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L’insoutenable obscénité de « The Idol »

Satire hollywoodienne ou fantasme tordu? Un peu des deux?

Par
Benoît Lelièvre
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*Ce texte contient des divulgâcheurs*

Dimanche soir, j’ai regardé le premier épisode de The Idol, la nouvelle série de Sam Levinson dans laquelle le chanteur The Weeknd joue, sans trop savoir dans quel bateau je m’embarquais.

Le créateur américain tient le cœur du public en otage depuis 2019 avec sa série d’ados complexes et torturés Euphoria et la nouvelle même d’un projet plus adulte est immédiatement venue avec une généreuse dose de bon karma. Le public était intrigué, intéressé même. On ne savait pas trop de quoi ça aurait l’air, quelle forme ça allait prendre, mais on savait déjà que ça allait être bon.

Quand ont éclaté en mars dernier la controverse d’une possible ambiance toxique pendant le tournage et celle de l’angle hypersexuel de la série, je vous avouerais ne pas trop y avoir prêté attention. Des allégations de malaises face au caractère sexuel de certaines scènes d’Euphoria ont aussi fait surface, mais les actrices au cœur desdites allégations ont elles-mêmes affirmé avoir partagé leur malaise à Levinson qui aurait modifié les scènes en conséquence.

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Dans l’optique de donner à The Idol un regard aussi objectif que possible, j’ai essayé d’éviter cette conversation au meilleur de mes capacités. Mais à la lumière de ce premier épisode, force est d’admettre que cette conversation était peut-être l’objectif principal de la série.

Objectification de la femme ou satire féroce?

Dès les premières minutes de The Idol, j’ai tout de suite pensé au film Triangle of Sadness de Ruben Ōstlund. Particulièrement la scène où un groupe de mannequins hommes prennent des poses spécifiques à certaines marques. De cette même façon, la série de Sam Levinson s’ouvre par la vedette de la pop Jocelyn (jouée avec conviction par Lily-Rose Depp) qui incarne différentes émotions sur commande durant une séance de photos pendant que son entourage panique silencieusement suite à la fuite d’une photo hypersexuelle de cette dernière sur Internet. Ici, elle est clairement objectifiée, traitée comme un bien de consommation.

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Lorsque le directeur créatif de Jocelyn raconte le récent épisode psychotique récent de la jeune femme et se questionne sur le fait que la séance photo romance les problèmes de santé mentale, il se fait répondre que c’est le cas. La productrice de la compagnie de disque lui explique alors que ceux vivant dans l’Amérique profonde romancent et sexualisent la santé mentale fragile de starlettes comme Jocelyn parce que, sans cela, ils n’auraient aucune chance qu’elle souhaite un jour leur faire l’amour.

Une déclaration grinçante, dégueulasse, même, et peut-être pas à prendre au premier degré, mais elle identifie au moins la productrice comme une conne sans âme pour qui Jocelyn n’est qu’un simple produit à vendre. Cette dame n’a pas d’intériorité ou de sensibilité cachée. On n’est pas censés l’aimer.

Je suis allé direct prendre une douche dès l’arrivée du générique de fin.

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C’est glauque et provocateur, mais jusqu’ici, le portrait d’une industrie brisée et prédatrice est édifiant. Malheureusement, cette distinction devient plus floue lorsque le personnage de Tedros (joué par The Weeknd) fait son apparition à l’écran. Le mystérieux patron de boîte de nuit hypercharismatique laisse entrevoir une sexualité des plus inquiétantes, surtout dans les scènes finales de l’épisode où on peut déjà comprendre l’emprise qu’il commence à exercer sur la jeune chanteuse.

Il est un peu tôt pour établir un contexte clair à leur relation et comprendre la tonalité avec laquelle The Idol veut la dépeindre. Beaucoup découlera du deuxième épisode qui s’annonce encore plus confrontant, mais je suis allé direct prendre une douche dès l’arrivée du générique de fin. C’est passé de l’hypersexuel au « ew, wtf? » en douze secondes et quart.

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La question de la qualité du produit

Les réactions à la première de The Idol ont été brutales. Des scénaristes grévistes d’Hollywood, des critiques et plusieurs autres sont sortis publiquement pour condamner le niveau abyssal de l’écriture.

Mon impression est basée sur un seul épisode, mais je trouve cette condamnation un brin gratuite. La moralité (ou amoralité) de The Idol et son objectification brutale du corps de la femme sont clairement des enjeux qui méritent d’être discutés, mais la qualité de l’écriture? Pas à moi avis.

Ça fait longtemps qu’une série ne m’a pas donné peur pour mon âme et ce sentiment n’est pas complètement désagréable.

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On n’est peut-être pas dans la grande, grande scénarisation, mais la narrativité de Sam Levinson s’est toujours exprimée de façon très visuelle et The Idol n’est pas si différente d’Euphoria sur cet aspect. La tension insoutenable dans la vie de Jocelyn y est clairement établie. Tedros est emmené dans le récit comme une bouée de sauvetage potentielle qui se transforme rapidement en une nouvelle source de tension.

C’est également très bien établi que cette histoire se déroule dans l’univers parallèle exclusif des mégastars (et d’Euphoria aussi, semblerait-il) qui n’a rien à voir avec la logique du commun des mortels. Un espace à la fois réel et mythique.

Je vois donc plutôt du choc dans cette réaction collectivement négative. Les gens sont choqués par ce portrait cynique et violent du rêve américain (être riche et célèbre), ils y voient un fantasme tordu au lieu d’une satire et d’une histoire d’abus.

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Bon, est-ce que j’ai peur pour le prochain épisode? Oui. Si cette descente dans la dépravation continue d’accélérer, ce n’est pas d’une douche dont j’aurai besoin, mais d’un exorcisme. Parce que c’est peut-être un fantasme tordu, après tout, même s’il est encore trop tôt pour tirer des conclusions. Vais-je être au rendez-vous, par contre? Absolument.

Ça fait longtemps qu’une série ne m’a pas donné peur pour mon âme et ce sentiment n’est pas complètement désagréable.