« Les gens se mettent en couple principalement pour deux raisons : par souci de confort et parce qu’ils ont peur de la solitude. C’est ce que les célibataires cherchent. Une fois en couple ou mariés, ils s’ennuient vite de l’excitation et de l’imprévisibilit é de la vie de célibataire. »
Maxime me reçoit dans une salle de réunion sans fenêtres dans un espace partagé d’une tour à bureaux du centre-ville de Montréal. Un espace spartiate, certes (on dirait une salle d’interrogatoire), mais j’ai quand même droit à une bouteille d’eau. Vu la chaleur qu’il fait, la courtoisie est fort appréciée. Le nom de la compagnie pour qui mon interlocuteur travaille n’est même pas inscrit au registre des entreprises de l’immeuble, discrétion oblige. C’est d’ailleurs lui qui vient me chercher à la réception avant même que je ne pose la moindre question.
Maxime * est enquêteur chez Detective911, une entreprise qui fait la majorité de son chiffre d’affaires avec l’infidélité. « C’est 75% de ce qu’on fait, mais le reste de nos activités y est plus souvent qu’autrement lié. On enquête aussi sur les raisons d’un défaut de paiement de pension ou sur des demandes de pension faites par des personnes soupçonnées de travailler au noir. Ce genre de chose », m’explique-t-il.
L’infidélité fait partie du quotidien de Maxime depuis plusieurs années, lui conférant le recul nécessaire pour faire face aux scénarios les plus délicats. Contrairement aux personnes victimes d’une infidélité, notre détective ne se laisse pas emporter par les émotions.
Le marché de l’infidélité
On a tous vécu ou entendu parler d’une (ou cent) histoire(s) d’infidélité dans notre entourage, mais pour Maxime, c’est avant tout un gagne-pain. Membre d’une équipe multidisciplinaire qui offre des services allant de la filature à l’empreinte numérique, son quotidien se déroule principalement au bureau où il cherche le plus d’informations possibles sur ses sujets d’enquête afin d’établir des patterns de comportement et de mieux guider ses collègues sur le terrain : est-ce le sujet va au gym 4 fois par semaine? Est-il enthousiaste de pêche? À partir de ces informations, sa job, c’est d’établir où chercher afin de potentiellement coincer un infidèle en flagrant délit.
Lorsqu’il y a tromperie, on s’imagine invariablement un maudit-écoeurant-sale et une pauvre victime insouciante. On le sait tous que c’est plus compliqué que ça, mais c’est difficile de ne pas être émotif devant un acte de tricherie sentimentale. Après tout, il s’agit d’un phénomène de société vieux comme le monde qui propulse tout un marché, des travailleurs du sexe aux avocats spécialisés en divorce. Selon une étude parue en 2023, près de la moitié des couples non mariés et un couple marié sur cinq en Occident auraient vécu un scénario d’infidélité.
Plus d’un couple sur quatre au Canada est affecté par l’infidélité et on ne prend ici en considération que ceux et celles qui se sont fait prendre. Malgré ce chiffre, c’est près de 84% des Canadiens qui considèrent l’infidélité comme étant immorale. Le sujet se heurte encore à plusieurs tabous et peu de gens se sentent à l’aise d’aborder le sujet, surtout lorsqu’ils sont directement affectés.
La douleur de vivre dans le mensonge
« Beaucoup de gens qui nous contactent expriment de la honte à l’idée de solliciter nos services », affirme Maxime. « Ils ont l’impression d’espionner leur partenaire de vie. De faire quelque chose d’interdit ou de répréhensible. »
Selon Maxime, c’est par besoin de connaître la vérité que ses clients outrepassent leur inconfort avec le concept de l’enquête privée. « Ne pas savoir, ça les torture beaucoup moralement. »
Il me donne l’exemple d’une dame ayant fait appel aux services de l’entreprise après avoir trouvé des pilules de Viagra dans les poches des vêtements de son mari en effectuant une brassée de lavage. Leur vie sexuelle n’étant plus ce qu’elle était, elle le confronte et la dispute éclate. Le mari la traîne devant les enfants pour l’accuser d’être paranoïaque et de manque de confiance à son égard. « Elle avait besoin de preuves. Elle avait besoin de savoir qu’elle n’était pas folle. Qu’elle ne se faisait pas d’idées », raconte Maxime.
Oui, monsieur allait bel et bien voir ailleurs. Il n’était même pas discret une fois hors de la maison. Mais selon Maxime, peu d’infidèles le sont. Pour eux, le sexe et la maison deviennent des univers parallèles et opposés.
Les gens ne sont cependant pas tous infidèles pour les mêmes raisons. À cet effet, Maxime me raconte l’histoire d’un homme dans la soixantaine. Sa femme (elle aussi dans la soixantaine) avait commencé à s’absenter sans explications. Elle s’était aussi mise à dépenser de manière outrancière, comme si elle bénéficiait d’une nouvelle source de revenu. Monsieur contacte Detective911 pour aller au fond de l’affaire et l’équipe fait une découverte atypique : madame travaillait comme escorte afin de combler un besoin qui ne l’était pas à la maison.
Ce ne sont également pas toutes les enquêtes qui révèlent une infidélité. Parfois, ce doute qui ronge ne repose que sur un manque de communication. « Une dame nous avait contactés parce que son mari avait commencé à passer du temps avec son cousin au bar du coin. “C’est impossible, il n’a jamais été proche de son cousin”, nous avait-elle dit. On a suivi le mari jusqu’au bar et on l’a pris en photo avec l’individu en sa compagnie. Elle nous a confirmé qu’il s’agissait bel et bien de son cousin et l’affaire fut classée », raconte Maxime en riant.
Un mal qui se nourrit de vide
Maxime se place avant tout comme observateur de l’infidélité. Son boulot n’est pas de la comprendre ni même de la résoudre, mais de la documenter pour ses clients. Il m’explique n’avoir à gérer qu’une infime partie d’un phénomène qui est à son avis beaucoup plus grand et complexe.
Mais les infidèles qu’il croise au cours de ses enquêtes se ressemblent tous un peu. Ils sont majoritairement des hommes, âgés entre quarante et cinquante ans, ayant connu du succès sur le plan professionnel. « Ils sont capables de se payer un certain train de vie, et surtout, d’offrir des cadeaux », précise-t-il.
Ils sont intelligents, extravertis, charismatiques et confiants, avec un penchant pour la manipulation. Le détective m’explique que les personnes à la personnalité moins dominante vont avoir les mêmes besoins d’excitation et de nouveauté, mais qu’ils ne passeront pas nécessairement à l’acte. Du moins, pas littéralement.
« Plein de gens comblent leurs besoins avec la romance, la pornographie, les relations en ligne ou avec d’autres moyens périphériques. »
On a tous des besoins qui nous sont propres et on ne se sent pas toujours capables de les partager. Encore moins avec quelqu’un qui nous aime. Parfois, on ne peut pas se les expliquer, mais ça ne nous empêche pas d’agir.
Un portrait émerge des observations de Maxime. Au-delà d’un certain type de caractère, l’infidélité telle qu’il a pu l’observer semble liée à une période bien particulière que tous les couples doivent traverser à leur façon. Celle qui suit les études, l’arrivée sur le marché du travail, l’achat d’un logement, le mariage et les enfants où la vie ralentit soudainement. C’est à ce moment que les différences de valeurs s’exacerberaient.
« L’amour, c’est très complexe. Pour certaines personnes, c’est purement sexuel. Pour d’autres, il y a une composante émotionnelle. Ce n’est pas toujours bien aligné dans un couple », résume-t-il
Maxime est lui-même dans une relation amoureuse monogame qu’il estime stable et constructive. Bien qu’il ait été victime d’infidélité lui-même par le passé, il n’a pas peur de ce que le futur lui réserve : « Je connais les symptômes et je n’ai pas à m’inquiéter. Ça m’a rendu plus serein d’une certaine façon. Je ne suis plus en position de baigner dans l’incertitude. »
L’amour, c’est pas assez
Comme Maxime me l’a bien fait comprendre, les infidèles auxquels il fait face ne représentent qu’une partie d’un phénomène beaucoup plus large. Ses observations n’expliquent pas vraiment, non plus, les mécaniques interpersonnelles, émotionnelles et psychologiques qui poussent une personne vers l’infidélité.
J’ai donc contacté l’Ordre des travailleurs sociaux et thérapeutes conjugaux et familiaux du Québec qui m’a lui-même référé à Abdelghani Barris, un thérapeute de couple cumulant plusieurs années d’expérience, afin que je puisse profiter de ses lumières.
« Il faut faire attention aux explications a posteriori. Beaucoup des raisons qui poussent une personne vers l’infidélité sont inconscientes et une insatisfaction relationnelle ne mène pas toujours à une infidélité », m’explique-t-il d’entrée de jeu.
Pour le thérapeute, il n’existe pas de personnalité typique plus prompte à l’infidélité qu’une autre. Chaque personne a un historique différent à partir duquel elle développe une compréhension des relations amoureuses. Il existe des personnalités plus volatiles, d’autres plus méfiantes ou avec des habiletés sociales plus limitées. Parmi ces personnalités, certaines sont incapables de trouver la stabilité dans une relation à deux.
Le travail d’Abdelghani Barris, c’est de réconcilier ces modes de compréhension afin d’apaiser la tension dans une relation.
« Une des grandes incompréhensions qui mène les gens à mon bureau, c’est de croire que l’amour peut régler tous les problèmes. C’est quelque chose qu’on nous enseigne culturellement depuis longtemps. Une relation, c’est très fragile et on doit y mettre du sien pour qu’elle se développe », explique M. Barris.
Lorsqu’il y a infidélité, la rupture du lien de confiance est la variable la plus difficile à réparer. Abdelghani Barris est d’avis qu’il est de bon usage pour tous les couples de s’asseoir ensemble au moins une fois par année pour réviser les objectifs, priorités, sentiments, inquiétudes de chacun. Et lorsque la confiance est rompue, ce qu’il nomme le « contrat d’engagement amoureux », se voit susceptible d’être revu de façon plus serrée, quitte à ce que ça soit chaque semaine, voire chaque jour, jusqu’à ce que la confiance soit rebâtie.
Oui, il faut beaucoup d’amour pour passer par-dessus un épisode d’infidélité, mais il faut aussi de l’humilité, de l’abnégation, de la bonne foi et des attentes claires, d’un côté comme de l’autre.
« La relation amoureuse engagée subit beaucoup plus de pression aujourd’hui qu’elle n’en subissait il y a 50 ou 100 ans, où il existait toute une structure sociale pour la supporter : l’église, la famille, les cercles sociaux. Les couples sont maintenant seuls avec beaucoup de leurs problèmes. Notre société est devenue une société de services qui fait la promotion de l’individualisme. Certaines personnes seront portées à combler leurs propres besoins avant ceux de leur relation lorsque leurs attentes ne sont pas alignées », conclut le thérapeute.
En résumé, tout ne se résume malheureusement pas toujours à des maudits-écoeurants-sales et à des victimes innocentes. Ils existent, là. Vous avez le droit de vous choquer pour vos amis trahis. Mais c’est quand même plus compliqué que ça.
Au-delà de la communication et de la calibration des attentes dont on entend parler chaque fois qu’il est question d’infidélité, les témoignages de Maxime et d’Abdelghani Barris permettent d’établir qu’un désir d’infidélité prend naissance lorsque les besoins d’une relation entrent en conflit avec ceux d’une des deux personnes qui la composent. Parfois, il est possible d’adresser ce besoin à l’intérieur d’une relation et parfois, c’est signe que ce serait peut-être mieux pour deux personnes de faire chemin à part afin de combler leurs besoins respectifs au lieu de continuer de se faire du mal à deux.
Dans tous les cas, l’infidélité est quelque chose dont il faut à tout prix parler et qu’on ne doit plus voir comme une ignominie morale causée par un désir frivole. On veut tous se sentir heureux et accompli. C’est en essayant de comprendre pourquoi on ne se sent pas comme ça qu’on peut progresser dans la bonne direction au lieu de chercher ce qui nous manque dans les bras du premier venu.
* Nous avons modifié ce nom étant donné que le travail des enquêteurs de Detective911 ne fait pas que des heureux et coûte parfois très cher aux personnes visées par leurs enquêtes.