui, quelle que soit la marchandise transportée, livrent avant tout un combat contre le temps – le dealer à domicile, lui, n’a pas besoin de se presser. Mieux : il doit s’en empêcher. Conduire prudemment et sans infraction. Ne pas attirer l’attention. Payer ses stationnements. Ainsi considérée, la job ressemble fort à une promenade en ville, ponctuée d’arrêts fréquents, mais furtifs.

Risques du métier

Évidemment, la politique répressive à l’oeuvre au Canada n’est pas sans conséquence sur les dealers, qui se retrouvent de facto dans le collimateur de la police – aux côtés des consommateurs. Or, même si le risque d’arrestation est faible et les peines encourues minimes pour les primo-délinquants – ce qui est le cas de Simon –, d’éventuels démêlés judiciaires ne sont pas à exclure, et il le sait. “Pis en plus, j’perdrais ma job”, prédit-il, semblant plus inquiété par cette perspective que par la menace policière en tant que telle, qui ne l’empêche pas d’opérer, en plein centre-ville de Montréal, à l’heure de pointe. Dans les premiers temps, il a trouvé ce risque « épeurant », puis « excitant ». Aujourd’hui, il dit s’y être « habitué ».

Perspectives d’avenir

La filière donne tous les signes de prospérité à long terme. “Tous les voyants sont au vert” diraient les analystes économiques. D’une part, parce que les chances sont quasi nulles que la consommation de drogues, et par conséquent, sa revente, ne cessent un jour. Et d’autre part parce que le gouvernement canadien ne semble pas prêt à abandonner sa politique de prohibition forcenée, offrant ainsi un boulevard aux organisations criminelles qui prospèrent dans les méandres de l’économie informelle.

Publicité

Pour autant, l’avenir n’est pas si radieux pour les petites mains du système. Il n’y a pas trente-six manières d’envisager son avenir lorsque l’on est pusher à domicile. À vrai dire, il y en a deux : ou bien on se fait arrêter par la police, ou bien non. Et dans chaque cas, restent alors la possibilité de se ranger des voitures, ou celle de persévérer pour tenter de s’élever dans la hiérarchie du crime organisé. Mais les places sont chères, les prétendants nombreux et les « recruteurs » plutôt tatillons.

Autant dire que si la filière a encore de beaux jours devant elle, les perspectives de carrière pour le petit personnel restent aussi restreintes qu’incertaines.

Conseils pratiques
Si, comme c’est à redouter, tu as, lecteur, plus de 18 ans. Si, en plus de cela, tu n’as jamais de près ou de loin été en cheville avec aucun trafiquant d’aucune sorte. Si pour finir, tu n’as pas de goût particulier pour les menottes et les règlements de compte, alors suis notre conseil : ne t’essaye pas au trafic de drogues, il est trop tard pour toi. D’autres, des plus jeunes, feront ça bien mieux. Et ils n’aiment pas partager leur part du ghetto.

Publicité

Mais si malgré tout, petite tête brûlée que tu es, tu décides de ne pas suivre les recommandations d’Urbania, sache que tu devras t’armer d’un moral solide pour te sentir capable. Et d’une morale vacillante, pour ne pas te sentir coupable.