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L’intervention d’urgence auprès des victimes d’agression sexuelle

Ça se passe comment? Julie a visité un centre désigné pour s'informer.

Par
Julie Lemay
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* TRIGGER WARNING : Les détails contenus dans cet article (portant sur l’intervention d’urgence après une agression sexuelle) sont susceptibles de déclencher le rappel d’un traumatisme. Avec toute mon empathie, je préfère aviser afin que vous puissiez prendre une décision éclairée pour la poursuite de votre lecture *

L’idée de cette chronique a poppé en en écoutant la saison 3 de la série britannique Broadchurch.

Au cours de l’épisode 1, on y voit une femme qui appelle les policiers quelques heures après avoir vécu une agression sexuelle.

Ils la conduisent à un Sexual Assault Referral Centre.

On la voit rencontrer une intervenante et un médecin.

Répondre à des questions de santé. Des questions sur l’événement.

Passer un test gynécologique.

Faire des prélèvements.

Donner ses vêtements en guise de preuve.

Être escortée chez elle par les policiers.

Chez URBANIA, on en a beaucoup jasé. On trouvait cette scène particulièrement instructive, constatant qu’il est rare non seulement qu’on représente ce délicat processus, mais aussi qu’on le fasse avec autant de précision. On s’est demandé : « est-ce que ça se passe aussi de cette façon, au Québec? » Après tout, on en connait peu sur les services d’urgence reçus suite à une agression sexuelle.

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Pour pallier à cette situation, je suis donc allée visiter le Centre désigné pour victimes d’agression sexuelle de l’Île de Montréal (CDVASIM), situé à l’hôpital Notre-Dame.

Mes chers, ç’a été constructif, je vous jure!

Un espace intime et sécurisant

Je ne sais pas pour vous, mais le concept des « centres désignés » me paraissait plutôt obscur. Pourtant, on en retrouve dans chaque région du Québec (en voici la liste). Souvent situés dans un hôpital, ce sont des organisations indépendantes qui accueillent les victimes d’agression sexuelle pour offrir du soutien psychosocial, des soins médicaux, pour informer sur les droits et référer à d’autres services, si nécessaire. Tout ça dans un délai extrêmement rapide, suite aux évènements abusifs.

C’est donc là que j’ai rencontré la dévouée et compétente Mahé Fall, qui y est intervenante depuis 6 ans, ce qui l’a amené à porter assistance à plus de 500 individus. Pour ceux qui ont visionné Broadchurch, Mahé est la Anna de l’Hôpital Notre-Dame. Elle et ses deux collègues travaillent en collaboration avec les infirmier.ère.s et les médecins pour offrir des services d’urgence 24 h/24, 7 jours/7.

5 jours, c’est le laps de temps maximal pour effectuer les prélèvements nécessaires à la trousse médico-légale. Dans ce cas, the sooner the better.

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Ensemble, nous visitons la salle de l’urgence étant prioritairement réservée au CDVASIM. Doté d’un bureau et d’une confortable civière, ce local permet d’accueillir la victime, de faire de la relation d’aide, de compléter la trousse médico-légale au besoin, d’offrir des soins médicaux et de faire des prélèvements pour des tests d’ITSS, par exemple.

Toutes les étapes s’y déroulent. Pourquoi?

Pour créer un sentiment de sécurité, pour plus de discrétion et de confidentialité.

Il faut dire que les services d’urgence sont offerts aux personnes qui ont vécu une agression sexuelle dans les 5 derniers jours.

5 jours, c’est le laps de temps maximal pour effectuer les prélèvements nécessaires à la trousse médico-légale. Dans ce cas, the sooner the better. Chose certaine : peu importe l’état dans lequel la victime se présente, les différents intervenants sont là pour prendre soin d’elle, sans aucun jugement. Plus la rencontre est faite rapidement, plus ce sera efficace pour recueillir les preuves. Mahé m’explique d’ailleurs qu’il est préférable d’appeler les services d’urgence ou de s’y présenter si possible sans avoir mangé, sans avoir uriné, sans se brosser les dents, sans se laver, sans avoir changé de vêtements. S’ils doivent être conservés (ce qui est souvent le cas pour les sous-vêtements) le CDVASIM possède une garde-robe de vêtements neufs pour les remplacer.

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Démystifier LA trousse

Mais là, j’en suis consciente, j’ai droppé le terme qui génère bien des questionnements. Trousse. Médico. Légale. Outil juridique qui contient le matériel (formulaires, prélèvements de l’ADN de l’agresseur) servant à appuyer le témoignage d’une victime qui veut porter plainte.

Démystifions : est-ce qu’on est automatiquement obligé de porter plainte, quand on est un adulte qui se présente à un centre désigné?

Non.

Est-ce qu’on est obligé de faire la trousse quand on y est?

Re-non.

Si on a des doutes, est-ce qu’on peut la faire « au cas ou » et ne pas porter plainte par la suite?

Oui.

« On croit la personne qui est devant nous, on prend le temps de clarifier ses besoins et on s’adapte à son rythme, à ses demandes, à sa réalité. »

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On peut bénéficier d’une période de 2 semaines pour transmettre notre décision et les intervenantes peuvent nous guider dans notre réflexion à ce sujet. S’il y a refus de porter plainte, elles n’exerceront aucune pression.

Ce n’est pas leur rôle.

Pas plus que c’est leur rôle de jouer à l’enquêteur. « On croit la personne qui est devant nous, on prend le temps de clarifier ses besoins et on s’adapte à son rythme, à ses demandes, à sa réalité », précise Mahé Fall. Une rencontre d’urgence au CDVASIM dure en moyenne 3 heures, mais ça peut durer jusqu’à 12 heures, dans des cas exceptionnels impliquant des blessures graves. Pendant ce temps, jamais la personne n’est laissée seule.

L’intervenante est là pour rassurer et répondre à ses questions, every step of the way.

Tout est fait avec un grand respect et énormément d’empathie.

Que ce soit au niveau des questions posées, où l’on se concentre sur l’essentiel pour ne pas replonger la victime dans les événements ou au niveau des examens physiques où l’on évite définitivement qu’elle se sente forcée et qu’elle intériorise les touchers comme une seconde agression.

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L’état post #moiaussi

Ces personnes qui ont recours aux services du centre localisé à l’hôpital Notre-Dame sont de plus en plus nombreuses. Mahé me confirme que depuis l’avènement du mouvement #moiaussi, ses collègues et elle ont été témoins d’une hausse de demandes sans précédent. Cette année, elles évaluent qu’elles recevront entre 350 et 400 victimes, alors que la moyenne se situe normalement entre 250 et 300. Et on rappelle que le CDVASIM offre des services spécifiquement aux adultes francophones résidant sur l’île de Montréal (ou ceux qui y ont vécu une agression). Habituellement, mai à octobre représente la période plus occupée : « Les gens sortent plus et sont plus à risque », précise-t-elle. Mais cette fois-ci, l’achalandage de l’hiver 2017-2018 a battu le (triste) record de la période d’été…

Habituellement, mai à octobre représente la période plus occupée : « Les gens sortent plus et sont plus à risque », précise Mahé Fall. Mais cette fois-ci, l’achalandage de l’hiver 2017-2018 a battu le (triste) record de la période d’été…

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Bien entendu, la nécessité des soins sans délai fait en sorte qu’il n’y a pas possibilité d’avoir une liste d’attente. Et j’aimerais rappeler les faits suivants : au CDVASIM, on compte trois professionnelles pour couvrir l’ensemble de l’année, offrir des services d’urgence 7 jours/7, 24 h/24, faire les rencontres de suivi et veiller à la gestion administrative. À travers tout ça, leurs vacances ne sont possibles que si elles interchangent leurs journées de garde. Qu’en est-il de la considération de la charge de travail..? Qu’en est-il des ressources budgétaires pour une ressource si essentielle..? Ces questions se posent et ici, je ne peux m’empêcher d’avoir une pensée pour l’essai Les libéraux n’aiment pas les femmes, de ma collègue collabo Aurélie Lanctôt.

Des services professionnels solides permettant de « prendre le temps », c’est ce qu’offre le Centre désigné pour victimes d’agression sexuelle de l’île de Montréal. Je suis ressortie de cette rencontre ravie d’enfin connaître ce service qui me paraissait obscur. Ravie de pouvoir le faire rayonner en vous disant « GUYS, ça existe, n’hésitez pas à y faire appel ». Et si jamais vous traversez un épisode sombre et avez besoin d’aide ou de soutien pour aider à mieux aider, avec toute ma considération, j’espère que cet article vous parait éclairant et vous amènera à retrouver un peu de lumière.

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Ligne d’écoute, d’information et de référence sans frais pour victimes d’agression sexuelle, leurs proches et les intervenants : http://www.agressionssexuelles.gouv.qc.ca/fr/ressources-aide/ligne-sans-frais.php

** Je remercie sincèrement Mahé Fall, admirable intervenante m’ayant partagé les réalités de son milieu de travail avec toute la passion qui l’anime et je rappelle que le contenu du présent article représente les services du CDVASIM et non ceux de tous les centres désignés du Québec **

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