J’avais environ 10 ans quand j’ai vu le film de Gillian Armstrong, Les quatre filles du docteur March, version française de Little Women sortie en 1994 (avec Winona Ryder, Susan Sarandon, Claire Danes et Kristen Dunst). À cette époque post-films de Disney dans ma vie, je ne me reconnaissais en rien dans les Star Wars et autres Jurassic Park qu’on me faisait regarder. Et j’avais déjà vu Sister Act tellement souvent qu’encore aujourd’hui je me souviens des chansons.
Je voulais des personnages féminins forts, drôles et attachants. Je voulais plus des sœurs de Brady Bunch, plus de Julie des Intrépides, plus de Mary Ann et Ginger dans les Joyeux naufragés, plus de films comme La fiancée de papa (la version des années 60 de L’Attrape Parents), plus de Dorothy dans Le magicien d’Oz, plus de filles qui volent comme Mary Poppins et toujours et encore plus d’Anne la maison aux pignons verts.
Dans Les quatre filles du docteur March, que j’ai lu après avoir vu le film, je me reconnaissais en Meg, la grande sœur bienveillante qui veut que sa petite sœur turbulente agisse comme il faut. Je me reconnaissais en Beth avec mon désir d’aider les autres et de bien jouer du piano. Je me reconnaissais en Amy, même si elle était égoïste et que je ne comprenais pas ce qu’étaient des citrons verts, parce que je voulais avoir de beaux cheveux bouclés comme les siens. Je dormais d’ailleurs avec des guenilles accrochées sur ma tête pour avoir des boudins d’une autre époque. Mais bien sûr, je me reconnaissais surtout en Jo, celle qui a un tempérament bouillant, qui rêve d’écrire de belles histoires et de voyager hors de sa ville natale.
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(Ici une photo de moi en mars 1995 avec un pyjama d’Anne la maison aux pignons verts et des cheveux comme ceux d’Amy March.)
Est-ce que j’étais une petite fille typique? Assurément. Est-ce qu’en lisant le nom de mes idoles préférées dans la culture populaire vous roulez les yeux et vous dîtes que j’étais donc bien quétaine et prévisible avec mes choix? Possiblement. Même moi je le pense un peu.
Mais on a TORT. Voici pourquoi.
Où sont les personnages féminins?
Vous avez peut-être déjà vu cette video de Rebel Girls (une organisation et une série de livres pour enfants qui met les personnages féminins de l’avant).
C’était donc plutôt normal que j’aie lu et regardé tant de fois ces livres, émissions et films mettant en vedette des filles et des femmes cool à mes yeux. Il y en avait si peu.
Une mère et sa fille retirent les livres où il n’y a aucun personnage masculin. Résultat? Trois livres de moins dans la bibliothèque. Elles les replacent et enlèvent ensuite les livres qui n’ont pas de personnages féminins, puis ceux où les filles ne parlent pas et enfin ceux où ces personnages sont des princesses sans autres aspirations que celles d’attendre le prince. Le résultat est assez frappant. Les statistiques au bas de la vidéo aussi.
C’était donc plutôt normal que j’aie lu et regardé tant de fois ces livres, émissions et films mettant en vedette des filles et des femmes cool à mes yeux. Il y en avait si peu.
Maintenant que je suis une grande personne et une madame qui comprend la vie (ou presque) je sais l’importance d’avoir de bons modèles féminins. Pourquoi alors, quand j’ai su la semaine dernière qu’il y aurait un autre remake de Little Women, j’ai dit : « Encore? ». En plus du premier livre paru en 1868, il y a eu d’autres tomes, deux films muets, quatre films avec du son, six séries télé (dont une produite par la BBC en 2017 et une par PBS en 2018) et deux séries animées japonaises. Sans compter les comédies musicales et les opéras. Est-ce que cette histoire vaut vraiment la peine qu’on la revisite une fois de plus?
La réponse est oui. Et la encore-meilleure-réponse est : est-ce qu’on dit « Encore? » quand on apprend qu’un 42e Batman, X-Men, Spider Man, Superman ou James Bond sera tourné ou publié? Non. Les gens capotent, l’internet fait des nouveaux filtres pour les photos, les radios tournent les chansons de la bande-annonce et, que ce soit bon ou pas, tout le monde en parle.
Les sœurs March un siècle et demi plus tard
L’œuvre de l’Américaine Louisa May Alcott (1832-1888) prendra vie une nouvelle fois au cinéma grâce à Greta Gerwing, l’auteure et réalisatrice du film Lady Bird. Après son grand succès, ses nominations et ses prix dans différents galas l’an passé, elle débutera l’adaptation de Little Women en octobre avec les actrices Saoirse Ronan (celle qui interprétait justement Lady Bird), Meryl Streep et Emma Stone. Et en fin de compte je me réjouis de cette nouvelle. Tant mieux si des enfants, ados, adultes, filles et garçons découvrent pour la première fois cette histoire de complicité entre sœurs en des temps difficiles.
Bien qu’il y aura des sauts dans le temps pour voir l’enfance des sœurs March, le film de Gerwing se concentrera davantage sur la deuxième partie du livre de Alcott, soit quand les filles sont plus âgées et deviennent des femmes.
Les thèmes ont beau avoir 150 ans, ils sont toujours actuels. Se marier ou rester célibataire. Quitter sa famille qu’on aime pour aller vivre de nouvelles expériences. Les changements après avoir eu des enfants.
Ce récit fictif, mais hautement inspiré par la vie de l’auteure et de ses trois sœurs (dont une est morte de la scarlatine), raconte après tout le passage de l’enfance à l’âge adulte chez quatre filles aux personnalités bien différentes, comme c’est le cas dans la vraie vie. Et les thèmes ont beau avoir 150 ans, ils sont toujours actuels. Se marier ou rester célibataire. Quitter sa famille qu’on aime pour aller vivre de nouvelles expériences. Les changements après avoir eu des enfants. La pauvreté, les classes sociales, le deuil, les contraintes sociales imposées aux femmes, l’entraide, l’ambition, la créativité, l’éducation, la débrouillardise.
L’auteure Louisa May Alcott, qui ne s’est jamais mariée (au milieu des années 1800, dois-je vous le rappeler), aurait écrit dans ses mémoires qu’elle : « préférait être une vieille fille libre et pagayer elle-même son canot. »* Et alors que les fans lui écrivaient pour se plaindre du fait que Jo ne se marie pas, elle aurait dit : « Les filles m’écrivent pour me demander avec qui les ‘’little women’’ allaient se marier, comme si c’était le seul objectif dans la vie d’une femme. Je ne marierai pas Jo à Laurie pour plaire à quiconque. »*
Il semble que 150 ans plus tard, ici et ailleurs dans le monde, il soit encore difficile de devenir une femme, de ne pas se conformer aux règles dictées par la société, de faire ce que l’on veut vraiment. Voilà pourquoi je pense que Little Women demeure une œuvre pertinente et que j’irai voir le nouveau film.
*Traduction libre de ses écrits en anglais.