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L’horreur queer : un genre littéraire en pleine explosion

La communauté LGBTQ+ connaît quelque chose à la peur.

Par
Benoît Lelièvre
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La diversité a le vent dans les voiles, par les temps qui courent.

Du monde des affaires jusque dans nos écrans, les communautés marginalisées commencent à se faire voir. C’est génial, même si leur inclusion dans le discours culturel ne progresse pas assez vite à mon goût. On est très rapides pour encenser un film sur le racisme ou sur les difficultés du coming out, mais est-ce qu’on laisse des personnes racisées ou LGBTQ s’essayer à d’autres registres, comme la science fiction ou les films de super héros, avec une sensibilité propre à leurs enjeux?

Pas encore, mais un phénomène intéressant se développe quand même depuis quelques années, ce qui fait espérer un certain progrès : l’explosion de la scène littéraire d’horreur queer.

Oui! Oui! Vous avez bien lu. L’horreur LGBTQ+ émerge de plus en plus. Propulsée par l’enthousiasme et la créativité de petites maisons d’édition indépendantes comme CLASH et Ghoulish Books, l’horreur queer s’est retrouvée dans les pages du New York Times, cet été. Pourquoi? Comment? Ça sort d’où ça? Je me suis entretenu avec l’un des principaux visages du mouvement, Eric LaRocca et l’auteur torontois Warren Wagner, afin de mieux comprendre ce phénomène.

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« L’horreur, c’est très queer à la base »

« J’ai publié mon premier livre chez Weirdpunk Books », m’explique Eric LaRocca en direct de sa chambre à coucher, via Zoom. L’auteur bostonien publie des récits d’horreur depuis dix ans, mais a connu une montée en popularité stratosphérique ces trois ou quatre dernières années. Il est aujourd’hui reconnu comme l’un des porte-étendards du mouvement, devenant en quelque sorte le Stephen King de l’horreur queer. Son tout dernier roman, Everything The Darkness Eats, rencontre un succès phénoménal et est distribué nationalement dans de grandes librairies comme Barnes & Noble.

Le tout dernier roman d’Eric LaRocca
Le tout dernier roman d’Eric LaRocca
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« Si on a commencé à se faire entendre plus systématiquement, c’est parce qu’il y a des gens qui ont pris des risques et qui cherchaient quelque chose de différent. J’ai signé avec Titan Books il y a quelques mois, mais c’est avec l’aide des maisons d’édition indépendantes que je me suis rendu jusqu’ici » dévoile-t-il.

L’horreur queer met de l’avant des personnages de la communauté LGBTQ+ et les enjeux sociaux auxquels ils doivent faire face. Bien qu’elle ait existé sous une forme ou une autre depuis toujours, elle a trop longtemps été un marché niché pour certains auteurs. Par exemple, on peut y lire beaucoup de body horror (ou « horreur corporelle »). Ghoulish Books a publié tout récemment l’anthologie Bound in Flesh qui met en vedette le body horror trans explorant l’ampleur du défi que représente la transformation corporelle chez une personne de la communauté. C’est pas un sujet sur lequel quelqu’un de cis hétéro pourrait écrire avec la même conviction.

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Passionné par le théâtre depuis toujours (il l’est encore aujourd’hui!), c’est à l’université qu’Eric LaRocca fera ses premières armes en littérature. « J’étais un peu frustré par le processus collaboratif engendré par le théâtre. Bien souvent, ce qu’on voit sur scène a très peu à voir avec le texte. J’avais besoin d’asseoir ma vision. De prendre contrôle de mes histoires », me raconte-t-il.

Clive Barker et Poppy Z. Brite sont les deux figures pionnières de l’horreur queer, mais aussi des influences sur la fiction de LaRocca.

Il cite également l’autrice Kathe Koja comme source d’inspiration. « L’horreur, c’est très queer à la base. Il y a une altérité au genre qui rejoint la communauté, je pense. La question de l’autre, la figure du monstre. En tant que membre de la communauté LGBTQ+, ce sont des réflexions auxquelles on est confrontés. »

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Mais ce n’est pas tout le monde qui aime l’être. Malgré un succès critique et populaire sans équivoque, LaRocca reçoit son lot de critiques. Parfois même auprès de membres de la communauté. « C’est pas tout le monde qui est confortable avec l’idée d’un personnage queer qui souffre ou même d’un personnage queer diabolique et il y a beaucoup de ça dans ce que je fais », affirme-t-il avec philosophie tout en esquissant un sourire. « C’est pas grave. Je sais que mes histoires provoquent et dérangent. Ça fait partie du métier. »

Eric LaRocca gagne maintenant sa vie avec sa plume. Ses histoires résonnent chez la communauté LGBTQ+ comme chez les personnes cisgenres hétérosexuelles. Ses lecteurs le taguent sur des dizaines de publications chaque jour. « J’ai un lectorat assez large. C’est le fun de résonner hors de la communauté. C’est flatteur quand on sent un intérêt et que c’est respectueux. Les gens voulaient d’autres perspectives, je pense. Une autre manière de raconter. J’ai l’impression que les gens cis hétéros viennent chercher ça dans ma fiction. »

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Être habitué d’avoir peur

Contrairement à Eric LaRocca, Warren Wagner en est à ses premiers pas dans le milieu littéraire. The Only Safe Place Left is the Dark vient tout juste d’être publié par Ghoulish Books le 29 août dernier. Le roman raconte l’histoire d’un homme queer séropositif qui doit quitter son chalet en pleine apocalypse zombie pour trouver de la médication afin de se garder en vie.

« La communauté LGBTQ+ a beaucoup de bonnes raisons d’être effrayée. On est habitués à vivre avec la peur », m’avoue-t-il d’entrée de jeu.

Wagner est natif de l’Illinois, mais demeure à Toronto depuis maintenant plusieurs années. Une bulle sécuritaire pour les personnes queer, de son propre aveu. « L’horreur queer a commencé à prendre du gallon au début du règne de Donald Trump, selon moi. Les choses allaient de mieux en mieux pour nous jusqu’à ce moment-là et ça va dans le sens inverse, depuis. »

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Wagner n’a pas encore connu la critique de la communauté LGBTQ+ comme LaRocca. Jusqu’à date, l’accueil est on ne peut plus positif. « Il y a un gars sur Goodreads qui m’a dit que je faisais la promotion de l’agenda gai, mais il m’a quand même donné trois étoiles sur cinq. J’ai trouvé ça drôle », me confie-t-il en riant. Il reçoit beaucoup de remerciements de la part de personnes séropositives par l’entremise des réseaux sociaux. « J’ai quelques lecteurs cis hétéros aussi. Surtout des femmes. »

Le premier roman de Warren Wagner.
Le premier roman de Warren Wagner.
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Les deux écrivains s’accordent pour dire que l’horreur queer est pour tout le monde, mais qu’elle vient d’une expérience et d’une perspective très précises pourvoyant à un besoin de représentation important et grandissant. En d’autres mots, c’est d’abord un truc écrit par des membres de la communauté pour que des membres de la communauté s’y retrouvent, mais tant mieux si ça parle à d’autres personnes.

Warren Wagner croit quand même que de la littérature queer écrite par des personnes en dehors de la communauté peut parfois être bien faite. Il me donne comme exemples les personnages de l’auteur américain Paul Tremblay du roman The Cabin at the End of the World (produit au cinéma sous le titre Knock At the Cabin) et le travail de Craig Mazin sur la série The Last of Us. « C’est l’une des meilleures histoires queer que j’ai vu de ma vie », avoue-t-il.

L’horreur queer n’est pas encore très présente au Québec dans la langue de Molière, mais elle s’en vient à grands pas et c’est tant mieux. Tous les fanatiques d’horreur vous le diront : qui se priverait de nouvelles façons d’avoir peur?

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