.jpg)
Libérer la xénophobie
Retirer la citoyenneté d’un individu est illégal en droit international. C’est pourtant ce que semble avoir fait un tribunal à plus de 200 000 Dominicains en septembre dernier. Ils rejoignent ainsi les 15 millions d’apatrides comptabilisés par le Haut-Commissariat des Nations Unies pour les réfugiés (HCR). Le parti au pouvoir en République dominicaine, collaborant avec un parti d’extrême droite, appuyait cette démarche, a révélé vendredi un article du journal dominicain Espacinsular.
Un avis défavorable de la Commission interaméricaine des droits de l’Homme a été publié contre la décision du tribunal dominicain. Les pays de la CARICOM ont rejeté la candidature de la République dominicaine en guise de protestation. Les pressions internationales s’accentuent, mais le gouvernement dominicain dit avoir pieds et mains liés. La crise commence à devenir bien réelle, et les chasses aux sorcières ont débuté.
.jpg)
Vivre avec une couleur de peau trop foncée, ce peut être risqué en République dominicaine. Particulièrement pour les personnes issues du pays voisin, Haïti.
Haïti et la République dominicaine partagent la même île des Caraïbes, mais aussi une histoire commune. Ceci a particulièrement marqué l’imaginaire dominicain. L’histoire officielle du pays commence d’ailleurs par la libération face à l’occupant haïtien au milieu du 19e siècle. La fête nationale autant que les « trois pères » de la nation s’inscrivent dans ce combat historique de libération du joug d’un terrible empereur métis qui, près de 20 ans après l’indépendance d’Haïti en 1804, décida d’y annexer la partie hispanophone de l’Ile.
L’occupation durera jusqu’en 1844.
Les deux pays demeurent très proches aujourd’hui. Les flux de migrants en Haïti et en République dominicaine sont encore courants, des bars dominicains à Port-au-Prince aux étudiants haïtiens à l’université de Santo Domingo.
Au début du 20e siècle, des milliers d’Haïtiens travaillaient dans les champs dominicains. Un sentiment xénophobe se développa. Misant sur cette haine, 20 000 Haïtiens furent tués dans la seule nuit du 2 octobre 1937 suite aux ordres du président dominicain de l’époque.
Encore aujourd’hui, les conséquences de l’avis de la plus haute cour de justice dominicaine concernent particulièrement les descendants haïtiens. La majorité sont nés de parents immigrants venus travailler dans les champs pour un salaire de misère, souvent des coupons qu’on peut utiliser en échange d’un bien dans un commerce appartenant à la compagnie qui les emploie.
La cour dominicaine a reconnu en septembre dernier l’aspect rétroactif d’une résolution administrative de 2007 qui retire le droit du sol dans la législation. Ainsi, depuis 1929, des dizaines de milliers de gens sont nés en République dominicaine, ne parlent qu’espagnol et ont parfois reçu un passeport, possiblement invalide aujourd’hui aux yeux de la justice dominicaine. Ceci va à l’encontre des règles de base du droit international, en particulier l’article 15 des Droits de l’Homme qui stipule que tout individu a droit à une nationalité.
La décision est loin de faire consensus en République dominicaine. Le prix Pulitzer de littérature dominicano-américain Junot Díaz s’est insurgé, tout comme le célèbre évêque anglican dominicain Telésforo Isaac, qui classe la décision judiciaire parmis les erreurs et grands crimes commis au cours de l’histoire sous couvert de la légalité.
Des centaines d’Haïtiens d’origine ont commencé à être ramenés à la frontière haïtienne, certains sans même posséder la nationalité haïtienne. En sens inverse, on traite les Haïtiens qui veulent traverser en République dominicaine comme des parias : des attentes au soleil interminables, des multiples check-points et des discours dégradants par les agents et militaires dominicains.
.jpg)
Twitter: etiennecp