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Mes hommages.
Tout juste avant de mettre le cap sur une petite vacance (toute invasion de domicile est vaine; un oiseau de proie est présentement perché sur mon four et guette tout visiteur inhabituel paré d’un lou de velours et se déplaçant, petites mains recroquevillées devant), je me délestais de ma toute dernière tâche : une petite brassée de délicat au lavoir.
Et comme toute petite brassée de délicat n’en est pas une si elle n’est pas interrompue par de puissants cris, j’ai d’abord fixé le parc Laurier par la fenêtre pour voir si je n’y apercevrais pas là saynète qui m’emplirait les poumons de frayeur.
Rien.
Nulle nymphette coiffée d’un panache pour célébrer ses 25 ans en compagnie de ses 102 invités triés sur le hasard. Nul impétueux unicycliste surmonté d’une ombrelle victorienne. Le calme plat.
Mais au moment où je commençais doucement à savourer l’absence de drame qui m’entourait, un homme fendit le silence comme Pierre Lebeau seul sait fendre un grain de poulet pop-corn de ses gourmandes incisives :
“Eh! Ciboire. EH!……………. Ciboire, ciboire, ciboire, CI-BOIRE”.
La litanie provenait des WC.
J’ai la chance d’habiter près d’un chouette lavoir. Un lavoir “avec vue”, où la machine à change claironne toujours la bonne affaire et où le Fleecy ne manque jamais. Mais voilà. Sa grande beauté attire en moyenne un festivalier aux cinq minutes, festivalier d’abord attiré par la splendeur des lieux, mais qui, une fois à l’intérieur, décide qu’ils sont assez prestigieux pour aller domper sans souci.
Bon. Vous me direz que les vacances tombent à point. Mais je trouve un certain bonheur (UN BONHEUR) dans le défilé constant de ces bougres chics qui déambulent nonchalamment devant les sécheuses en faisant mine de celui qui n’est pas sur le point de couler un bronze loin du logis.
I SEE YOU.
Et cette fois, ça sonnait la cata. L’apocalypse. La pêche qu’on aurait préféré laisser tomber chez soi.
“Eh! Ciboire”. Vingt fois de suite.
En prêtant une oreille plus fine à la litanie, j’y ai toutefois décelé une détresse que l’on n’attribue pas au péristaltisme déluré. C’était autre chose. Quelque chose de viscéral. Une sombre complainte. Un appel à l’aide que Lionel Ritchie n’hésiterait pas à endisquer.
À cet instant précis, cet homme n’avait plus besoin de se verbaliser le malheur. J’avais compris.
Il venait de lire, accroupi comme moi sur son fil de nouvelles, la déstabilisante dépêche qui brise moult couples et toute trace d’harmonie familiale depuis deux jours : à défaut de données concluantes chez des dizaines de chercheurs chevronnés, se passer la soie dentaire serait désormais vain.
Vous l’avez lue, la foudroyante nouvelle? VOUS L’AVEZ LUE.
Eh! Ciboire.
Tous ces kilomètres de cordelette gaspillés, toutes ces années, pour mettre cap sur la gencive saine. Pour prévenir la couronne et le souffle de chacal. À vous lire, depuis deux jours, vous vous sentez, comme moi, comme cet homme, floués dans votre hygiène.
ON NOUS A MENTI.
Alors que certains se coiffent le crâne d’un grand chapeau noir surmonté d’un voile de pleureuse sicilienne qui ne reverra jamais son époux, d’autres, hurlent à la liberté.
Au soulagement.
Au “Je le savais donc! Que je le savais donc!!”.
Votre enthousiasme sur la chose me berce de bonheur. L’aube d’une révolution de fiers propriétaires de palettes entre lesquelles onduleront désormais au vent ces morceaux d’épinards et de poulet à la king qu’on s’empressait jadis de retirer d’un franc coup de soie dentaire se lève (l’aube, se lève).
Quel ravissement. Et quelle fougue! Boule de papier sur la noix du PM.
Vous êtes si beaux, avec vos moitiés de faciès peintes en bleu, petit poing brandi à fendre le silence du plus franc “Libertééééééé!” qui ait jamais mis fin a la servitude des sourires lilas.
J’ai besoin de vacances. Je quitte. Comme j’ai quitté ce lavoir sans faire l’état des lieux du sinistre qui venait de se dérouler dans la petite pièce du fond.
Allez, reposez-vous! Août sera doux.
La bise.
PS TENDRESSE : : à l’instar de Jamais sans ma fille, cette histoire est vraie.
***
Pour lire un autre texte de Catherine Ethier : “La désastreuse aventure de l’orphelin Pablo”