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Ligne Info-aide violence sexuelle : qui est au bout du fil?

URBANIA et le Centre pour les victimes d’agression sexuelle de Montréal (CVASM) unissent leurs efforts pour apporter du soutien aux personnes victimes de violence sexuelle.

Par
Daphné Laurier-Montpetit
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La ligne téléphonique Info-aide violence sexuelle répond aux appels de toute personne – victime, proche ou intervenant.e – touchée par la violence sexuelle. Il s’agit d’un des services offerts par le CVASM. À toute heure du jour ou de la nuit, il y a quelqu’un au bout du fil, prêt à écouter. Qui sont ces intervenant.e.s qui répondent à l’appel?

En 2018, on estimait qu’au Québec, une femme sur neuf avait été victime d’agression sexuelle avant ses 15 ans, et une femme sur trois, après. Chez les hommes, c’était un sur 20 avant l’âge adulte, et un sur 11 après. Et ça, ce n’est que le maigre pourcentage des agressions qui ont été déclarées.

Info-aide violence sexuelle est un service d’écoute et de référence pour ces victimes et leurs proches. Des intervenant.e.s qualifié.e.s sont disponibles, 24 heures sur 24, pour prendre les appels de façon anonyme, en français et en anglais.

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Qui sont donc ces intervenant.e.s au bout du fil, et comment ces personnes vivent-elles avec les défis d’un métier aussi émotionnellement exigeant? J’ai rencontré deux membres de l’équipe d’Info-aide violence sexuelle, Karine et Valérie, pour mieux comprendre leur quotidien.

À quoi ça ressemble, un shift à Info-aide violence sexuelle?

Valérie travaille de jour à la ligne Info-aide violence sexuelle depuis neuf mois. Le matin, elle se connecte à la ligne, se renseigne auprès de ses collègues sur les interventions des dernières heures, puis elle attend les appels. En une journée de boulot, elle peut prendre jusqu’à 15 appels.

Karine en est à sa troisième année comme intervenante pour le service, où elle travaille de nuit, de 22 h à 6 h. Selon elle, les appels de nuit sont moins fréquents (de un à cinq appels par nuit), mais peuvent être plus longs. « Tu ne sais jamais sur quoi tu vas tomber », dit-elle. « Est-ce que ça va être quelqu’un qui est en crise, qui va pleurer, faire de l’hyperventilation? Quelqu’un qui va parler de suicide? Parfois, c’est simplement une personne qui vit de la solitude, et tu es probablement la seule personne avec qui elle a parlé de toute la journée. »

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Quelle que soit l’heure ou la nature de l’appel, l’approche est la même : les intervenant.e.s, expert.e.s et formé.e.s dans divers domaines liés à l’intervention, s’adaptent au besoin de l’appelant. « On ne pousse pas dans une direction, on prend les gens où ils sont rendus », résume Karine. « On n’est pas là pour dicter quoi que ce soit, on essaie plutôt de poser les bonnes questions pour que la personne prenne ses décisions elle-même, en connaissance de cause. On ne montre pas aux gens le chemin à suivre, mais on les accompagne pour qu’ils trouvent leur propre chemin. »

Pour Valérie, l’empathie et la compassion sont au cœur de chaque intervention. « On écoute les histoires des appelants, et on essaie de déterminer leurs besoins tout en leur laissant l’espace nécessaire pour qu’ils se confient à leur propre rythme. On reconnaît leurs émotions et on fait preuve d’empathie », dit-elle. « Certaines personnes sont blessées, en colère ou se sentent incomprises. En reflétant ce que les gens disent ou en mettant un mot sur ce qu’ils vivent, on peut normaliser leurs émotions et les rassurer sur le fait qu’ils ne sont pas seuls à vivre ça. »

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Le type d’accompagnement varie d’un cas à l’autre, selon les besoins des appelants. Certains cherchent des informations précises, par exemple au sujet de démarches juridiques ou sur les ressources à leur disposition. D’autres veulent seulement une oreille attentive à qui se confier, sans risque de réprobation ou de répercussions négatives. Pour certaines personnes qui appellent souvent, parler à quelqu’un d’Info-aide violence sexuelle est un moyen de se ressaisir lors de périodes de crise ou de grande anxiété. « Il faut s’adapter rapidement à chaque personne qui appelle », dit Karine. « Le ton de la voix, le choix des mots… Personne ne veut être reçu de la même façon. Il y en a qui ont besoin de beaucoup d’indications, d’autres qui ne veulent surtout pas de solutions, d’autres qui ne savent pas quoi dire et qui veulent qu’on investigue… »

La ligne Info-aide violence sexuelle, c’est pour qui?

Au cours d’un quart de travail, Karine et Valérie peuvent avoir à s’adresser à toutes sortes d’appelants – des adolescents comme des personnes âgées, des proches de victimes ou des intervenant.e.s professionnel.e.s –, car nombreux sont ceux qui viennent chercher de l’aide au bout du fil.

« On vit le découragement avec les personnes qu’on accompagne, même à distance. »

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Il faut dire que le concept de violence sexuelle englobe une grande diversité de situations. « On veut déconstruire l’idée qu’une agression sexuelle, c’est nécessairement entre un homme et une femme qui ne se connaissant pas, comme lors d’une agression dans une ruelle », explique Valérie. « La violence sexuelle peut prendre plusieurs formes. Elle peut être genrée (homme-femme), mais aussi se produire entre hommes, entre femmes, entre adulte et enfant, ou même entre enfants. »

Certains appelants se demandent si ce qu’ils ont vécu est une agression sexuelle ou pas. La question du consentement est à la base du concept. « La violence sexuelle, c’est un terme générique qui englobe tous les gestes où il n’y a pas de consentement », dit Karine. Des commentaires, des attouchements ou du harcèlement peuvent donc représenter de la violence sexuelle au même titre que des contacts physiques plus violents, si le geste est commis sans le consentement l’individu en cause et sans respect à son égard.

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D’ailleurs, pour les intervenant.e.s, le degré de violence d’une agression ne rend pas la souffrance de sa victime plus ou moins légitime. « La souffrance a beaucoup à voir avec l’entourage. Est-ce que j’ai du soutien? Est-ce qu’on me croit ou pas? Est-ce que je peux m’accomplir dans d’autres sphères de ma vie? Tous ces éléments modulent le degré de souffrance de la victime. Je ne dis pas que le type de violence n’est pas important : je dis que c’est un aspect parmi d’autres », précise Karine.

« On n’est pas là pour dicter quoi que ce soit, on essaie plutôt de poser les bonnes questions pour que la personne prenne ses décisions elle-même, en connaissance de cause. »

L’entourage d’une victime aussi peut demander du soutien. Face au témoignage d’une personne aimée, les proches peuvent se sentir impuissants, en colère, ou ne pas comprendre les émotions, parfois contradictoires, de la victime.

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Bref, les personnes de tous les âges, de toutes identités de genre, de toutes les origines et de toutes les professions sont accueillies avec bienveillance, sans jugement et confidentiellement, peu importe quand s’est produit l’agression.

Un travail exigeant, mais valorisant!


On comprend vite que le quotidien des intervenant.e.s d’Info-aide violence sexuelle peut être très exigeant. Certains appels sont plus chargés que d’autres, et tous apportent leur lot de challenge.

Le plus grand défi, selon Karine, est de savoir trouver les bons mots, particulièrement avec les personnes qui cumulent les expériences négatives auprès d’organismes de leur entourage : « Il y a des gens qui vivent beaucoup d’injustice, beaucoup de colère. On essaie quand même de leur donner le sentiment que, la prochaine fois qu’ils sentiront que ça ne va pas, ça vaut la peine de rappeler. »

Pour Valérie, ce sont les failles du système qui représentent le plus grand obstacle. « Certaines personnes “tombent dans les craques” du système. Par exemple, il y a souvent des liens entre la violence sexuelle et les troubles de toxicomanie ou de santé mentale, mais certains hébergements n’accueillent pas les victimes qui ont un problème de toxicomanie. Ces dernières subissent de la violence systémique, en plus de la violence sexuelle. On vit le découragement avec les personnes qu’on accompagne, même à distance. »

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Malgré tout, Valérie et Karine parlent toutes deux de leur métier avec passion et le trouvent extrêmement valorisant. Pour Karine, la formation continue et le travail sur le terrain sont ses plus grands avantages. Par exemple, à la suite du mouvement de dénonciations au Québec en 2020, les intervenant.e.s ont rapidement obtenu de la formation sur les questions juridiques liées à la diffamation afin de répondre à la demande des appelants. Il en va de même en ce qui a trait à des enjeux actuels tels que le soutien adapté aux personnes en transition de genre, aux personnes immigrantes ou même aux personnes victimes de la crise du logement.

« Parfois, à la fin d’un long appel très énergivore, autant pour l’appelant que pour nous, l’appelant ressent le besoin de nous dire “merci d’avoir été là, merci d’avoir pris l’appel, vous m’avez évité de faire quelque chose que je ne voulais pas faire” », raconte Karine. « Étant donné toute la reconnaissance que la personne nous communique, on finit par oublier les difficultés de l’appel. »

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Quant à Valérie, c’est le désir d’influencer concrètement le cours des choses dans la société qui l’a motivée à se joindre à l’équipe du CVASM. « Mon histoire coup de cœur, c’est d’avoir accompagné une adolescente pendant qu’elle annonçait à sa mère qu’elle avait vécu une agression sexuelle. Le lendemain, j’ai reçu un appel de sa mère, qui voulait savoir comment soutenir sa fille », nous confie-t-elle.

Comment aider?

En parlant avec ces deux intervenantes si impliquées, je n’ai pas pu m’empêcher de me demander comment moi, en tant que « civile », je pouvais être utile. Karine et Valérie m’ont toutes deux parlé des attitudes aidantes à adopter lorsqu’une personne nous confie avoir subi un acte de violence sexuelle.

« Ce dont les victimes ont besoin, en général, c’est d’être crues, écoutées, soutenues et déculpabilisées. Il est important de recevoir leur dévoilement sans douter de leur récit, sans le banaliser ni l’amplifier », explique Valérie.

Le plus grand défi, selon Karine, est de savoir trouver les bons mots, particulièrement avec les personnes qui cumulent les expériences négatives auprès d’organismes de leur entourage

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Selon Karine, les proches veulent souvent être dans l’action et réclamer justice pour la victime. « Porter plainte, c’est gros », dit-elle. « C’est une expérience en soi, passer par le système judiciaire. Ce n’est pas un besoin pour tout le monde, et il y a des gens qui ne sont pas prêts dans l’immédiat. Il faut respecter cela. Si une personne veut se lancer là-dedans, on la soutient. Si elle ne veut pas, on la soutient toujours quand même. »

Et l’intervenante ajoute : « Un proche qui est en panique, qui ne sait pas quoi faire ou qui vit un sentiment d’injustice, qu’il nous appelle! On va lui donner de l’espace pour ventiler et parler de ses craintes, et ça va éviter qu’il déverse tout ça sur la victime. »

***

Les signes et les conséquences de violence sont parfois difficiles à discerner. N’hésitez pas à faire circuler le numéro d’Info-aide violence sexuelle et parlez-en à votre entourage. Si vous êtes victime de violence sexuelle, ou si vous avez des doutes concernant un.e proche, appelez, peu importe l’heure. C’est une équipe experte et bienveillante qui vous répondra!

Info-aide violence sexuelle

1 888 933-9007

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