.jpg)
Beyrouth est une ville qui mêle tous les différents clichés, une ville où la fête ne s’arrête jamais, une ville woke, où des jeunes prennent la parole contre la génération de leurs parents. Mais aussi une ville traditionnelle, encore régie par des lois religieuses appliquées dans tout le pays. Au Liban l’article 534 du code pénal rend illégaux les « rapports contre-nature », mais quelques jugements rendus dans les dernières années ont statué que les relations entre personnes du même sexe ne devraient pas être pénalisées.
Cependant, la jurisprudence, même si elle dénote un progrès, n’a pas force de loi. Chaque année des centaines de personnes se font arrêter sur la base de cet article et sont souvent relâchées quelques heures ou quelques jours après, faute de preuves. Mais les humiliations, elles, marquent. De nombreux jeunes de la communauté sont arrêtés par les autorités, et torturés sur la base de simples clichés. Ils se retrouvent alors dans des espaces refuges, où ils peuvent être eux-mêmes… Enfin.
Kevin
.jpg)
Kevin a 22 ans, alors qu’il maîtrise l’art du pinceau sur les yeux, il maîtrise aussi l’art de s’en foutre, et c’est ça qui le sauve. Tous les jours, il esquive des regards, des réflexions, mais aussi des insultes. « Cela m’importe peu, ce ne sont que des mots, moi je trace ma route ». Il a eu, comme la grande majorité des personnes LGBT au Liban, un parcours difficile, semé d’embûches pour en arriver là où il est aujourd’hui. Il est fier, mais a dû faire face à un coming-out difficile, poussé par sa sœur, qui ne pensait pas mal faire. « Elle a appelé ma mère qui était dans la cuisine, et lui a dit : “Maman, Kevin est gay”. Alors ma mère m’a mal regardé et m’a tout simplement dit que je n’étais plus son fils, que je mentais. Moi, j’ai décidé de changer de sujet, de dire combien j’aimais les filles, ce genre de bêtises ! » Il vivra avec ce poids pendant deux ans. « Un jour en 2018, alors que je sortais d’une terrible dispute avec mon père qui m’avait beaucoup blessé, je pleurais dans mon salon. Ma mère est venue me faire un câlin, j’en ai profité pour lui dire, et elle m’a serré fort en me disant : “Tu es mon fils, je t’aimerai quoi qu’il arrive”. Son frère, membre de l’armée libanaise, l’a aussi soutenu quelques temps après. Quant à son père, c’est lors d’un dîner au restaurant en tête-à-tête, qu’il lui a annoncé son homosexualité. « Je lui ai dit de but en blanc : “Papa, je suis gay, est-ce que tu me soutiens ?”. Il m’a dit que oui, évidemment ». Maintenant Kevin fait partie des chanceux soutenu par sa famille. Issu d’un milieu chrétien, il vient souvent à Beyrouth, dans le quartier de Mar Mikhael, où il se sent bien. « Il y a un peu d’homophobie, plusieurs fois je me suis fait insulter, mais ils partent vite en courant ». Kevin persiste : « Rien ne peut me briser le coeur », dit-il. C’est peut être ça, la résilience libanaise…
Sarah
.jpg)
Sarah est l’une des fondatrices de Tota, un bar “queer friendly” dans le quartier de Mar Mikhael à Beyrouth. Fondé en 2018, c’est l’un des espaces les plus fréquentés par la communauté LGBT. Mais pas seulement. « Nous ne souhaitions pas mettre d’étiquette sur ce lieu, c’est pour la communauté mais aussi pour les alliés, par exemple ! » Le lieu, fortement endommagé par l’explosion, a été remis sur pied grâce aux habitué.es. Le pari de Sarah : combler ce manque d’espace où chacun peut être soi-même, sans crainte de l’autre. L’idée de Tota est venue naturellement : « Quand j’étais petite, il y avait très peu d’espaces comme celui-ci, qui acceptait tout le monde. Au Tota, on s’ouvre à l’art, on accepte les animaux – ce qui est rare au Liban, et toutes les communautés sont les bienvenues. Avant, il y avait peu d’espaces “refuges” pour la communauté ou alors ils étaient souvent saturés. Et avec la crise du COVID, beaucoup ont fermé ». Tota lui, tient encore debout, avec sa clientèle régulière, mais aussi grâce à ses prix restés raisonnables, alors qu’ils s’envolent partout ailleurs. « Nous trouvons un juste milieu, nous refusons de saigner nos clients avec nos prix, mais nous devons tout de même survivre ». Les clients leur rendent la pareille à chaque coup dur.
Gab
.jpg)
Gab a 33 ans, iel a découvert sa non-binarité il y a tout juste un an et demi, lors d’un séminaire. « Le ministère du travail nous a donné accès à des cours en ligne, je ne travaillais pas alors j’ai décidé d’en suivre un sur la sexualité et le genre. J’ai réalisé qu’il était possible d’être ni homme ni femme, ou un peu des deux, simplement humain ! » Auparavant, Gab a fait un long travail sur iel-même pour accepter son corps, sa sexualité. Depuis ces cours en ligne, iel a découvert un autre monde. « Parfois c’est plus difficile, d’autant que je n’ai encore rien dit à ma famille, je leur dirai quand je serai prêt.e ». Pour l’instant, ses parents sont dans le déni : après une discussion tendue lorsqu’iel avait 21 ans, ils l’accusent de ne pas encore savoir ce qu’iel est vraiment. « Eux, ils se sont mariés à 22 et 24 ans “seulement” ! Moi, à 21 ans, je savais déjà plus ou moins ce que j’étais, que j’étais attirée par les femmes à l’époque, mais je n’avais pas les mots pour. Aujourd’hui, je saurais mieux m’exprimer si cette conversation revient sur la table ». Être non-binaire au Liban, ce n’est pas simple : « On me mégenre souvent, ce n’est pas toujours agréable, mais j’ai eu des expériences rigolotes aussi ! », raconte Gab. « Que je sois une fille, un garçon, un peu des deux ou ni l’un ni l’autre, au final je suis humain, c’est tout ce qui compte ». Gabrielle a fait un coming out sur les réseaux sociaux : « Pour moi, c’est une question de visibilité. Alors pour la journée de visibilité trans, j’ai créé un compte Instagram, et j’ai pris des photos de plusieurs personnes trans, dont moi-même. C’est un petit compte, mais j’aurais aimé avoir ces exemples avant. Maintenant, c’est moi qui montre l’exemple ». Gab est d’ailleurs un.e habitué.e du Tota, iel vient souvent, et y a trouvé un un lieu d’acceptation, d’appartenance, où iel peut discuter avec des personnes qui ont traversé les mêmes épreuves.
Elio
.jpg)
Elio a 21 ans, il est artiste maquilleur, et a raconté son histoire, lui aussi, sur les réseaux sociaux. « J’ai été inspiré, donc j’ai décidé de raconter mon histoire à mon tour ». Une histoire qui commence par un viol à 11 ans, dans une maison abandonnée non loin de la cour de l’Église où il allait jouer avec ses amis. Un viol dont il n’a pas parlé pendant de nombreuses années, qui l’a hanté et lui a fait perdre tout ce qui lui était cher, y compris sa famille et sa religion. « Je pensais que j’étais en tort, que j’avais un problème, alors que non ! Évidemment que non ». Et puis un jour : « Jésus m’est apparu en rêve, et j’ai trouvé la paix. J’ai pardonné, et j’ai continué à avancer. » Aujourd’hui, il s’exprime par son art, le dessin et le maquillage. « J’ai la chance d’avoir des parents extraordinaires et des frères qui m’ont toujours soutenu. Pour ce qui est de ma famille éloignée, j’évite de trop montrer qui je suis, je respecte ce qu’ils pensent, mais je ne veux pas créer de problèmes avec mes parents, qui me choisiront toujours par rapport à eux ». Elio a maintenant pour vocation d’être un modèle pour les jeunes qui se cherchent. « En faisant mon coming-out, j’ai perdu beaucoup d’amis mais tant mieux. Ça m’a renforcé, je ne changerai pas qui je suis, pour qui que ce soit », raconte Elio avant de rappeler qu’avoir des amis dans la communauté c’est très important. « Ça permet d’être compris, car personne ne te comprendra vraiment s’ils n’ont pas vécu la même chose que toi », lance celui qui a, hélas, l’habitude de se faire agresser verbalement. Mais rien ne l’arrête. Un mental d’acier pour affronter l’homophobie au quotidien, avec toujours, un trait d’humour sous celui du eyeliner : tel est son super pouvoir.
+++
Ce texte a d’abord été publié sur urbania.fr
Oui oui, on est aussi en France! Et pour nous lire, même pas besoin de prendre l’avion, vous n’avez qu’à cliquer ici.