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L’infernale sirène des remorqueurs : incursion au cœur d’une opération de déneigement

Le son qui gosse à chaque tempête, de 7h à 22h.

Par
Hugo Meunier
Hugo Meunier
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Si un coin du monde pouvait se définir par un son, lequel désignerait Montréal ?

Les klaxons dans la ville perpétuellement congestionnée? La voix de Michèle Deslauriers dans le métro? Les «ohé ohé ohé ohé» des partisans des Canadiens (ceux qui s’accrochent) ? La clameur des festivals au parc Jean-Drapeau (insérer ici une frown face de citoyens de Saint-Lambert)?

Plus qu’un son, la damnée sirène constitue l’irritant auditif ultime (c’est le but d’ailleurs).

Et bien non, la véritable tonalité du 514 est sans doute unique à Montréal (j’ai tellement pas poussé cette recherche pour voir si elle existe ailleurs) et j’ai nommé : la sirène des remorqueurs qui arpentent les rues pour te rappeler de déplacer ton char lors des opérations de déneigement.

Avouez que la simple lecture de ces mots suffit pour faire résonner dans votre tête cette agression sonore.

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Plus qu’un son, la damnée sirène constitue l’irritant auditif ultime (c’est le but d’ailleurs), loin devant le cadran qui nous tire du lit le matin ou des cris stridents dans un gender reveal party.

En hommage aux récentes tempêtes qui ont compliqué nos vies urbaines, voici une incursion au cœur d’une récente opération de déneigement, où j’ai pu contempler à l’œuvre la sirène infernale.

J’avais rendez-vous avec Denis Prézeau, un agent de stationnement et surveillant de neige en période de déneigement, à l’emploi de la Ville depuis 32 ans.

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Denis m’a embarqué dans sa voiture en direction du sud-ouest, le territoire qu’il patrouille, réparti entre Pointe-Saint-Charles, Saint-Henri et Ville-Émard.

«Chaque matin, j’ai un parcours. Je m’assure que les panneaux sont installés aux bonnes heures. Souvent le bombardier les tasse ou des gens les enlèvent pour éviter les constats.»

« Chaque matin, j’ai un parcours. Je m’assure que les panneaux sont installés aux bonnes heures. Souvent le bombardier les tasse ou des gens les enlèvent pour éviter les constats. Je m’assure que tout est en ordre », explique Denis, qui prendra une retraite méritée dans quelques mois.

Lors des tempêtes, il travaille chaque jour jusqu’à la fin des opérations de déneigement, de 5h du matin à 17h30 le soir.

Il doit superviser les efforts de remorquage de deux contrats municipaux et deux contrats privés, incluant ses 9 préposés au stationnement en poste dans les camions pour remplir et donner les contraventions en plus de faire l’inspection des véhicules déplacés.

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« Je suis conscient que notre travail est répressif. Je fouille dans les poches des citoyens. Oui il peut y avoir des altercations, on travaille parfois dans des quartiers défavorisés où les gens ont du mal à arriver, mais j’ai un travail à faire », raconte Denis, un perfectionniste qui a commencé au bas de l’échelle comme préposé au stationnement, vêtu de la combinaison verte de l’époque.

« Le travail a vraiment évolué. Au début, on avait un minuscule livret de billets, ensuite il est devenu plus gros, puis les parcomètres sont arrivés, suivis des bornes », explique M. Prézeau, qui a lui-même collaboré au développement des bornes en question.

Lever des chars

Montréal a reçu une importante bordée ces derniers jours. Le jour de notre rencontre (lors de la précédente tempête, pas l’actuelle bordée), les médias rapportaient que la Ville était déneigée à 51%.

Sans surprise, plus la tempête est grosse, plus le déneigement est long. « Des fois, on fait juste 2-3 rues parce qu’il y a trop de neige. Les gens ne nous aident pas. Ils se stationnent beaucoup en angle, ce qui complique le déneigement et le passage des camions, des grues et des souffleuses », explique Denis.

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Et, bien entendu, lorsque des automobilistes délinquants ne déplacent pas leur voiture – malgré les pancartes et les sirènes – les remorqueurs entrent en scène. Dans le jargon, on appelle ça « lever des chars ».

«Les gens ne nous aident pas. Ils se stationnent beaucoup en angle, ce qui complique le déneigement et le passage des camions, des grues et des souffleuses.»

« Les gens se plaignent, disent ne pas avoir vu les panneaux ou entendu les sirènes. Mais une fois qu’une contravention est donnée et que le véhicule est remorqué, on ne peut pas revenir sur une décision », explique Denis, d’avis que plusieurs citoyens contribuent à alourdir les opérations en se stationnant tout croche ou en attendant le dernier coup de sirène avant de sortir et déplacer leur véhicule.

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« C’est sans compter les gros camions trop gros pour être remorqués et les véhicules abandonnés. J’en ai eu deux cette semaine », calcule Denis, également en charge de retracer les voitures remorquées que les citoyens n’arrivent pas à retrouver dans le voisinage. « Le 311 m’appelle pour me donner l’emplacement. J’essaye sinon à partir du constat émis », souligne Denis, qui amorce justement la recherche d’une Honda bleue portée disparue dès notre arrivée sur son territoire.

« La plupart du temps, on amène les autos remorquées une ou deux rues plus loin. Mon préposé émet le constat et géolocalise l’endroit où le véhicule est remorqué puis déposé», assure Denis, en train de dealer avec un citoyen en colère parce qu’il lui a simplement demandé de dégager son véhicule mal stationné qui empiète dans la rue. « FUCK YOU! », réplique un voisin en bedaine sur son balcon à un Denis qui bronche à peine. Il en a vu d’autres.

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Le gars de la sirène

En approchant d’une intersection enneigée, les opérations battent leur plein. La souffleuse et la déneigeuse sont en pleine action, pendant que les chenillettes s’activent sur les trottoirs.

Sans oublier le camion-remorque muni de la fameuse sirène, à l’origine du boucan d’enfer dans le quartier. « On les utilise de 7h à 22h. C’est sûr que c’est pas agréable pour les gens, surtout pour ceux qui sont bien garés. Mais si on n’avise pas, on se fait chicaner de ne pas l’avoir fait », souligne Denis.

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Justement, le camion-remorque actionne sa sirène puisqu’une voiture est stationnée par effraction sur une rue résidentielle. La pancarte orange affiche pourtant clairement que le stationnement est interdit de 7h à 19h. Il est 11h et la voiture concernée est le seul obstacle des déneigeuses qui s’amènent.

Le préposé de stationnement fait le tour du véhicule pour s’assurer qu’il n’y a pas de dommages, avant d’autoriser le remorquage. Celui-ci ne dure que quelques minutes, le temps de hisser le VUS avec des câbles.

« C’est le 4e aujourd’hui », calcule le jeune remorqueur, à l’origine du son désagréable qui hante Montréal.

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«Oui tout est de notre faute, mais surtout celle de cette manette », avoue le remorqueur, en me montrant un petit gadget. Il me fait alors la démonstration des sonneries différentes de la sirène et croyez-le ou non, celle qui berce vos journées d’hiver est de loin la moins irritante. « On ne fait pas exprès. Je vais la partir ( la sirène) juste s’il y a des voitures à enlever. Si t’es dans ton char je ne te gosse pas, je vais juste passer à côté en attendant que tu partes », assure le jeune homme, sympathique malgré tout.

Il est par contre aux premières loges pour témoigner de l’exaspération ambiante au contact de sa sirène. «On en entend de toutes les couleurs, toutes les sortes : je travaille de nuit, c’est ma journée de congé, je suis malade, etc.», explique le remorqueur, qui n’a pas le choix de faire sa job.

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Justement, le propriétaire de la voiture qu’il vient tout juste de remorquer sort de chez lui en pantoufle, ses bottes dans la main.

« Qu’est-ce que vous faites avec ma voiture? », s’interroge le citoyen, devant le fait accompli.

Denis va lui expliquer calmement la situation, l’homme se braque et pète les plombs en réalisant qu’il aura une contravention même si le remorqueur lui restitue sa voiture sur-le-champ. « J’ai pas entendu la sirène, je travaille de nuit! », plaide l’homme, hors de lui, en menaçant de déchirer sa contravention et en multipliant les « fuck ».

Denis conserve à nouveau un calme olympien. Il a vu pire, dit-il. Le citoyen commence à le filmer avec son cellulaire, en l’invectivant.

« C’est pas grave, je suis une personne publique, il peut me filmer», plaisante Denis, sourire en coin, avant de poursuivre sa route, vers la prochaine « levée de char ».

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